LICENCE GLOBALE ET DRM DE NOUVEAU AU CŒUR DES DEBATS

Le gouvernement français a annoncé le lundi 6 mars le retrait de l’article 1er du projet de loi sur les droits d’auteur qui aurait légalisé la licence globale, qui permettait à tout internaute de télécharger des oeuvres sans être dans l’illégalité.
Le 21 décembre dernier, le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, avait dû suspendre l’examen de ce projet de loi par les députés après l’adoption, contre son avis, de deux amendements sur l’article premier qui légalisaient le téléchargement sur internet pour usage privé en contrepartie d’une rémunération forfaitaire pour les auteurs.
Mais le cœur du texte, la légalisation des mesures techniques de protection qui permettent de verrouiller le marché de la musique en ligne, est maintenu. Conçus par des sociétés de logiciels à l’intention des industriels de la musique ou du cinéma, ces DRM sont des verrous très contraignants pour les consommateurs.
Ils répondent cependant à un double objectif : brider la possibilité de copies, quasi infinie, en organisant la gestion des droits numériques ; et faciliter pour quelques grands groupes dominant ces marchés une distribution efficace et lucrative de leurs contenus sur les réseaux.
Les industriels de la culture sont en effet prêts à tout pour lutter contre la copie. En octobre, on découvrait que Sony BMG avait inclus dans deux technologies anticopie installées sur 30 millions de ses CD, un programme caché («rootkit») qui exposait l’ordinateur de l’utilisateur à des attaques à distance. Lors de la lecture des CD sur un PC, le logiciel espion s’installait dans le système à l’insu de l’utilisateur, et Sony pouvait ainsi contrôler l’usage fait de ses produits. Si l’internaute tentait de désactiver la protection, il risquait d’infliger des dommages à sa machine. Outre l’atteinte à la vie privée, l’affaire illustre les dangers des DRM pour la sécurité des systèmes.
Point central de la loi, ces systèmes de contrôle et d’ouverture/fermeture de droits numériques seront reconnus et protégés juridiquement. Leur contournement sera interdit, et sanctionné. L’utilisation d’un logiciel destiné à faire sauter un DRM, comme il en circule à foison sur l’Internet, coûtera 750 euros d’amende. L’internaute qui procéderait lui-même à la neutralisation d’un système de DRM, révélant ainsi une motivation sans doute supérieure à celle du simple utilisateur d’un programme interdit, écopera de 3 750 euros de contravention. C’est la mise à disposition d’un logiciel anti-DRM pour permettre sa diffusion sur les réseaux qui sera le plus durement sanctionnée, les peines pouvant aller jusqu’à six mois de prison ferme, assorties d’amendes de 30 000 euros pour ce qui sera traité comme de la contrefaçon.
Les adversaires de la loi ont relevé le paradoxe qu’il y a à légaliser les DRM sans avoir préalablement imposé aux fabricants l’«interopérabilité» (c’est-à-dire la compatibilité) de leurs dispositifs techniques. Le DRM promu par Apple, qui détient aujourd’hui 80 % du marché du téléchargement légal avec son iTunes Music store, empêche par exemple de lire un titre acheté sur sa boutique en ligne sur un autre baladeur que son iPod. Sony, et dans une moindre mesure Microsoft, agissent de même. Et les acteurs du logiciel libre sont exclus de ce nouveau marché.
Impuissant à imposer l’interopérabilité à des industriels aux stratégies mondiales, le gouvernement promet de la «garantir» en l’évoquant noir sur blanc dans sa loi. Il ne sanctionnera pas les internautes qui les contourneraient à seule fin de mettre en oeuvre l’interopérabilité. Ceux qui feraient sauter le DRM d’Apple non pour copier à outrance, mais pour pouvoir l’écouter sur leur baladeur numérique d’une autre marque ne seraient donc pas sanctionnés.
Le projet de loi, qui suscite une controverse passionnée en France suivie par des millions d’internautes et les créateurs des industries musicales, doit faire l’objet d’un vote solennel le 15 mars.

Sources : lemonde.fr, libération.fr
Juliette PRAVIN