LES ANNONCEURS MIS EN CAUSE DANS LA LUTTE CONTRE LE PIRATAGE

Alors que la répression du « piratage » via internet a frappé, à maintes reprises, les éditeurs de logiciels et leurs utilisateurs, il restait une catégorie de personnes, dont le rôle est pourtant central dans le financement de ces systèmes, qui semblait à l’abri de toute poursuite… du moins jusqu’à présent. Il s’agit des annonceurs.
Ils constituent en effet le point d’équilibre du téléchargement illicite, tel qu’il se pratique encore actuellement. L’absence de paiement par les bénéficiaires et les besoins de développement des logiciels par les entreprises ne pouvaient se concilier que par leur présence. Ainsi, en achetant les nombreux espaces publicitaires qui leur sont offerts (bandeaux et pop-ups), les annonceurs financent, à eux seuls, la gestion et le développement desdits logiciels. L’on peut imaginer, si le prix d’achat est indexé sur le nombre d’internautes connectés au réseau, le double intérêt que revêt cette pratique : d’une part, pour l’annonceur, qui touche un large public, et, d’autre part, pour l’entreprise de conception du logiciel, qui en tire de plus grands bénéfices. D’un point de vue plus économique, les publicitaires assurent la seule rémunération du service qui est rendu au consommateur ; ils peuvent donc être considérés, par extension, comme étant à l’origine du « piratage » effectué via peer to peer, assumant le rôle de producteurs.
Suite à ce constat alarmant, et curieusement peu discuté, une initiative a été prise en France, tendant à établir, a priori, un nouveau symbole de la lutte contre le téléchargement illicite. Ainsi, Christophe Barratier et Jacques Perrin, réalisateur et producteur du film Les Choristes, ont intenté une action contre plusieurs annonceurs qui recouraient aux services précités. Leur accusation se fonde sur le délit de complicité de contrefaçon ; le film pouvait être téléchargé déjà 15 jours après sa sortie en salles et la version DVD a pu l’être immédiatement lors de sa parution. Pour les deux demandeurs, il est évident que les annonceurs ont joué un rôle primordial dans cette contrefaçon de grande échelle. De surcroît, ils les accusent d’avoir favoriser psychologiquement le système, de par la grande réputation des entreprises bénéficiaires des publicités ; la manoeuvre aurait ainsi dessiné « un vernis de respectabilité pour les internautes », termes du président de la Chambre Syndicale des Producteurs de Films. Les accusés dans cette affaire (volontairement limités pour mieux les cerner) sont en effet : Neuf Télécom, AOL France, Télécom Italia France, la SNCF, Finaref, le groupe Partouche et la Française des Jeux.
Le procès a commencé le mercredi 25 janvier, au Tribunal de Grande Instance de Paris, 31ème Chambre Correctionnelle. Le préjudice subi par les titulaires des droits est estimé à 1,5 millions d’euros. Toutefois, le réalisateur a précisé que son action ne visait pas à en obtenir réparation mais seulement à ajouter un nouveau symbole à la lutte contre le piratage. Son but serait donc uniquement de provoquer une réaction de la part des consommateurs et d’emporter leur conviction en s’attaquant aux industries qui les ont confortés dans l’illégalité.
Ces dernières sont quand même bien plus solvables.

Sources :
– Le Nouvel Observateur, 24 janvier 2006
– Le Point, 26 janvier 2006

Philippe MOURON