Quel rôle la télévision a-t-elle joué dans les émeutes qui ont embrasé la France pendant près de trois semaines, au début du mois de novembre 2005 ? La question peut sembler incongrue ; pourtant, un peu moins de quinze jours après la fin des violences urbaines, nombreux aujourd’hui sont ceux qui s’interrogent sur la responsabilité des médias audiovisuels dans la folie destructrice qui a submergé l’hexagone et abasourdi le monde. « Pourquoi les violences se déclenchent-elles parfois à 19h30 ? Parce qu’il y a le 20 heures ! » expliquait ainsi Joël Terry, capitaine de police et officier à la sécurisation de la Direction de la police urbaine de proximité, au milieu des émeutes du mois de novembre. Un reporter de Paris Match raconte, lui, cette anecdote : « Un jeune d’environ 18 ans nous interpelle, grand, costaud, capuche sur la tête. Il sort de ses poches ses mains serties de bagues, met ses bras en croix : “Oh, journaliste, c’est TF1 ! Viens voir toi, viens m’interviewer !”. Le show joue un grand rôle dans cette insurrection d’ados », poursuit le journaliste. « A défaut de Star Academy, on veut passer à la télé autrement et faire mieux. C’est-à-dire plus que la bande d’en face… ».
Des milliers de voitures brûlées, des autobus incendiés, des entreprises détruites, des écoles saccagées… tout ça à cause de la télé ? Non. La violence reste, bien sûr, le fait des casseurs et des bandes organisées. Néanmoins, la surmédiatisation de quelques incidents et l’emphase portée sur les propos tenus par le Ministre de l’Intérieur, Mr Nicolas Sarkozy, sont pour beaucoup dans la flambée de haine qui a embrasé la France le mois dernier. En effet, le phénomène des émeutes n’est pas nouveau en soi. Certains quartiers, certaines cités, ont déjà connu des explosions de violence sporadiques au cours des vingt dernières années. Mais ces mouvements restaient isolés, contenus ; vite étouffés, ils ne donnaient en général que peu de prise aux velléités d’imitation. La télévision, en donnant un large écho aux émeutes de Clichy-sous-Bois, survenues après la mort de deux jeunes délinquants poursuivis par la police, et en ressassant, le plus souvent hors de leur contexte, les termes de “racaille” et de “karcher”, employés par Nicolas
Sarkozy après la mort d’un enfant à la Courneuve, a attisé le sentiment de rejet des minorités. Dès lors, l’explosion d’une grenade lacrymogène sur le seuil d’une mosquée a suffi à mettre le feu aux poudres, et en quelques jours, la contagion, par le biais des médias, a gagné plusieurs villes de la métropole.
Sources :
• Lucienne Bui Trong, « Violences urbaines : les raisons de la contagion », Le Figaro , 07/11/05
• « Violence, le face-à-face banlieue-police », Le Figaro Magazine , 12/11/05.
• Jacques Marie Bourget, « Cette insurrection est aussi un show », Paris Match n°2947, 10-16/11/05
Thomas Crampton, « French police fear that blogs have helped incite rioting », New York Times , 10/11/05
Benoît LANDOUSY