PRODUIRE EN FRANCE

Trouver le financement d’un film est une tâche difficile et qui demande beaucoup d’investissement. Néanmoins, la logique du mécanisme de financement repose sur des codes précis. Les producteurs les plus expérimentés font tomber le mythe de ce mécanisme.
On peut être le plus expérimenté des professionnels et sentir que le financement d’un long métrage relève du parcours du combattant et ne peut être facilement accessible. Si certains producteurs tentent de conserver l’opacité autour du mécanisme de financement, il semblerait que le chemin, dont les codes sont clairement identifiés, est beaucoup mieux tracé que l’on pourrait le penser.
De nos jours, grâce à l’utilisation du numérique et l’exploitation des films d’animation, il y a des producteurs de plus en plus jeunes, ainsi que des auteurs et réalisateurs, qui croient aux possibilités qu’offre l’industrie cinématographique. Néanmoins, la question est de savoir comment y accéder et pourquoi beaucoup de pays étranger cite en exemple notre système de financement. Ce qui peut sembler paradoxal, c’est que les professionnels reconnaissent que l’argent n’est pas le plus important. Le financement de film s’effectue, en effet, selon des règles simples et bien établies. Ainsi, avant tout, il est indispensable d’examiner la viabilité du projet. Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les producteurs recherchent sans cesse de nouveaux talents qui pourraient apporter un souffle nouveau et des projets intéressant. Il existe différents types de producteurs, qui ont des goûts, des envies et des spécialités différentes. Certains vont préférer des films commerciaux, d’autres mise sur l’originalité ou la qualité de l’œuvre. Mais il subsiste certaines valeurs de base. Alain Rocca, qui est producteur et fondateur de Lazenne Productions (qui a produit des films tels que Les patriotes, L’odeur de la papaye verte ou La haine) qui pense « q’un film, c’est d’abord un assmblege créatif qui sort du commun. Il est assez difficile de trouver ce type de projet et les talent qui l’accompagnent ». Ce critère est bon pour tous les producteurs. Il existe une société italienne, Minerva Picture, qui a ouvert une filière ne produisant que des films d’horreur dont le budget est inférieur à un million d’euros. Le producteur de cette filiale déclare : « Nous sommes sans cesse à la recherche de bons scripts, écrits par des gens qui maîtrisent les règles de ce genre, tout en lui insufflant une certaine intelligence. Nous cherchons des histoires qui se détachent du lot, qui soient bien écrites, qui possèdent un caractère original. Nous cherchons également des réalisateurs qui ont une véritable vision. Je reçois environ cinq scripts par semaine et il est très rare que je tombe sur un projet qui ait une de ces qualités ».
Aujourd’hui, quand on parle de qualité, il peut être intéressant de voir du côté du cinéma d’animation, car c’est un genre qui, par sa technique, repose sur des aspects créatifs et techniques d’une équipe. En effet, la réalisation collégiale entraîne en permanence de remises en question au moment de l’écriture et de la conception du projet. Sur ce point, Paco Rodriguez, producteur exécutif de la société espagnole Filmax (Nocturna, El cid, Pinocchio 3000) : « Sur chaque création, nous effectuons un très important travail de développement. Les scripts sont écrits et réécrits. Nous soignons les dialogues et l’étude des personnages. Et, puisque nous travaillons sur des comédies, il y a toujours un moment où nous mettons à l’œuvre des gags bands : nous enfermons cinq à six auteurs dans une pièce avec pour mission de sortir une profusion de gags pour chaque pages du script. Nous peaufinons ainsi le travail de conception au maximum. Je pense que c’est une pratique qui ne se fait pas suffisamment en Europe, et c’est dommage, car l’Europe a besoin de succès fédérateurs comme l’a pu être Kirikou ». Selon lui, les producteurs devraient s’investir davantage sur le développement des projets. « Nous budgétisons en moyenne 500000 euros pour le développement de nos projets, explique Paco Rogriguez. C’est un investissement qui au bout du compte paye toujours ». On peut en tirer une leçon, quand on pense que les films d’animation sont développés de cette manière aux Etats-Unis et sont parmi les projets les plus rentables. Aton Soumache, producteur et fondateur de Method Film et Onyx films, contredira cette approche : «Avec Renaissance ou Skyland, nous avons tout misé sur la qualité et l’originalité. Un projet comme Renaissance contient typiquement tous les ingrédients qui sont, a priori, impossibles à financer en France : c’est un film d’animation, pour adultes, en noir et blanc, et racontant une histoire de science fiction. De plus, à l’époque, nous n’étions encore personne. C’est bien la qualité et l’originalité de ce projet ainsi que notre détermination qui ont su séduire tout d’abord France 2, puis nos autres partenaires français et étrangers ». De plus, mis à part la qualité du projet, le producteur doit savoir cerner un public, à qui le film s’adresse. Christophe Vidal, qui est directeur de l’établissement de crédit spécialisé Natexis Coficiné, pense qu’un projet doit avoir en vu un marché déterminé. « Les premiers intervenants dans le financement vont être les diffuseurs et les distributeurs. Avant de les approcher, il est donc nécessaires de déterminer ceux d’entre eux auxquels il est opportun de s’adresser et de quelle manière mettre en avant les atouts de son projet. En bref, il est préférable de cibler son film ».
Cette étude de marché tient en trois phases. En premier lieu, il faut établir une liste cible, mais il est important de se rappeler que le marché n’est pas constitué par des spectateurs potentiels mais par des diffuseurs et des distributeurs potentiels. « Bien sûr, au final, les distributeurs et les diffuseurs vont s’adresser au grand public et ils sont donc soucieux de savoir si votre film va toucher le public auquel ils s’adressent. Mais il est tout à fait possible que votre film touche différent types de spectateurs et ait une cible plus large que celle que vise un distributeur en particulier ». Par exemple, certaines productions peuvent être diffusées sur France 2 ou TF1, néanmoins, il est évident que le public est différent selon les chaînes. En second lieu, il faut déterminer à quel distributeur et à quel diffuseur s’adresser, en connaissant leur politique et leur ligne éditoriale, ainsi que les marchés internationaux. Enfin, quand cette liste cible est faite, Christophe Vidal propose d’envoyer les dossiers à tous les prospects : «Certains producteurs ont tendance à contacter leurs partenaires potentiels les uns après les autres, mais à mon avis, c’est une mauvaise stratégie. En envoyant votre projet à tous simultanément, vous bénéficiez d’un effet de concurrence. Vous ne perdez pas de temps à attendre la réponse négative de l’un avant de faire une demande à l’autre et, surtout, votre produit reste frais. Le monde du cinéma est un petit milieu où les gens entendent parler des projets. Si votre projet tourne déjà depuis un an et qu’il a été refusé par plusieurs financiers potentiels et significatifs, il finit par se construire une mauvaise image même si celle-ci est injustifiée ».
Bien sûr, la présentation est importante car le projet doit être le plus abouti possible, en identifiant un certain public. «Il est de plus en plus difficile de financer des produits qui ne sont pas clairement différenciés, c’est-à-dire rattaché à un genre clairement reconnaissable ». Aton Soumache en a fait lui-même l’expérience : «Le film l’Eclaireur de Djibril Glissant que nous produit est un mélange de film d’auteur et de film fantastique, deux genres qui, a priori s’adressent à des publics très différents. Ce cocktail est très délicat à réussir, et nous aurions probablement mieux fait de nous placer clairement dans l’un ou l’autre camp. Pour arriver à réussir ce type de combinaison, comme le fait par exemple David Lynch, il faut tout d’abord que l’auteur acquière une légitimité critique. Une fois qu’il sera reconnu et qu’il aura fédéré un public, il pourra plus facilement se permettre ce type de mélange ». On retiendra de tout cela que, pour financer un film, il faut penser en logique de marché. Il existe un marché pour le film d’auteur et pour les superproduction ou les films d’horreur. Il faut connaître les acteurs du marché et la logique de celui-ci.
Ainsi, chaque producteur est souvent spécialisé dans un type de film. Pour Paco Rodriguez «les films d’animation ont le vent en poupe et les gens qui vont les voir veulent rire avant tout ». De plus, pour Loris Curci « il y a toujours un marché pour les film d’horreur et nous pensons qu’il faut moins de gore et plus de créativité dans les scenarii ». Le marché qui fonctionne en ce moment est le marché de la comédie, ce sont les plus faciles à financer. Christophe Vidal explique que «les gros films sont porteurs d’une image forte. Ils ont souvent été montés ces dernières années sur des franchises ou des adaptations (Les bronzés, Les brigades du tigre…). On peut imaginer à l’avance que le public va les identifier facilement ». En effet, les diffuseurs se battent pour obtenir de tels projets, même s’ils sont rares. On peut se demander si cet engouement n’est pas dû à une histoire de culture et d’envie. Pour les petits films, le risque est faible et le retour sur investissement est parfois très important. De plus, les coûts pour le distributeur et le diffuseur sont moins importants. Au-delà de l’aspect financier, les petits films sont l’occasion pour les producteurs de prendre des risques. C’est ce que confirme Christophe Vidal  « les investisseurs ont souvent envie de faire ce genre de pari ». Un autre avantage de ces petites productions tient au fait qu’elles sont en général très bien ciblées et s’adressent à un public clairement défini. « Le film Tout pour plaire de Cécile Telerman avec Judith Godrèche, Anne Parillaud et Mathilde Seigner visait un public citadin, voire parisien, de femmes trentenaires, poursuit Christophe Vidal. C’était une comédie très accessible qui a parfaitement rencontré et contenté sa cible, et qui, in fine, l’a brillamment élargie ».  « La fourchette du milieu (en terme de budget) a été fortement mise à mal par les besoins financiers des grosses productions, conclu-t-il. Quand 30 à 40% de l’argent disponible vont vers les grosses productions, il en reste forcément moins pour les autres ».
Quant au casting, qu’il s’agisse de petits ou de gros films, on a tendance à entendre dire qu’il est un élément clé sur lequel peut se monter ou se défaire un film. Dans la réalité, les réponses des producteurs et des financiers sont beaucoup plus nuancées sur ce point. Pour un petit film, le casting n’a, en général, pas d’importance. Pour Christophe Vidal, «sur le marché européen, il est très rare que les films, quelle que soit leur taille, se financent exclusivement autour d’un casting, et des films tels que Huit femmes de François Ozon constituent plutôt l’exception que le règle en la matière ». Selon lui, rare sont les acteurs et les actrices suffisamment forts en France pour remplir les salles obscures. Cependant, il est certain que les films à casting « prestigieux » jouissent en général d’une promotion plus facile et sont d’un attrait certain pour les diffuseurs télé et les éditeurs vidéo.
Une fois le projet conçu, il est temps de faire le tour des sources de financement. Le cinéma français fonctionne sur un modèle précis qui autorise certains types de financement et en interdits d’autres. Le producteur doit obtenir une autorisation du CNC, qui regarde alors avec attention les différentes sources de financement et s’assure que ces fonds sont légaux. Cet agrément est indispensable pour obtenir par la suite un visa d’exploitation, sinon, il est impossible d’obtenir une exploitation en salle. Du coup, les films dits « sauvages » (produits avec leurs fonds propres) ne peuvent espérer faire carrière en salle dans des conditions normales. A cause de cette régulation, les options de production amènent les producteurs à suivre un parcours assez balisé. En général, le producteur va commencer par constituer sa part producteur en mettant en participation ses frais généraux et sa rémunération. Ensuite, il cherchera à obtenir un pré achat auprès des chaînes de télévision, qui donne de la crédibilité au projet et rassure les investisseurs. Puis, viennent s’ajouter les différentes aides et subventions, ou encore l’avance sur recette du CNC. Pour compléter le financement, il est possible d’aller chercher un minimum garanti auprès d’un distributeur salle ou d’un distributeur vidéo. Il est également possible d’aller chercher du soutien auprès des SOFICA, qui sont des fonds d’investissement à risque. Il n’existe pas en France de mécanisme permettant de bénéficier de fonds privés dans le financement d’un film. Les SOFICA offrent aux investisseurs des avantages fiscaux et répartissent le risque en investissant sur plusieurs productions de films simultanément. Enfin, si un financement suffisant ne peut être trouvé en France, le producteur se tournera vers des coproductions européennes, qui ouvrent l’accès à d’autres diffuseurs, d’autres parts producteurs, et éventuellement, d’autres mécanismes d’aides locales.
D’autres part, il existe un certains nombres d’autres outils financiers destinés au cinéma, dont les crédits d’impôt. Lorsque le producteur établi son devis, toutes les dépenses effectuées au Luxembourg sont admissibles à un crédit d’impôt de 25%. Le producteur peut alors s’adresser à une banque qui pourra lui prêter une somme équivalente, permettant ainsi au producteur de l’inclure directement dans son plan de financement. La France possède un système de crédit d’impôt beaucoup moins généreux. Il s’applique sur le bilan fiscal de la société qui produit le film, ne dépassant pas 15% et qui ne donne pas accès à un prêt bancaire semblable à ceux accordés au Luxembourg.
Puisque le montage financier est une longue étape et qu’une partie des fonds n’est versée au producteur qu’après livraison ou l’exploitation du film, il est indispensable de s’adresser à un établissement de crédit tel que Natexis Coficiné pour disposer de la trésorerie nécessaire à sa fabrication. Celui-ci peut alors intervenir à trois niveaux. Le crédit de production peut mobiliser jusqu’à 100% du plan de financement. Il est garanti par l’encaissement des contrats qui rembourseront les emprunts, une fois le film terminé. L’établissement peut aussi proposer un crédit de préparation, qui est utilisé un peu avant le tournage, alors que le plan de financement est quasiment bouclé. Enfin, l’établissement de crédit peut proposer un crédit de développement, qui peut intervenir à différentes étapes. Le plan de financement du film n’étant pas finalisé à ce stade, ce type de crédit est beaucoup plus risqué pour l’établissement. Selon Christophe Vidal « même un jeune producteur n’ayant pas encore de film à son actif peut prétendre à ce type de crédit ». L’établissement appréciera le dossier en fonctions de facteurs multiples tels que le réalisateur pressenti, le directeur de production, ou la réaction du marché.
Par ailleurs, la question est de savoir si le producteur pourra finir son film. Pour faire face à cette question, il existe le système de garantie de bonne fin. Il s’agit d’une sorte d’assurance qui recouvre les risques non couverts par l’assurance classique de production, et qui garantit la livraison à bonne date et pour un certain prix du film. Cela signifie qu’en cas de problème de production, les actions nécessaires seront prises pour assurer la finalisation du projet. Ce qui exige parfois des mesures aussi extrêmes que, par exemple, le licenciement du directeur de production ou d’autres membres clefs de l’équipe du film.
Lors du financement, le producteur doit se poser une question cruciale : vaut-il mieux prévendre le film avant que celui-ci ne soit réalisé ou attendre qu’il soit terminer afin d’essayer d’en tirer un maximum ? Sur ce point, les opinions divergent. Il semblerait que les producteurs de films d’animation soient plus enclins à utiliser la prévente que les producteurs de films traditionnels. La raison est simple : la réalisation d’une bande annonce est une pratique courante dans le monde de l’animation. Elle permet en quelques minutes de présenter ce que va être le film, ses personnage et son univers. A l’inverse, un producteur de films traditionnels peut préférer tourner un film avant de le vendre afin de tirer le meilleur parti du produit. Mais la méthode de la maquette utilisée dans le cinéma d’animation gagnerait peut être davantage utilisée pour le financement de films traditionnels, afin de décrocher des préventes plus juteuses.
Au bout du compte, même si les étapes du financement sont relativement claires pour un producteur français, « cela ne veut pas dire que monter le financement d’un film se fait facilement, s’exclame Alain Rocca. Cela n’a pas tellement changé au fil des ans, quoique ce peut être aujourd’hui moins difficile qu’avant ».
Source : Mireille Frenette et Benoît Guerville, Sonovision Broadcast n° 507, mai 2006-07-04

Audrey RAPUZZI