Après avoir bouleversé le milieu du cinéma notamment avec l’apparition des premiers multiplexes français au début des années 90 puis par le lancement de la carte UGC illimitée en 2000, qui avait fécondé de vifs débats, une nouvelle initiative de l’ « enfant terrible » du secteur, annoncée en mai dernier, suscite de nouveau des réactions. La question se posait, concernant la carte, de savoir si les offres proposées par UGC entraient ou non dans le champ des pratiques ayant pour objet ou pour effet « de restreindre ou de fausser le libre jeu de la concurrence sur un marché », qui sont formellement prohibées par l’ordonnance du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence et qui s’applique également au cinéma. Le Conseil de la concurrence avait déjà dû se prononcer sur la pratique de prix prédateurs, susceptibles de mettre en jeu la viabilité des exploitants concurrents et UGC avait été amenée à modifier son offre.
Le débat a été relancé avec l’initiative que l’on peut qualifier sans nul doute, de provocatrice, de la part d’UGC durant le mois de mai dernier. En effet, UGC avait mis en place une nouvelle opération tarifaire, loin d’être passée inaperçue du côté des distributeurs. Etait prévu un tarif unique de 3 euros, dans toutes ses salles, pour tous les films, pour toutes les séances, et ce durant une semaine, du 14 au 20 mai, à l’occasion du Festival de Cannes. Ainsi, si l’offre a fait le bonheur des spectateurs, il en va tout autrement pour les distributeurs.
Il apparaît en effet que les distributeurs sont les moins bien munis contre les risques d’un échec commercial. Ils partagent ces risques avec les exploitants puisque les premiers sont rémunérés proportionnellement aux recettes des seconds. Or, si les exploitants disposent d’une large marge en matière de politique de prix ou de programmation qu’ils peuvent adapter en fonction des résultats d’un film, les distributeurs ne maîtrisent pas le prix payé par le public ni la durée de programmation, les mettant ainsi dans une position inconfortable. Tous les acteurs ne sont pas soumis aux mêmes contraintes et ne subissent pas les mêmes risques et les divergences d’intérêt entre les producteurs, distributeurs et exploitants, ne font qu’amplifier les tensions dans la filière. Le litige opposant la Fédération nationale des distributeurs français (FNDF) à UGC illustre bien ces frictions.
L’on comprend alors mieux pourquoi la FNDF a souhaité alerter les pouvoirs publics de cet évènement. A cette occasion, la FNDF n’a pas manqué de rappeler les problèmes récurrents rencontrés dus à l’inadaptation de la réglementation actuelle relative aux prix et à la concurrence, au contexte économique changeant. La FNDF a également voulu attirer l’attention des pouvoirs publics sur les propositions émises par elle dans le cadre du rapport de Mme Perrot et M. Leclerc sur la concurrence et le cinéma.
Des propositions sont en discussion, et la possibilité d’étendre les compétences du médiateur du cinéma en la matière n’est pas exclue. Selon les rapporteurs, le médiateur du cinéma est l’institution la plus adaptée pour assurer avec efficacité une régulation du secteur, qui favorise la concurrence des marchés tout en poursuivant des objectifs d’intérêt général. Ils proposent une évolution du rôle du médiateur, adaptée aux nouvelles configurations du marché du cinéma : il pourrait intervenir plus fréquemment en cas de non respect des relations contractuelles entre exploitants et distributeurs. Il pourrait également procéder à des médiations en cas de litige sur la fixation des prix de référence dus aux distributeurs. Certaines stratégies de prix prédateurs pourraient lui être soumises avant saisine du Conseil de la concurrence.
Dans la perspective d’une meilleure prise en compte des distributeurs dans les modalités d’exploitation des films, les rapporteurs suggèrent de leur donner un droit de regard sur les prix pratiqués par les exploitants. Mais si cela pourrait répondre à l’inquiétude légitime de la FNDF, la conséquence qui en découlerait pourrait être de restreindre la liberté tarifaire, un tel changement ne serait donc pas à prendre à la légère. En outre, cela pourrait conduire à une uniformisation des prix d’entrée au cinéma, ce qui n’est pas l’objectif. Ainsi, dans le but de préserver la liberté tarifaire des exploitants tout en canalisant les effets de leurs politiques de prix sur les distributeurs, le rapport propose plusieurs alternatives intéressantes : la rémunération proportionnelle aux recettes pourrait être assortie d’une composante forfaitaire, ou encore, pourrait être établi un tarif de référence en cas d’opération promotionnelle réalisée par les exploitants. Les dispositions qui instaurent une rémunération proportionnelle aux recettes, et excluent donc toute marge de négociation entre les opérateurs, pourraient être revues et abrogées.
Source :
Le film français, 17 mai 2008, rapport « Cinéma et concurrence » (mars 2008).
Flore BENHAMOU