Déjà annulée il y a un mois, la fusion CanalSat-TPS est à nouveau soumise à l’Autorité de la concurrence par le groupe Canal +, dans l’espoir d’un accord lui permettant de garder un semblant d’hégémonie.
A sa création en 1984, Canal Plus a été considérée d’emblée comme un véritable phénomène qui bousculait les habitudes d’un monopole public antédiluvien, et proposant pour la première fois un concept de chaîne payante. Le développement du groupe Canal Plus a pris son envol avec CanalSat son bouquet satellitaire et s’est accru dangereusement avec le rachat de TPS il y a six ans. Cette opération avait été à l’époque validée par le Ministre de l’Economie Thierry Breton, sous réserve toutefois de remplir 59 conditions, nécessaires pour éviter une situation inconfortable de monopole. Et pour vérifier que les engagements des parties ont été correctement remplis pour ce genre de grosse et controversée opération, une clause dite de rendez-vous a été prévue pour la rentrée 2011.
Le 29 septembre dernier, l’Autorité de la concurrence a rendu une décision cinglante à l’encontre du groupe. La raison est que Canal Plus a « appauvri » la chaîne TPS Star qui proposait des programmes exclusifs de sport et de cinéma. Canal s’était engagé à maintenir selon les accords « la qualité générale » des programmes de TPS Star. C’est l’inverse qui s’est produit. La chaîne a été rabougrie peu à peu : le budget est passé de 131 millions d’euros en 2006 à 85 millions d’euros en 2009, ce qui ne manque pas d’interpeller. Quant aux programmes eux-mêmes, TPS Star a vu sa quantité de films américains à succès (synonymes d’audience) réduire de moitié, et leur qualité en a aussi pâti au passage. Quant au sport, alors que la chaîne diffusait des rencontres variées comme le basket-ball, la boxe ou encore le golf en plus du classique football, elle n’est désormais tournée que vers le ballon rond à peine un an après son rachat. Le plus flagrant reste la quantité diffusée : de 9 heures 45 de sport par semaine à 3 heures 35. Les matchs diffusés sont sans intérêt comparés à ceux que Canal Plus et Canal Plus Sport se réservent, c’est-à-dire les grosses affiches ou championnats majeurs (Ligue 1, Premier League, Champions League). Toutes ces erreurs ont eu pour effet de dégrader l’audience de TPS Star, passée de 0,8% en 2005 à 0,2% en 2010. Evidemment, il ne faut pas y voir qu’une suite de coïncidences.
Le groupe Canal Plus se défend en précisant par communiqué que « les conditions de la concurrence qui prévalaient en 2006 sont en effet totalement bouleversées et la décision de l’Autorité ne prend absolument pas en compte l’univers nouveau qui résulte notamment de l’intervention massive sur le marché de la télévision, des géants de l’Internet et des opérateurs télécoms » et qu’”il n’est naturellement pas envisageable de remettre en cause une fusion intervenue voilà près de cinq ans”. Le groupe a d’ailleurs prévu d’engager les recours qui s’imposent. Cependant, il se peut que Canal ait appauvri TPS Star volontairement. Selon les accords de 2006, cette chaîne avait vocation à être développée autant sur le contenu des programmes que sur le contenant (TPS Star n’a d’ailleurs pas bénéficié des mêmes avancées technologiques que Canal Plus). Après cette période transitoire, Canal + aurait dû offrir la TPS Star aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) comme Orange, Free ou Bouygues Télécom, comme convenu dans ses obligations. Dès lors, les FAI auraient pu prendre le relais et développer le contenu dans le cadre de la Télévision connectée. Il apparaît alors que Canal Plus a pu volontairement appauvrir le contenu de TPS Star pour éviter d’avoir à livrer la chaîne à ses concurrents et se priver ainsi d’une certaine hégémonie qui lui sied depuis maintenant cinq ans. Considérant que Canal Plus n’a pas rempli 10 des 59 engagements nécessaires pour valider la fusion, l’Autorité a décidé purement et simplement d’annuler l’opération et de lui infliger pas moins que 30 millions d’euros d’amende.
C’est la première fois que l’Autorité de la concurrence procède à un retrait de décision, qui plus est de manière aussi radicale. Il est clair que l’ambition de cette autorité administrative indépendante, jumelle du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) en ce qui concerne les décisions dans le domaine des médias, est de prouver le poids de ses décisions (ainsi que celles du CSA) à un groupe de chaînes dont l’importance économique est certaine. TPS étant définitivement enterrée, il n’est a priori pas question d’empêcher la fusion d’être réalisée, ce qui aurait des conséquences fâcheuses sur un plan économique et social.Canal + revient donc devant l’Autorité pour défendre le dossier et faire confirmer son achat de TPS. Si la fusion est autorisée, les obligations à l’égard de Canal Plus risquent d’être importantes avec un nouveau contrôle prévu. Pour rendre sa décision, l’Autorité a 25 jours ouvrés dans le cadre d’une opération de rachat ne soulevant pas de “doutes sérieux à la concurrence” et 65 jours en cas de risques de concurrence. Elle examinera le rachat de TPS par Canal Plus quand le dossier sera complet. A ces fins, elle invite jusqu’au 25 novembre les “tiers intéressés” à présenter leurs observations sur ce rachat. Ces tiers peuvent être des chaînes de télévision, des opérateurs de télécommunication, des producteurs. L’effet risque d’être assez trouble puisque la chaîne a fait l’acquisition de deux nouvelles chaînes de la TNT, Direct 8 et Direct Star, dont l’opération n’a pas encore été traitée par l’Autorité. Les concurrents, jusqu’à présent lésés par le groupe, vont devenir déterminants dans l’évolution du dossier.
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