Début octobre dernier, alors que s’achevaient au Japon les ultimes négociations sur le traité « ACTA », ce dernier pourrait finalement ne jamais voir le jour. En effet, les nombreux conflits opposant les Etats Unis à l’Union Européenne sur l’interprétation de certaines dispositions de l’accord, le rejet de celui-ci par les Etats du sud et le mécontentement de la société civile ont tendance à le priver de tout intérêt législatif ainsi que de sa légitimité.
Le premier point qui fait obstacle à la signature du traité entre les deux blocs, concerne la définition du périmètre du traité. Alors que les américains entendent que l’ACTA protège uniquement les marques commerciales, les européens souhaiteraient étendre le champ d’application de l’accord aux appelations d’origine contrôlées, permettant à certaines régions de réserver l’exclusivité de l’usage du nom de leurs produits (camembert, parmesan, champagne). Toutefois, le TACD a diffusé un document confidentiel de la commission européenne daté du 3 novembre dernier, selon lequel les Etat Unis auraient finalement accepté d’intégrer la protection des indications géographiques dans le périmètre du traité.
Le même document rapporte que la commission refuserait de protéger les DRM par des mesures techniques autres que celles destinées à lutter contre le contournement de celles-ci pour la copie ou la diffusion des oeuvres. Pour la commission, le contrôle de l’accès aux services propice à la lecture des oeuvres, ne doit pas être confondu avec la violation des droits de la propriété intellectuelle. Les européens sont sur ce point en contradiction avec les américains, ces derniers considérant que la mise à disposition, gratuite ou payante, d’appareils ou de logiciels dédiés au contournement des mesures de protection, doit être répréhensible.
Les Etats Unis et l’Europe sont par ailleurs en désaccord sur certaines dispositions du chapitre internet du traité. En effet, les européens sont contre l’idée de rendre directement responsables les prestataires techniques, des actes de piratage sur internet. Ils rejettent également les mesures sur la riposte graduée et le filtrage des sites présumés pirates qui constituent une atteinte aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs d’internet. Néanmoins lors du dernier round, il semblerait que les deux blocs soient parvenus à trouver un compromis sur ces dispositions tant contestées, en privilégiant la coopération commerciale entre les états dans le respect des droits fondamentaux et de la vie privée.
Parmi les points de divergence restants, les Etats Unis ne souhaitent pas appliquer les mesures de droit civil aux brevets, dans le sens où cela risquerait d’entraver le commerce international des produits, et notamment celui des médicaments génériques. Les producteurs de médicaments originaux pourraient alors intenter des actions en justice à l’encontre des producteurs de molécules de substitution, réveillant ainsi le spectre des saisies de lots génériques dans les pays de transit où le produit original est protégé. L’issue des négociations sur cet aspect du traité est encore très floue, mais l’Union européenne et la Suisse font pression sur les USA pour obtenir gain de cause.
Le seul point où les deux continents soient parvenus à un accord plein et entier, concerne à ce jour, la condamnation pénale des infractions de piratage sur une échelle commerciale, commises notamment par la voie des réseaux « peer to peer ».
De plus, l’ACTA est à l’unanimité rejeté par les pays du sud et notamment ceux du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine). Ils dénoncent un accord « taillé sur mesure pour les puissances du nord » qui, loin de partager une vision plus libérale des droits de la propriété intellectuelle, ont tendance à vouloir réduire l’influence de ces états auprès de l’OMPI et de l’OMC. En réalité, les pays industrialisés n’ayant plus aucun moyen de pression au sein de ces organisations, ont préféré recourir à une nouvelle forme de coopération internationale, afin de préserver leurs intérêts.
Outre les différends existants entre l’Union européenne et les Etats Unis, l’ACTA subit depuis sa révélation au grand public, de violentes critiques de la société civile. On reproche notamment aux parties prenantes à l’accord, d’avoir négocié le traité en dehors des enceintes multilatérales et dans le plus grand secret, ce qui a donné lieu a beaucoup de spéculations. Il est également reproché au texte, d’interférer avec les libertés fondamentales et d’englober toutes les catégories de propriété intellectuelle, en y applicant une seule batterie de mesures en matière d’actions en justice et de dédommagement.
Des doutes subsistent par ailleurs quant à la compatibilité de l’ACTA avec les législations nationales, bien qu’il soit prévu en son article 1.2 que « Chaque partie est libre de déterminer la méthode appropriée permettant l’intégration des dispositions de cet accord dans son propre système juridique ». Cela pourrait’ il être interprété comme une possibilité pour un pays de l’Union Européenne de ne pas modifier tout ou partie de sa législation qui ne serait pas conforme avec le traité international, ou alors de faire une interprétation plus ou moins libre des dispositions de ce dernier ?
Enfin, la création d’un « comité ACTA » prévue aux articles 5 et 6 du traité, qui pourra proposer des amendements modifiant le texte de l’accord après sa signature, sous réserve de leur acceptation ultérieure par les parties, laisse planer la menace d’un processus législatif parallèle anti-démocratique.
Cependant et contre toute attente, le parlement européen a adopté le 24 novembre dernier une résolution ouvrant la voie à la ratification du traité en Europe, après la conclusion des négociations d’octobre dernier.
Il n’en résulte pas moins, que l’ACTA reste toujours aussi fragile et que de nombreux groupements associatifs et lobbies appellent à rejetter le texte.
SOURCES :
http://www.numerama.com/magazine/17078-les-etats-unis-pourraient-abandonner-l-acta.html
http://www.alliancesud.ch/fr/politique/commerce/download/1011_Memo%20ACTA%20DB%20-%20AS_Final.pdf
http://www.numerama.com/magazine/17271-une-fuite-devoile-les-intentions-europeennes-pour-l-acta.html
http://www.numerama.com/magazine/17657-un-premier-cable-diplomatique-de-wikileaks-sur-l-acta.html