UN BOULEVERSEMENT DANS L’AFFAIRE MULHOLLAND DRIVE

Après les débats qui ont secoué l’Assemblée Nationale en décembre quant au projet de loi DADVSI et l’annonce de la reprise du vote pour mars, la Cour de Cassation semble déjà préparer le terrain des nouvelles dispositions. Ainsi, elle vient de mettre fin à une controverse juridique qui a débuté en avril 2005 : la copie privée des DVD. En effet, un arrêt en date du 28 février, très attendu, vient de trancher la question dans un sens similaire à celui du projet de loi.

L’attente d’une solution définitive de la jurisprudence se faisait de plus en plus pressante. Les jugements et arrêts divergents, depuis celui du 22 avril 2005, de la Cour d’Appel de Paris, n’en finissaient plus de faire couler l’encre des spécialistes ; tout cela pour savoir si un consommateur peut ou non dupliquer un DVD pour son usage personnel. C’est justement ledit arrêt, de la Cour d’Appel de Paris, qui a été cassé par la Cour de Cassation. L’affaire avait opposé un consommateur à des sociétés de production et d’édition de DVD ; le demandeur avait acheté le DVD du film Mulholland Drive et n’avait pu le copier sur une cassette VHS du fait des mesures techniques de protection qui en empêchait toute duplication. Après un jugement de première instance infructueux, la Cour d’Appel de Paris avait fait droit à sa demande, considérant que de telles mesures ne peuvent exclure toute possibilité de copie. Cette solution a finalement été cassée, harmonisant dès lors les jurisprudences divergentes en la matière.

La Cour de Cassation s’est fondée sur le test en trois étapes afin d’exclure la copie privée des DVD. Celle-ci est ainsi considérée comme portant atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ; par conséquent, il est tout à fait normal d’inclure des mesures techniques de protection dans les supports, permettant d’en empêcher les copies, en dépit même de l’exception instituée par l’article L 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle. Selon les juges, la notion d’exploitation normale doit en effet être envisagée au regard de « l’incidence économique de telles copies dans le contexte de l’environnement numérique » ; le risque d’une multiplication des copies sur les réseaux est envisagé, et l’arrêt vise donc à en supprimer la base purement et simplement, en légitimant les techniques de protection. Cette nouvelle jurisprudence, qui était très attendue, vient donc fixer l’interprétation à donner au fameux test en trois étapes s’agissant des copies de DVD. Le reste, notamment les copies de CD, n’est pas ici concerné.

Cet arrêt relance naturellement la polémique et la colère des associations de consommateurs, au premier rang desquelles se trouve l’UFC-Que Choisir. Ses représentants reprochent ainsi à la Cour de ne pas avoir suffisamment démontré en quoi la copie d’un DVD pouvait porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre. L’utilisation du test en trois étapes avait d’ailleurs déjà servi de fondement à des jugements et arrêts qui ont légitimé la copie privée. Est également critiqué la différence de régime ainsi induite entre les CD et les DVD, les premiers pouvant à ce jour encore faire l’objet de copies en toute liberté. En cela, l’arrêt reprend les dispositions du nouveau projet de loi DADVSI, dont les premières moutures laissaient entendre que les DVD seraient hors du champ de la copie privée ; plus prudemment, les derniers textes communiqués se bornent à indiquer que le recours au collège de médiateurs sera possible pour tous supports en cas de litige au niveau d’une copie.

L’UFC n’entend pas se laisser faire ; ainsi, elle espère bien que la Cour d’Appel de Paris, devant laquelle l’affaire est renvoyée, maintiendra sa position, afin d’aller jusqu’à l’Assemblé Plénière de la Cour de Cassation. Elle ne se satisfait pas de l’interprétation donnée au test en trois étapes par l’arrêt du 28 février et attend qu’un nouveau fondement soit donné par les juges pour justifier une telle solution. Rappelons néanmoins que, d’ici là, le projet de loi aura certainement été voté. L’orientation donnée par la Cour de Cassation risque donc bien d’être définitive.

Source : http://www.zdnet.fr
Philippe MOURON