Le projet de loi discuté à l’assemblée nationale à partir du 7 octobre a fait grand bruit tant sur son contenu que sur ses motivations. L’opposition a hurlé au scandale et tous les médias ou presque ont dénoncé ce projet comme étant un cadeau du Président de la République à certains de ses amis industriels. Il n’en demeure pas moins que l’offre illégale de jeux sur internet ne cesse de croître et commençait à inquiéter les pouvoirs publics. En effet selon une enquête IPSOS publiée en juillet, il y aurait actuellement entre 4 000 et 5 000 sites actifs sur le marché français, sites qui seraient visités par environ par 3 millions de joueurs. L’addiction au jeu est également un point de débat puisque celle-ci, en nette croissance, est le fer de lance de chaque parti, tour à tour pour dénoncer le projet de loi ou au contraire le soutenir. En effet l’opposition estime que ce projet de loi, loin de régler le problème, ne ferait que l’aggraver et pourrait également conduire à nouveau problème d’addiction chez les mineurs. Le gouvernement soutenant, quant à lui, la thèse inverse « mieux vaut une libéralisation régulée qu’une ouverture subie ». Cependant c’est, entre autre, la remise en cause du monopole de la Française des Jeux et du PMU qui est la mesure la plus décriée puisque cette loi conduit en premier lieu à l’abolition du monopole historique desdits opérateurs. En outre ce « projet de loi relatif à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne » est, comme son nom l’indique, une tentative de réguler le secteur afin de limiter la croissance rapide de l’offre illégale en permettant également à certains sites (une vingtaine pour le moment) de proposer en toute légalité leurs services aux internautes français, ce qui conduirait donc à une libéralisation partielle.
Dans des propos rapportés par Le Monde, M. Gorce (Porte parole du Parti Socialiste sur ce texte) affirme que « Le gouvernement met le doigt dans un engrenage. Ce sera la dernière station avant la libéralisation totale. » L’opposition dénonce également l’opportunité du projet qui n’aurait pas pour but de régler un problème de société mais plutôt de mettre en place un cadre légal avant la coupe du monde de football. La question des paris à cote ainsi que de la publicité pour ce type d’offre est également fortement polémique. Le Parti Communiste Français, soucieux de l’impact de cette publicité pour les mineurs, estime nécessaire qu’elle soit prohibée.
Face aux critiques fusant de toutes part, le gouvernement a mis en avant le caractère strict du cadre légal proposé à l’examen. En effet le texte prévoit en son article premier que l’intervention de l’État dans ce secteur « a pour objet de limiter l’offre et la consommation des jeux et d’en contrôler l’exploitation » et que « l’exploitation des jeux d’argent et de hasard est placée sous un régime de droits exclusifs délivrés par l’État ». Chaque opérateur devra donc être muni d’une licence accordée par une autorité administrative indépendante (l’ARJEL), sur décision motivée, pour pouvoir proposer légalement ses services aux joueurs français. L’obtention de cette licence sera conditionnée au respect par ces opérateurs, d’obligations diverses et variées telles que le respect d’un cahier des charges précis, l’établissement du siège social de l’opérateur en France ou dans la Communauté Européenne, le respect de la vie privée et des utilisateurs et des données personnelles les concernant, etc (articles 10 à 15 du texte). Cette licence, valable cinq ans sera renouvelable mais, bien entendu, non cessible. Le projet « d’ouverture maîtrisée » prévoit également le respect de certaines obligations aux opérateurs ayant déjà obtenu l’agrément (articles 17 à 24). La question du statut de l’Autorité de Régulation des Jeux en Ligne (ARJEL) est envisagée à l’article 25. Cette dernière est qualifiée d’autorité administrative indépendante et aurait entre autres pour mission de délivrer les licences aux opérateurs et de vérifier la conformité des services proposés aux dispositions légales prévues par le texte. L’ARJEL pourrait également proposer des modifications réglementaires ou législatives au gouvernement concernant le secteur des jeux en ligne et devrait rendre un avis sur tout projet de loi relatif aux jeux d’argent et de hasard soumis à un agrément.
En outre l’urgence de ce texte n’est, selon le gouvernement, pas discutable. En effet la nécessité d’une réforme se faisait sentir sur le plan européen. En octobre 2006, la Commission européenne avait envoyé une demande officielle d’information à la France afin d’étudier les dispositions de la législation française concernant la fourniture de services de jeux d’argent. Cette demande avait pour objectif de vérifier la compatibilité de la législation française au regard du droit communautaire et notamment au regard du principe de liberté de prestation des services. Huit mois plus tard la Commission européenne avait officiellement demandé à la France la modification de sa législation en matière de paris sportifs.
Cependant, une récente décision rendue par la Cour de Justice des Communautés Européennes le 8 septembre 2009 a renforcé l’hostilité de l’opposition ainsi que celle des détenteurs du monopole à l’encontre de ce projet de loi. Dans cette affaire la Ligue Portugaise de Football Professionnel et une entreprise de jeux en ligne (Bwin) étaient opposés à Santa Casa, l’organisme ayant les droits exclusifs pour l’exploitation des jeux d’argent et de hasard au Portugal. Le litige était relatif à des amendes qu’auraient reçu les entreprises précitées, amendes infligées par Santa Casa pour la violation de certaines dispositions de la loi portugaise concernant les jeux en ligne. La juridiction Portugaise a préféré surseoir à statuer et a présenté directement à la CJCE une question préjudicielle d’actualité certaine, aussi bien au Portugal qu’en France. En effet, était examinée ici la question de savoir si certaines dispositions de la législation Portugaise en matière de jeux d’argent et de paris sportifs (dispositions qui réservent l’exclusivité à Santa Casa pour l’exploitation de paris sportifs et de jeux d’argent) étaient conformes au principe de liberté de prestation de services posé par le Traité CE. La CJCE a considéré dans cette affaire qu’il existe bel et bien une restriction en matière de jeux d’argent au Portugal. La Cour estime dans un second temps que cette restriction est justifiée « eu égard aux particularités liées à l’offre de jeux de hasard par l’Internet », en raison de « l’objectif de lutte contre la fraude et la criminalité » poursuivi. La Cour considère également que le fait que le site ait reçu un agrément dans un autre pays membre « ne saurait être considéré comme une garantie suffisante de protection des consommateurs nationaux contre les risques de fraude et de criminalité, eu égard aux difficultés susceptibles d’être rencontrées, dans un tel contexte, par les autorités de l’État membre d’établissement pour évaluer les qualités et la probité professionnelles des opérateurs ». Cette décision semble donc justifier la restriction de la fourniture de ce type de service, et ce en raison de la nature des objectifs poursuivis.
La Commission Européenne avait, quant à elle, enjoint la France le 9 juin 2009 de modifier le projet de loi sur les jeux et paris en ligne en lui demandant notamment d’intégrer dans sa législation la prise en compte du fait qu’un site ait reçu un agrément dans un autre pays membre pour la délivrance de licences. Après examen du projet, une fois modifié, la Commission Européenne avait émis un avis favorable le 27 août 2009. L’examen par les députés semblait quant à lui plus ardu. Le texte a, finalement, été adopté le 13 octobre 2009 après avoir été amendé sur plusieurs points et provoqué de vifs débats. L’examen par les sénateurs risque de s’avérer tout aussi peu serein.
Sources :
Lionel Costes, « Adoption par les députés du projet de loi sur les jeux en ligne », Lamy Droit de l’Immatériel n° 53, Octobre 2009
Myriam Busnach