Tandis qu’il y a 25 ans la bande FM s’ouvrait, les héritières des « radios libres » s’inquiètent aujourd’hui pour leur avenir, celui-ci étant menacé sur divers fronts. Les 550 radios associatives de France se sont d’ailleurs regroupées sous le label de « Radios en danger ».
Les nouvelles radios sont apparues suite à la naissance de la modulation de fréquence, à son utilisation par le service public avec notamment France Musique puis Radio 7 et à sa généralisation sur les postes récepteurs.
Radio Caroline, station britannique et ancêtre des radios libres, émettait dans les années 1960 à partir d’un bateau situé en dehors des eaux territoriales françaises et britanniques.
La première radio libre pirate française n’apparaîtra qu’en 1969 à l’Université de Lille, son nom : Radio Campus. Par la suite, les émissions clandestines s’enchaînent dans les années 1970, ce qui aboutit à des saisies d’émetteurs et des sanctions judiciaires.
François Mitterrand, candidat socialiste aux présidentielles de 1981 s’engage à libéraliser les ondes. Suite à son élection, de nouvelles radios sont immédiatement créées. Un grand nombre de radios libres font ainsi leur apparition en 1981 sur des programmations musicales ou communautaires, ce qui aboutira rapidement à un nouveau paysage radiophonique.
La Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) créée par la loi du 29 juillet 1982, qui sera remplacée en 1986 par le CNCL puis en 1989 par le CSA, accorde les autorisations d’émettre après sélection à l’issue d’un appel à candidatures. Les conditions sont strictes : seule une association peut se porter candidate, une seule fréquence peur être attribuée par opérateur, la puissance d’émission est fortement limitée et la publicité interdite. Certaines radios doivent partager leur fréquence. Les nouvelles radios trouvent ces conditions trop contraignantes et les attaquent afin obtenir des transformations. D’abord elles diffusent de la publicité à l’antenne puis augmentent leur puissance d’émission mais TDF peut en représailles pratiquer des brouillages.
Dès 1982, ces nouvelles radios captent déjà 20 % de l’audience.
Le fonctionnement des radios associatives
L’aide publique aux radios locales associatives est prévue par le décret du 29 décembre 1997 pris en application de l’article 80 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication.
Le financement des radios associatives françaises est une exception propre à la France, celui-ci est basé sur une aide automatique annuelle du Ministère de la Culture et de la Communication établie à partir des comptes de chaque station. Cette subvention provient d’un fonds de soutien à l’expression radiophonique (FSER) constitué par les taxes fiscales prélevées sur les recettes publicitaires des médias commerciaux.
Ce système permet à ces radios chargées d’une « mission sociale de proximité » de fonctionner sans dépasser le plafond de publicité auquel elles ont droit, soit 20 % de leur chiffre d’affaire et habituellement celle-ci tourne autour de 5 à 7 % des recettes. Pour certaines radios comme Radio Libertaire, ne pas diffuser de publicité à l’antenne est un choix délibéré.
Le communiqué n° 34 du CSA effectué en 1989 définit cinq catégories de radios appelées catégorie A, catégorie B, catégorie C, catégorie D et catégorie E. Il les distingue grâce à une combinaison de critères qui sont la nature thématique ou généraliste du programme, le caractère local ou national de la diffusion, la vocation commerciale ou non de l’opérateur, son indépendance capitalistique. Ainsi la catégorie A regroupe les services commerciaux ou plus précisément les radios éligibles au fonds de soutien à l’expression radiophonique, c’est-à-dire dont les ressources commerciales provenant de ressources publicitaires ou de parrainage sont inférieures à 20 % de leur chiffre d’affaire total (article 80 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication). Ces radios, exploitées par des associations ou des fondations, ont pour finalité d’être des radios de proximité, communautaires, culturelles ou scolaires. Le CSA, afin d’aider ces radios fragiles financièrement, leur permet d’accéder à un prestataire extérieur pour la fourniture de programmes dont elles assurent la diffusion. Cependant, il ne doit pas y avoir d’identification possible à l’antenne du fournisseur de programme ni d’insertion de messages publicitaires dans les programmes fournis. Pour sa part, l’abonné a l’obligation de conserver son indépendance à l’égard de son fournisseur. Toutefois, le fournisseur de programmes peut être identifié lorsqu’il ne poursuit pas d’objectif commercial, a un statut associatif et que la fourniture est effectuée à titre gracieux.
Les ressources des radios associatives sont très variables. Le Fonds de soutien représente la part la plus importante : plus de 50 % du budget pour 40 % des radios et 70 % voire plus pour 15 % d’entre elles. Les recettes publicitaires sont importantes pour une soixantaine de radios pour lesquelles elles dépassent 10 % de leur chiffre d’affaire. Les autres ressources dont bénéficient quelques radios associatives proviennent du fonds d’action sociale, des subvention des collectivités locales, des cotisations et des dons.
La notion de « chiffre d’affaire total » qui doit être pris en considération pour attribuer l’aide à une radio « … doit s’entendre comme incluant l’ensemble des ressources courantes de ce service ; (…) parmi ces ressources figurent, notamment les subventions et aides de toute nature attribuées en vue de l’exploitation du service ainsi que, le cas échéant, les produits financiers » (Conseil d’Etat du 5 juillet 2000 « Association Radio Arménie » et « Association Radio Val de Meuse »).
Depuis maintenant deux ans, une trentaine de radios associatives ont disparu pour des raisons économiques. C’est le cas de Radio Utopia à Marseille ou Radio 103 à Périgueux. D’autres comme Radio Lorient ou Aligre FM sont en difficulté.
Les radios associatives qui avec leurs 12 000 bénévoles et 4 000 salariés dont 1 000 journalistes, produisent 70 % de l’antenne radio, estiment qu’aujourd’hui leur mode de financement est menacé. Un projet de décret envisage en effet de limiter l’aide automatique, ce qui pousserait certaines de ces radios associatives à accepter plus de publicité et à basculer par conséquent du côté des radios commerciales et d’autres au silence radio. Philippe Vanini, directeur d’Aligre FM, précise qu’une de leurs missions est de « lutter contre l’intoxication publicitaire ».
Les menaces pesant sur la station Aligre FM et le projet de réforme
Aligre FM a récemment été menacée de coupure d’antenne par TDF en raison de problèmes financiers.
Née en 1981, au moment de l’explosion des radios libres, Aligre FM est l’une des dernières stations emblématiques de cette époque et son directeur d’ajouter : « Beaucoup ont disparu à la fin des années 1980. C’est un champ de ruines. Certaines ont choisi de passer dans la catégorie B, en diffusant de la publicité locale. Elles ont été avalées par de plus gros réseaux ».
La radio associative francilienne a été sommée de payer à TDF, son diffuseur avant le 28 février une dette de 11 000 euros.
Aligre FM emploie huit salariés dont cinq techniciens, son fonctionnement repose principalement sur les quatre-vingt bénévoles.
Depuis l’augmentation des coûts de diffusion, un quart de son budget, soit 20 000 euros par an est destiné à Télédiffusion de France, ce tarif est identique pour les radios associatives et commerciales.
Petite précision, les radios parisiennes n’ont que trois moyens pour diffuser leur programme : TDF qui a perdu sa mission de service public en 2004 avec la fin du monopole et dont les capitaux sont devenus majoritairement privés avec le retrait de France Télécom, Towercast qui est une filiale de NRJ ou l’autodiffusion.
Aligre FM fait partie de ces radios associatives qui ne diffusent pas de publicité, elle se contente de quelques partenariats et de subventions d’organismes européens ou étatiques.
Suite à la menace d’une fermeture le 28 février 2006, elle a lancé une campagne de soutien et demandé de l’aide à la mairie de Paris et au Conseil régional d’Ile de France par l’intermédiaire du député socialiste Patrick Bloche. Ce à quoi a répondu la mairie : « A l’exception de Radio Campus Paris, une radio étudiante, nous ne subventionnons aucun média quel qu’il soit, fût-il destiné à une audience parisienne ». Le Conseil régional quant à lui n’a toujours pas crée de programme-cadre destiné aux radios et télévisions locales, seules quelques aides distribuées sur des projets précis.
Aligre FM dénonce une « grave atteinte à la liberté de la presse » et s’insurge que « TDF semble plus soucieuse de satisfaire ses actionnaires par une politique de rentabilité exacerbée que de contribuer à l’équilibre du paysage audiovisuel français, si indispensable pourtant à toute démocratie de ce nom ».
La disparition de Aligre FM dite « radio apolitique à vocation sociale et culturelle » selon l’un de ses animateurs bénévoles serait une véritable catastrophe pour ses 50 000 auditeurs, ce serait « une atteinte à la démocratie » selon Philippe Vannini, directeur de la station.
Début mars, le Conseil régional d’Ile de France a accordé une subvention de 4 000 euros à la station et TDF a accepté un échéancier pour sa dette de 11 000 euros.
La radio s’est donc sortie d’affaire pour cette fois.
Le projet de décret élaboré en février 2006 par la Commission du ministère de la culture et de la communication privilégierait une aide sélective et non plus automatique aux stations. Une sélection basée sur l’étude, chaque année, de leur ligne éditoriale, de leur fonctionnement et même de leur audience, suivie d’une sorte d’inspection dans la station. Autant de dispositions susceptibles de déstabiliser des radios pour lesquelles cette aide représente la seule part pérenne de leur budget car seules certaines radios bénéficient d’aides de collectivités locales ou des régions et ce n’est pas le cas des huit radios associatives parisiennes.
Les héritières des « radios libres » s’inquiètent de cette réforme de leur mode de financement. Et selon le collectif « Radios libres en danger », la réduction de la part automatique des aides distribuées aboutirait « à la disparition d’un grand nombre de radios et à la précarisation extrême des autres ».
Parallèlement, certains sénateurs proposent d’augmenter le plafond autorisé pour les recettes des radios associatives fixé actuellement à 20 % du budget et de tenir compte de l’audience pour l’allocation des aides financières. Mais ce principe va « à l’encontre de la philosophie des radios associatives », celle-ci étant d’avoir une « mission sociale de proximité et non de faire des émissions commerciales ».
Le collectif « Radios libres en danger » et la Fédération des radios associatives de l’Ile de France ont défendu, samedi 25 mars 2006, le fonds de soutien à l’expression radiophonique (FSER) qui assure le fonctionnement des 550 radios libres en France en organisant une manifestation devant le Centre Pompidou à Paris, celle-ci avait réuni un millier de personnes. Peu de temps avant, Aligre FM avait déjà appelé à un rassemblement de toutes les radios associatives sur le parvis du Beaubourg afin que les diffuseurs cessent de leur appliquer une base tarifaire identique à celle des radios commerciales et baissent par là même leur prix.
Sources :
– www.liberation.fr (17 février 2006 – 7, 22, 25 mars 2006)
– www.permanent.nouvelobs.com (février et mars 2006)
– GAVALDA C. et SIRINELLI P., Lamy droit des médias et de la communication, Paris, Lamy, Tome 2, 2004
Laurie MOUNE