Le 26 octobre 2010
« Retournez dans votre chambre et allez plutôt regarder toute cette merde sur internet », c’est ainsi qu’a réagi le photographe Larry Clark, en apprenant la décision prise à l’encontre de sa rétrospective « Kiss the Past Hello », présentée au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.
Cette exposition, qui a ouvert ses portes le 8 octobre 2010, a en effet été interdite aux moins de 18 ans en raison du caractère potentiellement pornographique et violent de certaines images.
Comment analyser cette interdiction ? Entre impératif juridique, censure et excès de prudence, les avis divergent et fusent dans tous les médias, spécialement la presse. Après la une de « Libération », la polémique enfle. Quels sont, dès lors, les arguments avancés par les différentes parties ?
Un impératif juridique.
Selon l’article 227-24 du Code pénal, le fait de, soit fabriquer, transporter ou diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, constitue un délit qui est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende dès lors que ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur.
L’exposition au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris constitue la première rétrospective de l’artiste : sur 200 clichés exposés, une dizaine ne sauraient être montrés à un public mineur sans tomber sous le coup de la loi.
Trop de sexe, trop de drogues, la ville de Paris a donc décidé que l’exposition serait interdite aux moins de 18 ans. La loi, modifiée depuis 2007, obligerait-elle de telles mesures par anticipation ? C’est ce que semble dire le Maire de Paris, Bertrand Delanoë, qui ne veut pas « faire courir le risque au conservateur et aux commissaires ».
« La polémique Clark » nous rappelle vaguement, en effet, le procès des organisateurs d’une exposition bordelaise pour diffusion d’images pornographiques à un mineur. A l’origine de l’affaire se trouve l’association de protection de l’enfance « La Mouette », qui avait déposé plainte quelques jours après la fermeture de l’exposition : « Présumés innocents. L’art contemporain et l’enfance ». Cette dernière avait présenté, de juin à octobre 2000 au Musée d’Art Contemporain de Bordeaux, plus de 200 œuvres autour du thème de l’enfance. Après un non lieu en mars 2010, l’association plaignante s’est pourvue en cassation. C’est donc loin d’être une « affaire classée ». Un précédent de la sorte ferait-il peur aux villes qui organisent des expositions dans leurs musées publics ?
En matière d’interdiction, il est bon de rappeler que Larry Clark n’est pas un pionnier : l’exposition « L’enfer » qui se tenait à la Bibliothèque Nationale de France en janvier 2008 et certaines photos de David Hamilton à la Biennale de Lyon en 2007 avaient déjà été interdites aux moins de 18 ans.
Une censure.
C’est certainement de cette manière que l’artiste prend cette interdiction. L’est-ce vraiment ?
Dans notre démocratie actuelle il semble difficile de croire que la « censure » concernant les images de la violence et de la sexualité existe encore. Si les mineurs ne pourront effectivement pas entrer au musée pour voir les photos incriminées, ils pourront facilement les consulter sur internet.
Dès lors, le prétendu problème de « censure » ne se pose plus en tant que contenu mais bien en tant que contenant. En effet, la décision de la Mairie de Paris tiendrait alors surtout à protéger le bien fondé et la légalité d’un service public face à une loi peut-être un peu trop restrictive. Afin d’éviter d’éventuelles poursuites, la Mairie préfère se ranger et suivre la loi. Comment le lui reprocher ?
Parler de censure pour une exposition qui connaît un grand nombre de visiteurs et dont les clichés sont consultables sur d’autres médias semble donc ridicule. Ridicule, c’est aussi ce que certains disent de la loi pénale, visiblement trop large et paradoxalement trop restrictive pour le cas d’espèce.
Pourquoi ne pas tenir compte du statut particulier du musée, premier lieu de conservation, d’exposition et de valorisation des œuvres d’art, pour faire évoluer la loi?
Selon Serge Tisseron, psychanalyste et spécialiste de nos relations aux images, « l’idéal serait d’avoir un système de classifications inspirées, par exemple, de celles en vigueur pour le cinéma ».
Un excès de prudence.
Restreindre de manière préalable l’entrée à une exposition n’est évidemment pas sans conséquences et c’est ce que beaucoup redoutent.
Anticiper la condamnation pénale risquerait de brimer l’expression artistique ou de créer une sorte de précédent en la matière. Désormais, l’on imagine aisément l’enfer que représentera chaque nouvelle exposition aux organisateurs et commissaires de musées qui devront effectuer une interprétation extrêmement pointilleuse de l’œuvre.
Le public sera-t-il privé, à l’avenir, d’œuvres jugées préalablement choquantes par des services juridiques de musées nationaux ?
Qu’adviendrait-il, aujourd’hui, si Gustave Courbet se présentait avec « L’origine du monde » sous le bras pour l’exposer au Musée d’Orsay ? Serait-ce jugé comme de l’art ou du cochon ?
Céline CARRERAS.
Sources:
http://www.legifrance.gouv.fr/
http://mam.paris.fr/fr/expositions/larry-clark
http://www.liberation.fr/culture/01012295001-larry-clark-la-polemique-enfle
http://www.parismatch.com/Culture-Match/Art/Actu/Larry-Clark-La-loi-et-l-art-216913/