La suppression de la publicité sur France Télévisions n’en fini pas de faire jaser.
Le Ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand se prononçait, le 17 septembre dernier, pour un moratoire de deux années avant la suppression totale et définitive de la publicité sur les chaînes du groupe. Quelques jours auparavant, une proposition de loi avait été déposée au Sénat afin que cela ne se réalise pas avant 2015. Quoi qu’il en soit, le processus ne sera certainement pas achevé dans un an, comme le prévoyait ab initio la loi.
Aujourd’hui, le débat risque fort de tourner court. Dès lors que les vannes financières seraient coupées, ouvrir les antennes à la publicité – a minima en cours de journée – deviendrait une bouffée d’air vitale pour une télévision publique suffocante.
La loi du 5 mars 2009 – dont l’un des principaux desseins consiste en la mise en œuvre de la suppression progressive de la publicité des programmes de France Télévisions – mena à de vifs échanges, notamment à propos des compensations financières afférentes à un tel projet.
Or, l’une des sources principales de revenu des chaînes publiques risque fort de disparaître sous la pression européenne. Il s’agit de la taxe sur les opérateurs de télécommunications, laquelle participe fortement de l’approvisionnement de la dotation publique. Cette dernière est directement visée par un « avis motivé » de la Commission Européenne adressé le 30 septembre à la France et à l’Espagne, laquelle dispose d’un dispositif fiscal peu ou prou similaire. Ainsi l’exécutif européen – qui avait été saisi spécialement par TF1 et M6 – estime-t-il que ce prélèvement de 0,9 % sur les recettes brutes des opérateurs enfreint la législation européenne (soit la directive du 7 mars 2002) qui prévoit qu‘une taxe en matière de télécommunications « doit être spécifiquement et directement liée à la couverture des coûts de la réglementation du secteur », mais également « objective, transparente et proportionnée ». Dès lors, les pays disposent de deux mois pour abolir leurs taxes, sans quoi la Commission les traduira certainement devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).
Le Gouvernement français ne semble guère en clin à se conformer à cet avis, ce qu’illustre la réaction de la Ministre de l’économie Christine Lagarde : « nous n’avons pas du tout l’intention de modifier la législation française en conséquence de cet avis motivé, nous ne partageons pas le point de vue de la Commission européenne ». Quant au Ministre en charge du budget François Baroin, il se dit prêt à défendre sa position devant les juges car, selon lui, il s’agit d’une taxe classique que l‘Union Européenne ne saurait interdire sans outrepasser ses pouvoirs.
Le contentieux risque donc d’être réglé de manière juridictionnelle et il s’agira d’une actualité à suivre au cours des temps prochains.
Cependant, les arguments français risquent de n’être que de peu de poids face à ceux de la Commission et si la CJUE donne gain de cause à cette dernière, il s’agira d’un camouflet sanglant pour l’éxécutif et pour la télévision publique « sans pub ». En effet, cela signifiera la disparition de la principale contrepartie financière à la suppression de la publicité puisque cette taxe avait rapporté 216 millions d’euros en 2009, somme qui devrait se monter à 330 millions d’euros cette année. Or, l’État dote le budget de France Télévisions d’environ 400 millions d’euros chaque année.
Le poids de cette recette est donc considérable, décisif. Et sa disparition serait catastrophique, d’autant plus que les sommes déjà versées devraient être remboursées aux opérateurs des télécommunications.
Si ces derniers n’ont que peu réagi à l’avis de la Commission, cela s’explique certainement par le fait qu’ils soient actuellement en pourparlers avec le Gouvernement au sujet du relèvement du taux de TVA sur les abonnements triple-play. La fédération française des télécoms a néanmoins indiqué qu’elle avait soulevé l’illégalité de cette taxe et alerté les instances européennes dès sa mise en place, et nul ne doute qu’un profond goût de victoire anime actuellement ses membres.
Pourtant, l’on peut s’interroger sur le bien fondé de l’avis de la Commission. Dès lors que ce prélèvement est versé dans un budget qui répond aux principes d’universalité, de non compensation et de non affectation, la question de savoir si les opérateurs des télécommunications sont taxés afin de subvenir à des besoins qui ne les concernent pas directement ne doit plus se poser. Que la création du prélèvement coïncide avec la suppression progressive de la publicité sur France Télévisions et que ce soit la loi traitant du service public de l’audiovisuel qui s’en charge importe peu puisque l’on se situe alors dans le cadre de l’implicite et non de l’explicite qui permettrait à l’exécutif européen d’avancer son argumentation.
De plus, la directive prise en 2002 l’avait été afin de soutenir un secteur des télécommunications au sein duquel beaucoup d’intervenants peinaient à prospérer et nécessitaient donc confiance et sérénité pour se développer. Indéniablement, la conjoncture actuelle diffère à cet égard et les opérateurs ne craignent plus, pour la plupart, de voir leurs comptes se teinter de rouge.
En outre, les limites du pouvoir de la Commission deviennent floues puisque la fiscalité demeure une compétence étatique et n’entre en aucune manière dans le cadre des piliers de l’Union Européenne et des politiques intégrées. Cependant, la légalité de son intervention n’est pas pour autant contestable même si elle peut paraître illégitime, ce qui du point de vue du droit n’entraîne évidemment pas des conséquences similaires.
Enfin, il est à noter que, dans un précédent avis en date du 20 juillet 2010, la Commission Européenne avait apporté son aval au « nouveau système de financement de l’organisme public national de radiodiffusion ». Indirectement, elle approuvait donc – peut-être par maladresse – la « taxe télécoms » ; ce qui la mène aujourd‘hui à se contredire.
À l’inverse, l’on peut également se demander si cette réforme s’avère réellement pertinente ou, du moins, si elle n’intervient pas dans une période inappropriée. Certes, l’objectif est noble : couper le service public de la télévision de sa dépendance à l’égard des annonceurs et donc lui permettre de diffuser des programmes qui, s’ils font moins d’audience que les émissions de télé-réalité pour de basses raisons sociologiques, soient objectivement d’une qualité et d‘un intérêt supérieurs ; mais trouver les fonds nécessaires au financement d’un tel changement est une entreprise fort périlleuse eu égard à la conjoncture économique et à cette crise amorcée en 2007 qui continue à produire ses effets, pillant les caisses d’un État qui aura dans peu de temps pour premier poste budgétaire le remboursement des intérêts de sa dette.
S’attaquer à la publicité peut donc apparaître comme une étrange et coûteuse priorité à l’heure actuelle ; cela d’autant plus à l’aune de la remarquable thèse soutenue en 2007 par Maximilien Nayaradou, à l’université Paris-Dauphine, et qui rétablit de manière incontestable la place de la publicité dans l’économie, en faisant l’un des piliers fondamentaux de la croissance.
Quoi qu’il en soit, si l’abolition de cette taxe se confirme, ce sera un coup de frein patent qui sera porté au processus devant mener à la suppression totale et définitive de la publicité sur les chaînes de l’audiovisuel public. Ce sentiment se voit d’ailleurs renforcé par l’annonce par Frédéric Mitterrand – le 29 septembre, à l’occasion de la présentation du budget du ministère pour 2011 – d’une diminution d’un cinquième de la dotation de l’État à France Télévisions (de 470 à 380 millions d’euros).
Partant, le débat portant sur la date d’achèvement dudit processus n’aura plus grand sens puisqu’il sera devenu impossible de le financer. La viabilité du système avec publicité en journée sera elle-même grandement menacée.
Alors peut-être un autre débat prendra-t-il le relais : celui portant sur le retour des annonceurs après 20 heures.
Sources :
http://www.latribune.fr/technos-medias/medias/20100930trib000554386/taxe-telecoms-paris-refuse-de-se-plier-aux-exigences-de-bruxelles-.html
http://www.eurojuris.fr/fre/entreprises/marketing-ventes/publicite/actualites/taxe-operateur-telecommunication.html
http://www.reseaux-telecoms.net/actualites/commentaires-la-taxation-des-operateurs-telecoms-retoquee-par-la-commission-europeenne-22638.html
http://www.bepub.com/sources/medium/v3_83822_23882m.pdf (thèse de Maximilien NAYARADOU, Synthèse et principales conclusions, publiées par l’ Union des annonceurs)