Pour la première fois en Europe, trois français ont enclenché une procédure judiciaire à l’encontre du site collaboratif Wikipedia, sur les fondements de la diffamation et de l’atteinte à la vie privée.
Les plaignants, cadres d’une entreprise, accusent la Fondation Wikimedia, propriétaire de l’encyclopédie en ligne Wikipedia, d’avoir dévoilé leur orientation sexuelle dans un article consacré à leur société. En outre, un commentaire, concernant l’une des personnes, laissait entendre qu’elle avait bénéficié de facilités pour l’obtention de l’agrément permettant l’adoption de ses deux enfants. Supprimé après quelques jours, ce passage restait accessible dans l’historique de l’article.
Dans une ordonnance de référé rendue                     le 29 octobre, le Tribunal de grande instance de Paris n’a                     pas retenu la responsabilité de Wikimedia, reconnu                     alors comme hébergeur et non comme éditeur.                     Il a estimé qu’en dépit des apparences,                     Wikipedia ne fait pas œuvre éditoriale et n’assure                     qu’un hébergement technique aux contributions                     des internautes. Le raisonnement du juge est donc le suivant                     : la fondation n’exerçant aucun contrôle                     sur le contenus des articles, elle n’a pas à supporter                     une responsabilité de type éditorial. Cette                     position confirme la lettre de la loi sur la confiance dans                     l’économie numérique (LCEN) du 21 juin                     2004 qui considère qu’un hébergeur n’est                     pas tenu de contrôler à priori tous les contenus                     qu’il accueille mais doit pouvoir lui être notifier                     un contenu illicite selon une procédure stricte et                     encadrée par la loi. L’hébergeur est                     tenu alors de supprimer sans délai le contenu manifestement                     illicite. Le tribunal estime en l’espèce que                     la notification, pour atteinte à la vie privée,                     des plaignants adressée à la fondation (par                     courriel et à deux reprises) sur les contenus qu’ils                     estimaient délictueux n’a pas été rédigé dans                     les règles prévues par la loi, sans qualifier                     pour autant le caractère manifestement illicite ou                     non des contenues incriminés.
Les propos diffamatoires, malgré leur suppression                     de l’article en question, restaient cependant accessibles                     car enregistrées dans l’historique des modifications                     du texte. L’intervention volontariste de l’organisation                     américaine a alors permis une suppression totale des                     phrases incriminées.
Les plaignants ont ainsi été débouté de                     leur demande de 69000 euros de dommages et intérêts.                     Néanmoins, si Wikimedia n’est pas responsable                     en tant qu’hébergeur (même si ce statut                     ne va pas a fortiori de soit), l’affaire pourrait se                     poursuivre sur un autre fondement, plus judicieux, en impliquant                     directement la responsabilité pénale des internautes                     contributeurs de Wikipedia, et ce, grâce aux adresses                     IP (Internet Protocol) des internautes puisqu’elles                     sont conservées par le site. Mais cette alternative                     pertinente paraît dans le même temps difficile à mettre                     en œuvre avec la multiplication des accès publics à internet                     permettant une quasi certitude d’anonymat.
La décision satisfait les acteurs de Wikipedia qui gardent leur confiance dans l’autorégulation par les internautes mais des grincements de dents se sont fait entendre du côté des médias classiques, notamment le quotidien Le Monde, qui, dans son éditorial du 2 novembre constatait que « tout ce qui est interdit aux médias classiques écrits et audiovisuels est permis sur internet ».
Quand bien même cette décision est de nature à préserver la liberté d’expression, et qu’elle n’est qu’une ordonnance qui juge l’évidence, la vigilance est de mise quant au contenu potentiellement préjudiciable qui peut être véhiculé sur des sites collaboratifs tel que Wikipedia où chaque internaute peut contribuer librement à enrichir le site mais ne doit pas pour autant faire oublier qu’il est soumis à la loi qui encadre les usages d’internet, notamment le respect de la vie privée. Les sites participatifs ne disposent toujours pas aujourd’hui d’un régime juridique certain pour distribuer les responsabilités des acteurs. Il faudra alors attendre les premières décisions en appel, et surtout en cassation pour déterminer le régime juridique finalement applicable.
Mathieu LAPOIRIE
Sources :
– Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé du 29 octobre 2007 Marianne B. et autres c/ Wikimedia Foundation (http://www.legalis.net/jurisprudence-decision.php3?id_article=2071)
www.01net.com/
– DEVILLARD (A.), « Wikimedia échappe à une                     condamnation pour diffamation », article du 5 novembre                   2007
www.lemonde.fr/
– FOUCART (S.), « Wikimedia, ni coupable ni responsable »,                     article du 15 décembre 2007