Quatre couples, séparés durant 12 jours, soumettent leur amour à la tentation. Filmés quotidiennement dans un décor de rêve, ils vont se livrer à des activités uniques, en compagnie de célibataires de sexe opposé, exhibant sans complexe leurs plus beaux atouts. À l’issue de ce séjour, les participants font le point sur leurs sentiments et choisissent de repartir ensemble, ou séparément. Tel est le concept de l’émission de téléréalité «L’ Ile de la tentation».
Il n’y a toutefois ni gagnant, ni récompense. Les participants ont seulement signé un acte intitulé « règlement participants » qui prévoit que le candidat doit toucher 1 525 euros, mais aucun contrat de travail n’a été prévu. Ils se sont donc livrés à un vrai bras de fer judiciaire afin d’obtenir la requalification de leur « règlement » en contrat de travail. En l’espèce, le doute est permis : le tournage de l’émission constituait-t-il une prestation de travail exécutée dans un lien de subordination, ou bien un simple divertissement à des fins purement personnelles entre adultes consentants ?
Rappelons brièvement les règles du droit du travail en vigueur. Tout d’abord, rappelons que l’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs (Cass.soc., 19 décembre 2000, 1er décembre 2005). Dès lors, en l’espèce, l’existence du « règlement participants » au programme « île de la tentation » ne permet pas en soi d’exclure celle d’une relation de travail subordonnée. Le juge a donc l’obligation de rechercher ces conditions de fait en vue de procéder à une éventuelle requalification de la relation contractuelle liant les parties (article 12 du nouveau code de procédure civile).
En outre, le contrat de travail est caractérisé par 3 éléments: la fourniture d’un travail, le paiement d’une rémunération et l’existence d’un lien de subordination. C’est ce dernier élément qui distingue le contrat de travail d’autres types de contrats et constitue le fondement des procédures judiciaires de requalification. Selon la jurisprudence constante de la Cour de Cassation en la matière, “le lien de subordination se caractérise par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » (Cass. soc., 13 novembre 1996).
C’est cette qualification qu’a retenu la Cour d’appel de Versailles le 5 avril 2010, s’agissant des contrats liant des ex-candidats de l’émission de téléréalité « L’Ile de la tentation » à la société GLEM, filiale de TF1. La requalification de ces contrats en contrat de travail s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur ce sujet (Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-40.981, Sté Glem c/ Brocheton).
En effet, le 3 avril 2009, le juge avait déjà considéré que les participants à l’émission « L’Île de la tentation » effectuant « une prestation de travail sous la subordination de la société Glem» étaient « liés par un contrat de travail à la société de production ». Les conditions de faits dégagées étaient nombreuses, précises et astreignantes : « obligation de prendre part aux différentes activités et réunions », devoir de « suivre les règles du programme définies unilatéralement par le producteur », impératif de respecter « les heures de réveil et de sommeil (…) fixées par la production », soumission à « une disponibilité permanente, avec interdiction de sortir du site et de communiquer avec l’extérieur », ainsi que prendre des photos. En outre, le règlement stipulait que « toute infraction aux obligations contractuelles pourrait être sanctionnée par le renvoi », ainsi que le remboursement des sommes perçues et même le paiement de 15 000 € par infraction au règlement. On reconnaît bien, a priori, des directives données par un employeur, le suivi d’une exécution qui s’assimile au contrôle exercé par celui-ci (développement, dans le temps, d’activités, de réunions et de programmes), des règles de discipline avec des interdits (quitter le tournage et communiquer) et des sanctions.
Par conséquent, en l’espèce, TF1 devra s’acquitter de 15.000 à 17.000 euros pour chacun des 56 candidats. C’est un moindre mal pour la chaîne. En effet, les plaignants réclamaient entre 400.000 et 600.000 euros de dommages et intérêts chacun.
La qualification de « travail dissimulé » et le statut d’artistes-interprètes ne leur ont toutefois pas été accordés. Selon la cour de Versailles, ces derniers « n’avaient pas à interpréter une oeuvre artistique, ni des personnages ; ils n’avaient aucun rôle à jouer ni aucun texte à dire et il ne leur était demandé que d’être eux-mêmes et d’exprimer leurs réactions face aux situations auxquelles ils étaient confrontés ; le caractère artificiel de ces situations et de leur enchaînement ne suffit pas à donner aux participants la qualité d’acteurs ».
A l’avenir, cet arrêt pourrait établir un minima d’indemnités pour des candidats de la téléréalité désireux de faire valoir leur « rôle » d’acteurs. Des programmes comme “Koh Lanta” sur TF1 ou encore “Pekin Express” sur M6 pourraient donc être inquiétés au même titre que “L’Ile de la tentation” avec respectivement 40 jours et 45 jours de tournage organisés pour chaque candidat contre douze pour les tentateurs et tentatrices de TF1.
Quoi qu’il en soit, cette nouvelle jurisprudence a de quoi faire naître des vocations…
Références: