« Le 22 novembre 2010, la direction d’i-Télé, après discussion avec Audrey Pulvar, a décidé de suspendre dès aujourd’hui lundi 22 novembre 2010 le rendez-vous quotidien d’information et de politique « Audrey Pulvar soir » diffusé du lundi au vendredi de 19h à 20h et présenté par celle-ci . Cette décision a été prise en raison de la déclaration de candidature d’Arnaud Montebourg à la présidence de la République en 2012, et de ce fait, dès à présent aux primaires du Parti Socialiste et sera effective pour la durée de la campagne[1]. »
C’est donc le lendemain de l’annonce par Arnaud Montebourg de sa décision de se porter candidat à la candidature socialiste à la présidentielle que la décision d’i-Télé (filiale de Canal +) de priver Audrey Pulvar d’antenne a été prise. Le choix de suspendre la compagne du candidat socialiste s’est fait par mesure de « prudence, d’éthique et de déontologie » selon le directeur de la rédaction de la chaîne, Albert Ripamonti.
La suspension injustifiée de la journaliste pose, au-delà des problématiques du sexisme, de l’hypocrisie, du pouvoir et du contre-pouvoir, la question plus générale des relations (compliquées) entre le journalisme et la politique.
Bien qu’Audrey Pulvar ait assuré à plusieurs reprises qu’elle « comprenait et respectait » la décision de la chaîne à son encontre, c’est le rôle entaché de la femme face à ce type de décision qui a suscité, dans un premier temps, les réactions de la protagoniste et de nombreux commentateurs. Il conviendra ensuite de s’attarder sur l’implicite remise en cause de l’impartialité de la journaliste qui est à l’origine d’une telle sanction.
Une « féministe assurée, revendiquée et prosélyte »
Le 24 novembre, lors de sa chronique quotidienne sur France Inter (maintenue, elle), c’est à l’aide de l’œuvre classique « Emile ou de l’Education » de J-J Rousseau qu’elle entend dénoncer le caractère sexiste de sa toute fraîche suspension. En voici un extrait :
« (…) Les femmes sont-elle capables d’un solide raisonnement ? Importe-t-il qu’elles le cultivent ? Le cultiveront-elles avec succès ? Cette culture est-elle utile aux fonctions qui leur sont imposées ? Compatible avec la simplicité qui leur convient ? »
Le 25 novembre, elle s’exprime sur ce même point avec ses propres mots dans une tribune qui lui est consacrée dans « Libération » :
« Aujourd’hui, une femme serait encore condamnée à penser comme et par son compagnon […]. Exerçant le métier qu’elle a choisi, elle serait toujours, au travail et dans la construction d’un raisonnement, incapable de s’émanciper non seulement du jugement dudit compagnon, mais aussi des sentiments qu’elle nourrit pour lui ».
Loin d’être la seule à considérer cette sanction comme une atteinte aux droits des femmes[2], on a tout de même envie de préciser, par souci de justice, que la situation inverse (une femme politique en couple avec un homme journaliste) ne s’est jamais produite ou n’a jamais été connue du grand public jusqu’à présent. Il semble donc aisé d’appuyer une argumentation sur ce seul et unique postulat. La « faute » qui lui est reprochée n’est pas d’être une femme. L’on peut d’ailleurs en profiter pour préciser que les femmes journalistes sont bien plus nombreuses que les hommes dans les émissions politiques télévisées.
Il serait opportun de dépasser ce débat de parité homme/femme (non applicable en l’espèce puisque non vérifiable) pour envisager le véritable (officiel) reproche fait à la présentatrice : elle est journaliste et en couple avec homme politique candidat à la présidentielle.
Une victime d’une certaine hypocrisie caractéristique du secteur
En dehors de tout débat sur la prétendue condition féminine, il serait bon d’envisager cette suspension d’un point de vue de « l’éthique et de la déontologie » comme l’a soumis le directeur de la rédaction d’i-Télé. On reprocherait ainsi un manque de crédibilité à l’égard du public et un manque d’objectivité envers les invités politiques de la part de la journaliste.
La première hypothèse (celle d’un prétendu manque de crédibilité envers les téléspectateurs) en est presque offensante pour le public. Si la journaliste était restée en fonction, le public n’aurait-il pas été d’autant plus attentif quant à l’objectivité des propos tenus par Audrey Pulvar lors de ses entretiens ? Le public, à l’heure de la suspension, était-il d’ailleurs réellement au courant de la relation qu’entretenait la journaliste avec Arnaud Montebourg ?
La deuxième hypothèse (celle d’un prétendu manque d’objectivité envers les invités politiques) reflète une certaine hypocrisie. Les connivences médias/politique ne concernent-elles vraiment que les relations de couples ? Peut-on réellement justifier l’interruption du programme en s’appuyant sur le respect de la sacrosainte indépendance journalistique ? Yves Agnès, dans son ouvrage intitulé « Le grand bazar de l’info, pour en finir avec le maljournalisme » dénonce à cet égard ces « tutoiements et diners en ville » entre journalistes et politiques :
« Les journalistes tutoient les hommes politiques, à l’initiative de ces derniers. Non seulement ils les rencontrent sur leurs « lieux de travail » – les couloirs du palais Bourbon par exemple – mais pour les déjeuners où, entre quatre yeux, on va recueillir des informations off, qu’on ne doit pas rendre publiques mais qui sont des éclairages intéressants, des confidences instructives, bref des informations utiles et pouvant toujours être utilisées plus tard. Ces déjeuners rapprochent, permettant d’établir des relations de confiance et même d’amitié. Dans les fameux « diners en ville », journalistes, dirigeants d’entreprise, intellectuels à la mode et personnels politiques se retrouvent, parfois au domicile des journalistes eux-mêmes. »
A l’heure où le journalisme ne peut que rarement être considéré comme un contre-pouvoir, l’on peut légitimement se demander si le fait d’être journaliste et en couple avec un homme politique de manière publique n’est pas plus « déontologique et éthique » que le fait d’être journaliste invité à une « garden party » politique de manière privée…
Céline CARRERAS
Sources:
– AGNES (Y.), Le grand bazar de l’info: pour en finir avec le maljournalisme, Michalon, Paris, 2005.
– PULVAR (A.), Animale sauvage, “www.liberation.fr/politiques/01012304458-animale-sauvage”.
– PULVAR (A.), Nègre je suis, nègre je resterai, “http://sites.radiofrance.fr/franceinter/chro/a-rebousse-poil/index.php?id=96625”.
– SALINGUE (J.), Suspension d’Audrey Pulvar: l’arbre qui cache la forêt, “www.acrimed.org/article3491.html”.
– www.lefigaro.fr, Audrey Pulvar privée d’antenne sur i-Télé, “http://www.lefigaro.fr/politique/2010/11/22/01002-20101122ARTFIG00427-audrey-pulvar-privee-d-antenne-sur-itele.php”.
– www.lepost.fr, Pulvar suspendue d’i-Télé: “j’ai cru pouvoir être jugée sur pièces“, “http://www.lepost.fr/article/2010/11/26/2318926_pulvar-suspendue-d-i-tele-j-ai-cru-pouvoir-etre-jugee-sur-pieces.html”.
-www.lexpress.fr, Montebourg candidat, Pulvar privée de politique, “http://www.lexpress.fr/actualite/politique/montebourg-candidat-pulvar-privee-de-politique_938818.html”.
[1] Communiqué de la direction d’i-Télé.
[2] Martine Aubry, Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Sarkozy se sont, entre autres, ralliés à son opinion.