Bientôt la fin de l’extrême maigreur dans le monde de la mode ? C’est en tout cas l’objectif du législateur venu s’intéresser aux photos retouchées en matière de publicité le 4 mai dernier. Ce décret d’application entré en vigueur le 1er octobre 2017 précise la loi 26 janvier 2016 et tend à protéger les plus jeunes des dérives publicitaires.
Il est de coutume de dire que personne n’est parfait. Seulement, quand on regarde certains magazines de mode, certaines publicités pour des marques de vêtements entre autres, on s’aperçoit que les femmes et hommes photographiés ne présentent aucun défaut et ont un physique qu’on pourrait qualifier de « physique parfait ». Il ne faut cependant pas croire tout ce que l’on voit, car si les mannequins présentent des physiques avantageux, il n’en reste pas moins qu’ils ont leurs petits défauts comme la plupart d’entre nous.
Le mannequinat et l’idéal de maigreur
« On m’a dit ‘’si tu veux réussir, il faut rentrer dans du 32’’. Il fallait que je descende à 47 kilos pour 1,78 mètre pour rentrer dans cette taille ». Voilà comment Victoire Maçon Dauxerre décrit les exigences du milieu du mannequinat dans lequel elle a évolué pendant des années.
La norme, en mannequinat, est en principe, la minceur mais depuis plusieurs années, la minceur s’est transformée en maigreur, parfois maladive : l’anorexie.
On remarque que dans le milieu de la mode, entre défilés haute couture et tenues de rêve, les créateurs ainsi que les publicitaires exercent de fortes pressions qui se soldent souvent par des troubles alimentaires qui tendent à multiplier les cas d’anorexie.
Beaucoup de jeunes hommes et femmes rêvent de signer un contrat avec une agence de mannequins et de défiler pour les plus grands couturiers et ce sont ces agences qui, conscientes de leur influence sur ces jeunes personnes parfois encore mineures, et de la concurrence qui peut exister entre elles, vont exercer une pression telle qu’elles se sentent obligés de se conformer aux normes drastiques du milieu du mannequinat.
C’est ainsi qu’avant 2016, on pouvait voir sur les podiums, des mannequins d’une maigreur telle que leur visage était creusé et leurs os des jambes et des bras apparents.
Depuis 2010, suite au décès du mannequin engagé et luttant contre sa propre anorexie, Isabelle Caro, le problème des troubles alimentaires dans le milieu du mannequinat a été mis en lumière et certains mannequins et personnalités du monde de la mode ont publiquement dénoncé le phénomène pour défendre les droits de ces mannequins à ne pas répondre à l’exigence d’extrême maigreur via des campagnes de publicités internationales chocs.
Il aura fallu attendre 2016 pour que le législateur français s’intéresse et s’implique véritablement dans la lutte contre « l’anorexie chic » en prenant des mesures contraignantes pour les agences de mannequinat et les annonceurs. En effet, les articles 19 et 20 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé sont venus poser les bases d’une nouvelle règlementation protégeant ainsi les mannequins et les jeunes des dérives des publicitaires et des agences de mannequinats dont l’exigence et la pression étaient toujours plus forte quant à la maigreur de leurs modèles, exigences aux conséquences psychologiquement désastreuses voire mortelles.
La publicité, source d’influence et de dérives
On s’accorde à dire que la publicité est très importante dans une société de consommation. Elle est certes importante mais aussi potentiellement dangereuse tant son impact est grand principalement sur un public jeune et non averti et, de ce fait, très influençable. Très récemment, une nouvelle pratique consistant à maigrir pour avoir le plus grand écart entre les cuisses, jambes collées, appelée le « Thigh Gap », a fait son apparition sur les réseaux sociaux. Ce sont principalement des jeunes filles qui sont concernées et qui s’inspirent directement de leurs modèles puisque c’est la norme qui leur est présentée et que donc, cela leur parait normal de la reproduire.
Il faut savoir qu’en 2016, l’anorexie concernait, « en France à peu près 1,5% de la population féminine, de 15 à 35 ans, ce qui correspond à environ 230 000 femmes ».
Il y a aujourd’hui, une véritable prise de conscience de la part des grands groupes de luxe et des créateurs qui, de plus en plus, refusent de faire défiler ou poser des mannequins trop maigres. Il semblerait que, en ce qui concerne les pays européens, ce soit de moins en moins la norme bien que certains créateurs influents prônent toujours la maigreur.
On peut se féliciter de ne pas avoir vu de mannequin trop maigre à la Fashion Week de Paris et relever que des grands groupes tels que LVMH et Kering font désormais la guerre aux diktats passés de mode de la mode actuelle, dans la lignée du décret du 4 mai 2017.
Il y a une véritable prise de conscience du phénomène grave que représente la mise en scène de mannequins maigres sur la place publique de la part des créateurs mais aussi des annonceurs.
Pour remédier au problème que constituaient ces publicités illusoires et aux dérives des plus jeunes en matière alimentaire, il est donc nécessaire, de ce point de vue, de réguler et de limiter voire interdire des pratiques publicitaires aux conséquences graves notamment sur la santé.
L’article 19 de la loi du 26 janvier 2016 dispose que les photos à usage commercial de mannequins qui ont été retouchées doivent désormais porter la mention « photographie retouchée ». Un décret du 4 mai 2017 entré en vigueur le 1er octobre dernier est venu préciser les modalités d’application de la loi. La mention doit par conséquent être lisible et identifiable par les consommateurs, distinctement de tout message publicitaire. Ce décret tend également à responsabiliser les annonceurs puisqu’ils doivent se tenir informer de la retouche ou non de la photographie à usage commercial.
La sanction en cas de non-respect de cette loi est importante notamment pour les annonceurs puisque « le non-respect du présent article est puni de 37 500 € d’amende, le montant de cette amende pouvant être porté à 30 % des dépenses consacrées à la publicité ».
Cependant, ce décret pose une limite qui est que seules les affiches, la presse écrite et les communications en ligne sont concernées. Il ne fait donc pas référence à la télévision qui associe l’image et le son. On peut néanmoins nuancer ce propos puisque dans le cas où une publicité télévisuelle souhaiterait mettre en avant des mannequins trop maigres, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité serait en capacité de rappeler son objectif qui est de « mener toute action en faveur d’une publicité loyale, véridique et saine ». De plus, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel pourrait également rappeler à la chaine de télévision ses obligations sur le fondement de la charte d’engagement volontaire sur l’image du corps contre l’anorexie, signée le 9 avril 2008 et qui réunit l’ensemble des professionnels de la mode, des médias et de la communication.
Serait-ce le début de la fin pour les mannequins trop maigres ? On ne peut que l’espérer.
SOURCES :
LAUSSON J., « “Décret Photoshop” : le signalement obligatoire des retouches sur les pubs entre en vigueur », www.numerama.com, mis en ligne le 1er octobre 2017, consulté le 20 novembre 2017, http://www.numerama.com/politique/255687-publication-decret-photoshop-pour-signaler-les-photos-retouchees-des-mannequins.html
Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, Communiqué de presse, « MENTION “PHOTOGRAPHIE RETOUCHÉE” DANS LES PUBLICITÉS » , Paris, le 29 septembre 2017, https://www.arpp.org/actualite/mention-photographie-retouchee-pub/
DUPONT G., « Exploiter l’extrême maigreur des mannequins sera pénalisé », www.lemonde.fr, mis en ligne le 05 mai 2017, consulté le 20 novembre 2017, http://www.lemonde.fr/sante/article/2017/05/05/l-extreme-maigreur-des-mannequins-dans-le-viseur_5122539_1651302.html