La protection des sources journalistiques est un principe inscrit dans la loi française, depuis 1993, et dans la jurisprudence européenne. Mais depuis quelques mois, les perquisitions, gardes à vue, mises en examen, réquisitions, se multiplient contre la presse.
Tout commence par l’affaire dans laquelle cinq journalistes , dont trois de l’hebdomadaire le Point et deux du quotidien l’Equipe ont été mis en examen le 12 et le 13 octobre pour «recel de violation du secret de l’instruction». Une décision relativement rare en France, et qui a provoqué des contestations dans le monde de la presse. Il s’agit là d’une «dérive très inquiétante» qui constitue «une menace pour la profession».
La justice avait reproché aux cinq journalistes d’avoir publié des extraits des comptes rendus d’écoutes téléphoniques ordonnées dans le cadre de l’enquête judiciaire sur l’affaire. Cherchant à déterminer l’origine des fuites dans la presse, une juge de Nanterre,avait convoqué les journalistes, mais ils avaient refusé de livrer leurs sources, comme les y autorisent l’article 109 du code de procédure pénale et l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme. Face à ces refus, la juge charge la police à procéder à des perquisitions au Point et à l’Equipe en janvier 2005, soulevant déjà à l’époque de vigoureuses protestations de la part des sociétés de journalistes et des organisations de défense de la liberté de la presse. Les bureaux des journalistes avaient été fouillés, leurs agendas et leurs ordinateurs saisis. Le directeur de la rédaction du Point, Franz-Olivier Giesbert, et celui de l’Equipe, Claude Droussent, avaient protesté contre ces perquisitions. Des juristes avaient souligné que la juge contournait la législation sur le secret des sources en cherchant à identifier par tous les moyens celles que les journalistes refusaient de lui livrer. Plus grave encore, les journalistes concernés auraient, été mis sur écoute à la demande de la juge. Entre protestations et soutiens, la Fédération de la presse française et le Syndicat de la presse magazine ainsi que Reporters sans frontières ont lancé à nouveau un appel à modifier la législation sur le secret des sources.
Quelques temps plus tard, le secteur de la presse est encore au centre d’une polémique.
En effet tout récemment, la police a exigé et obtenu de la direction de l’AFP des clichés montrant qu’un policier en civil avait été frappé à Bastia ( Libération 16 novembre), en dépit de l’opposition du photographe et contre les règles déontologiques habituelles. Dans un premier temps, le cabinet de Nicolas Sarkozy avait réclamé ces photos directement à la direction de l’AFP, avant que la police n’envoie une «réquisition à personne» une procédure créée par la loi Perben 2 pour faciliter le travail des enquêteurs, à un responsable de l’AFP, afin d’obtenir ces documents.L’AFP est donc confrontée à une motion de défiance.
Les syndicats estiment qu’il s’agissait d’un grave manquement aux règles déontologiques de l’agence. En effet, on peut considérer qu’en présentant les journalistes comme des auxiliaires de police, et en remettant en cause leur sécurité sur le terrain et leur crédibilité, conduit à admettre qu’on est bien en présence d’une faute. Faute portant atteinte aux droits des journalistes et aux droits des personnes (à travers les photos non floutées). Le Directeur de l’information de l’AFP assume sa décision, invoque le fait de s’être juste plié à une injonction judiciaire et d’avoir «soigneusement pesé les conséquences de ses décisions».
Quant aux perquisitions, il est facile de penser que ce qu’auraient souhaité les syndicats et l’auteur des photos était que « Tous les journaux, toutes les agences refusent de donner leurs sources ou des photos, en usant de tous les moyens de droit» (propos de M.Olivier Laban-Mattei) , face à ces faits d’actualité, nous devons nous rappeler que, récemment, le Point et l’Equipe ont subi des perquisitions pour avoir «couvert» leurs journalistes qui refusaient de divulguer leurs sources.
Il semble important d’aborder un autre fait d’actualité : les cambriolages aux” Figaro ” et au ” Point ” .En effet des ordinateurs ont été dérobés dans les rédactions du Figaro et du Point . En apparence, aucun lien entre les deux affaires. Des larcins comme il en survient dans toutes les entreprises ? Peut-être pas. Car le mode opératoire est identique : le ou les cambrioleurs sont très bien renseignés sur la configuration des lieux, ils agissent à visage découvert et avec beaucoup d’audace. La marque d’une officine privée, assure un connaisseur. La police judiciaire est chargée de l’enquête. Selon les faits, une inquiétude peut s’installer à l’égard de l’usage des contenus volés,par la divulgation de données et d’informations.
Dernière affaire en date : la garde à vue d’un journaliste du Parisien, soupçonné d’avoir écouté durant les émeutes les fréquences de la police avec un appareil obtenu auprès de policiers. Interpellé mardi matin à son domicile par l’IGS (inspection générale des services), Roberto Cristofoli, journaliste de la rédaction des Hauts-de-Seine du quotidien, devait être déféré, au Palais de justice de Paris pour être présenté à un juge d’instruction.
Des perquisitions ont été menées par l’IGS à son domicile et à la rédaction des Hauts-de-Seine, où le disque dur de l’ordinateur du journaliste a été saisi, selon les syndicats SNJ, FO, CFDT et CGC du Parisien qui ont dénoncé «une intolérable intrusion dans une rédaction» . «L’IGS semble vouloir faire pression sur ce journaliste pour le contraindre de révéler ses sources», a indiqué le Syndicat national des journalistes (SNJ). Le syndicat a interpellé «le ministre de l’Intérieur et le garde des Sceaux sur le renouvellement de plus en plus fréquent de ce genre d’affaires».
Des journalistes s’interrogent maintenant sur d’éventuels précédents. La direction a-t-elle déjà remis d’autres clichés à la police ? Si c’est le cas, le travail des photographes de l’AFP sur le terrain, déjà difficile, risque de devenir impossible.
Source : Libération du 17 novembre 2005.
Amanda MAHABIR