De 24 heures chrono à Rome en passant par Six feets under et soprano et lost, tout le monde est accroc aux séries télé et ne s’en cachent plus. En quête au cœur d’un phénomène qui nous change nos habitudes, bouleverse les idées reçues et secoue le monde du cinéma.
« Les films forts, on les trouve de plus en plus dans les séries télé. C’est là que se situe le renouveau du cinéma ». Ces propos ont été tenus par Mazarine Pingeot. Elle rejoint l’avis général d’une part des professionnels du cinéma au simple téléspectateur. En effet, les scénaristes et concepteurs de séries télévisées américaines sont de plus en plus inventifs et renouvellent le genre. Ainsi, ils créent la surprise au gré des épisodes.
De ce fait, la problématique préexistante de concurrence entre le cinéma et la télévision se renforce au point de bouleverser le rapport de force qualitatif voire économique. Godard dans l’un de ses entretiens avait un regard assez péjoratif : « quand on va au cinéma on lève la tête. Quand on regarde la télévision on la baisse ».
L’esprit créatif de certains scénaristes télévisuels font la réussite de ces séries et maîtrise l’art du rebondissement ce qui devient rare sur le grand écran. Des scénaristes tels que David Chase pour les Soprano, JJ Abrams pour Lost, ou encore Alan Balle pour six feets under sont devenus mondialement connus et leur permet d’accéder à l’inaccessible septième art.
Les téléspectateurs s’y retrouvent et osent plus volontiers affichés leur penchant pour des films dits de qualité et pour des séries telles que Lost. « Il y a encore dix ans, on ajoutait pas forcément sa série favorite dans sa palette culturelle » analyse Emmanuelle Ethis, sociologue du cinéma. « Aujourd’hui le discours est je te dis quelle série j’aime je le revendique et cela t’aide à comprendre ». Le phénomène n’est plus régional, il se mondialise, en effet, selon l’étude annuelle de Médiamétrie réalisait les séries ont représenté en 2005 64 % des meilleures audiences de fictions et cela tend à augmenter.
Les enjeux publicitaires liés à la diffusion de certaines séries ne cessent d’augmenter, et chacune des chaînes aimeraient trouver « la série » qui fédère le plus grand nombre de téléspectateurs et qui seront diffusées en prime time. Par exemple l’an dernier sur TF1 la première saison de Lost a réuni plus de six millions de téléspectateurs par semaines. Sur France 2 la saison 3 de FBI portés disparus a dépassé les 7 millions et battus à six reprises le film du dimanche soir sur TF1. L’audience massive fidélisée et rajeunie : un tiercé gagnant pour les groupes TF1, France Télévisions, Canal + et M6, qui réserve désormais à leurs chaînes principales les séries prestigieuses et ne laissent que les miettes aux filiales câblées (Téva, Série Club, Jimmy…), premières victimes d’un phénomène qu’ils ont largement contribués à lancer.
Le succès est du à un gain de qualité. « Le phénomène est surtout du au fait que la télévision est arrivée à la fin d’un cycle, celui de la télé-réalité », explique Alain Carrazé spécialiste des séries. « En plus, les films à la télé font de moins en recettes et les jeux se sont effondrés ».
En utilisant les codes de la télé-réalité et du cinéma, les scénaristes ont donné naissance à une nouvelle génération de séries comme 24 heures chrono et son fameux concept temps réel ou Lost directement inspiré de Survivor.
Après quelques succès isolés des années 80, la décennie 90 a vu naître une nouvelle génération de séries américaines, six titres phares révolutionnent le genre : Mystères à Twin Peaks (1990, ABC), New York District (1990, NBC), Homicide (1993, NBC), X Files (1993, Fox TV), New York police blues (1993, NBC) et Urgences (1994, NBC).
Les séries sont devenues plus belles, les intrigues plus complexes et les personnages plus ambigus. Le public américain est ravi, et se délecte des nouveaux concepts proposés, tels que Ally Mac Beal.
En 1997, HBO (chaîne câblée payante) change de stratégie et en fini avec les séries bas de gamme. Elle se recentre sur des séries novatrices, audacieuses et décalées, le nouveau slogan de la chaîne : « it’s not TV, it’s HBO ». La série Oz inaugure ce renouveau, le succès est mitigé, mais l’ambition fini par payé. Les trois productions suivantes sont des chefs d’œuvres et rencontrent un vif succès : Sex and the city (1998), les Soprano (1999), et Six feets under (2001). La série donne à HBO ses plus grosses audiences et recettes publicitaires de toute son histoire, d’ailleurs les téléspectateurs renouvellent leur abonnement. Evidemment les concurrents hertziens organisent une offensive. 24 heures chrono, Scrubs, Alias, les experts, Lost, Desperate housewives voient le jour et cartonnent. « Le paysage audiovisuel américain n’a plus rien à voir avec les années quatre vingt. La concurrence des réseaux câblés entraînent une émulation générale ; les Networks sont obligés d’innover sans cesse pour fidéliser un public toujours plus exigeant ».
Malgré un cru plus moyen et quelques échecs la saison 2005/2006 aura confirmé ce bouillonnement créatif de la série made in USA.
De con côté HBO a créée au moins par deux fois l’événement cette saison avec Rome et Big love. Les séries n’ont pas fini de couper les écrans. Mais comment vont-elles évoluer ?
Fin mai les responsables des achats des télévisions françaises sont allés visionner une quarantaine d’épisodes pilotes proposés par les grands studios au marché annuel de Los Angeles. Les séries les plus prometteuses Studio 60 on the Sunset strip (dans les coulisses d’un show télé), Heroes (des gens ordinaires se découvrent des supers pouvoirs) Justice (la nouvelle série produite par Jerry Bruckheimer) Day breack (un sujet à la jour sans fin). Mais il va falloir patienter jusqu’à la rentrée 2007. Le « règne » des séries, comme certains l’ont baptisé durera-t-il encore longtemps ? A priori plus libre que leurs confrères du cinéma, les auteurs de télévision voient déjà s’accumuler quelques contraintes. Parmi les inquiétudes l’inflation du cachet des stars et donc des budgets : Kiefer Suthertland a signé en avril un contrat historique de 40 millions de dollars pour jouer dans les saisons 6, 7 et 8 de 24 heures chrono ; James Gandolfini perçoit un million de dollars par épisode des Soprano. Mais ce n’est pas le seul soucis à menacer le monde de la série : le durcissement de la Féderal Communication Commission (équivalent du CSA français). Ces membres, en majorité républicains, ont profité du scandale provoqué par le sein de Janet Jackson dévoilé en direct lors du super ball pour serrer la vis aux Networks. Depuis deux ans, la FCC multiplie les condamnations, lourdes amendes à l’appui pour des images, des propos jugés indécents. Parmi les victimes récentes, FBI portés disparus pour une scène, en réalité assez chaste, d’orgies entre ados.
Enfin tout simplement, les génies de la plume devront faire face ces prochaines années à la plus terrible des menaces : l’usure. « Nous avons une obligation de renouvellement assez exténuante », confiait récemment Robert Cochran, co-créateur de 24 heures chrono. « Au bout de cinq ans on a utilisé presque toutes les astuces possibles. Au début, on avait dix épisodes d’avance, maintenant on en a plus que deux ».
Combien de temps encore les chaînes inciteront elles les scénaristes à faire preuve d’audace, combien de temps ces derniers en seront-ils capables, quels facteurs auront raison de la bulle créative actuelle ? En attendant le déluge profitons de la saison 2006/2007 qui promet de belles surprises.
Source : Philippe Guedj, Studio n° 225 juillet-août 2006.
Audrey RAPUZZI, Sounia ROUABHIA