Les rebondissements du projet de loi DADVSI ne cessent de se renouveler, et avec une certaine régularité ! Les différentes versions du projet ne semblent satisfaire personne, quel que soit le camp. Les revendications ne se tassent pas et leurs auteurs, loin d’être épuisés par les mois de lutte qui viennent de s’écouler, affichent toujours une virulence des plus acérées. Celle-ci vient d’être ravivée depuis le dépôt des amendements proposés par le Sénat.
Une fois encore, l’article 7 est à la source des débats. Rappelons qu’il légalise les Mesures Techniques de Protection (MTP) et prévoit également leur nécessaire interopérabilité. Au titre des MTP, les contestations ont été nombreuses et fort disparates ; au titre de l’interopérabilité, c’est essentiellement Apple qui a fait entendre sa voix. Ses revendications à l’encontre du texte semblent néanmoins avoir été entendues par les sénateurs.
A l’origine, ce qui déplaisait à la célèbre société était le fait de devoir « partager » le marché, tant des contenus téléchargés que des baladeurs, avec ses concurrents. En effet, l’interopérabilité neutralise le dispositif de protection de ses contenus, à la base même de l’économie de son système, basé sur l’exclusivité. Alors que l’article en question légalise les MTP, dans l’intérêt des entreprises du secteur, il paraissait surprenant de devoir anéantir les droits exclusifs que celles-ci parvenaient à négocier.
La colère des dirigeants s’est manifesté dès le vote du projet à l’Assemblée Nationale (voir article « L’article 7 du projet de loi DADVSI croque dans la pomme », du 24 mars 2006, par Philippe Mouron). Apple a menacé de fermer son site iTunes français et d’abandonner le marché local. Une délégation de représentants de la société est même venue courtoisement faire pression sur les sénateurs.
Ceux-ci ne semblent pas y avoir été insensibles, même si Apple a officiellement essuyé une suite de refus. Ainsi, les nouveaux amendements 17 et 18, apportés par la Commission des Affaires Culturelles du Sénat, viennent réviser la rédaction de l’article 7 du projet dans un sens pleinement satisfaisant pour ce géant de l’industrie musicale. En effet, les modifications apportées abolissent le principe d’interopérabilité, ainsi que celui de non-brevetabilité des MTP, qui constituait une garantie supplémentaire.
En contrepartie, le Sénat propose d’instituer une Autorité de Régulation des MTP, qui serait compétente spécialement lorsque l’utilisation de telles mesures aurait pour effet d’apporter des limitations non prévues à l’exercice des droits d’auteur. De plus, elle pourrait aussi intervenir aux fins de conciliation en cas litige relatif à un défaut de compatibilité ; l’interopérabilité se trouve donc reléguée au rang d’une exceptionnelle solution d’espèce.
L’attitude du Sénat a de quoi choquer alors que le débat n’est toujours pas éteint relativement aux MTP. Alors que l’insertion du principe d’interopérabilité avait quand même été saluée, préservant l’intérêt des consommateurs à défaut d’exclure les MTP, le texte révisé marque un très net recul de leur liberté.
De plus, il crée une nouvelle « para-propriété intellectuelle » (dixit M. Pierre-Yves GAUTIER à propos de l’image des biens), celle des MTP, parfaitement exorbitantes du droit commun. La Propriété Intellectuelle connaît là encore une nouvelle extension abusive ! De même, l’institution d’une nouvelle autorité de régulation pour un champ de compétences aussi restreint paraît quelque peu illusoire.
Enfin, les accusations de partialité vont fuser, au vu du contexte qui a entouré l’édiction de ces nouvelles dispositions. Le texte initiale était déjà suffisamment critiqué à ce niveau et le Sénat n’arrange finalement pas les choses en faisant droit implicitement aux demandes de Apple. Après l’amendement Vivendi Universal, c’est l’amendement Apple qui va attirer les foudres des opposants au projet !
Leur réaction ne s’est pas faite attendre. Immédiatement après la publication du rapport, les contestataires « classiques » du projet DADVSI, au premier rang desquels se trouvent les défenseurs des logiciels libres, ont critiqué fermement les amendements du Sénat. L’application des MTP, couplée avec leur prise en charge obligatoire sur les divers logiciels d’échange, est absolument contraire aux principes mêmes qui régissent les logiciels précités. Les communautés du Libre s’inquiètent donc à nouveau de l’avenir qui leur réservé par le projet.
Au-delà de ce secteur, des initiatives fleurissent de toutes parts pour faire pression sur le Sénat cette semaine ; le vote reprendra en effet ce jeudi 04 mai.
Une marche réunissant les différents mouvements est ainsi prévue à Paris, pour le 07 mai (s’agit-il d’une date symbolique ?).
Des actions publicitaires « anti-DADVSI » vont continuer d’être menées sur Internet, notamment par l’Alliance Public-Artistes, qui n’a pas dit son dernier mot, et le collectif de citoyens StopDRM. Ce dernier est de plus organisateur de la marche du 07 mai.
Enfin, les forums de discussion et autres sites Internet consacrés au projet de loi semblent vouloir faire entendre la voix de la « société civile » et l’on peut attendre que de nouvelles pétitions soient lancées, à l’instar de celle créée par EUCD.INFO depuis déjà le 02 décembre.
Le Sénat prendra-t-il acte des contestations que le projet de loi traîne avec lui depuis des mois ? Ce serait là faire acte d’une véritable régulation, donnant la parole avant tout aux destinataires des normes.
Sources :
– http://www.zdnet.fr ;
– http://www.lepoint.fr .
Philippe MOURON