Le 29 septembre 2011, la Commission européenne, dans un avis motivé, a jugé contraire au droit européen l’octroi par le gouvernement français de chaines dites « bonus » aux trois grands groupes que sont TF1, M6 et Canal+. Ce privilège avait pour but de compenser la fin de l’analogique et donc l’arrivée de nombreux concurrents via la Télévision numérique terrestre (TNT).
Les discussions débutent avec la loi sur l’audiovisuel du 5 mars 2007 qui prévoyait notamment la fin de l’analogique « au plus tard le 30 novembre 2011 ». C’est cette même loi qui favorisera l’attribution de « canaux compensatoires » sur la TNT pour les trois opérateurs historiques privés. Mais très vite, les contestations grondent et les avis divergent. S’en suit le 24 novembre 2010 la mise en demeure de la France par la Commission européenne au motif que l’attribution de ces chaines bonus porte atteinte aux droits « de transparence et (de) non-discrimination » reconnus par l’Europe dans les directives « autorisation » et « concurrence » du « Paquet Télécom » adopté en 2002. Faute de solutions apportées par le gouvernement, la Commission a rendu un jugement le 29 septembre dernier. Désormais, et à compter de cette date, la France a deux mois pour trouver une solution et se conformer aux droits garantis par l’Europe avant que puisse être saisie la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE).
Il convient de rappeler que la Commission européenne de Bruxelles a été instituée par le Traité de Rome en 1957 à l’instar du Conseil de l’Union européenne et du Parlement européen. Elle est la « gardienne des traités » et s’assure notamment du respect de la libre concurrence. En cas d’atteinte au droit de l’Union, elle est compétente pour prononcer des sanctions puis saisir la CJUE si une mise en conformité de la part de l’État ne suit pas.
Les motivations de la Commission attestant de la violation des directives européennes sont claires ; elle les présente dans son communiqué. Tout d’abord, elle estime que l’attribution des chaines bonus ne pouvait absolument pas se faire « hors de toute procédure de mise en concurrence » car celle-ci ne poursuit pas un « un objectif d’intérêt général ». De surcroit, la Commission précise que ces dédommagements « pénalisent les opérateurs concurrents et privent les téléspectateurs d’une offre plus attractive ». De plus cette compensation procèderait d’avantage d’une surcompensation: « ce prétendu dommage semble négligeable, et pourrait même déjà avoir été compensé par des avantages déjà accordés ». Enfin, la Commission estime que concéder « d’office des canaux additionnels à certains opérateurs constitue une discrimination ».
Suite à la décision de Bruxelles, le gouvernement français se devait donc d’agir. Ainsi, le 11 octobre dernier, il annonçait son projet de loi permettant l’abrogation des canaux bonus pour les chaines historiques et la création de six nouvelles chaines. Un appel à candidature est d’ores et déjà lancé. Les dossiers devront au plus tard être déposés le 3 janvier et seront examinés par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) chargé de l’attribution finale de ces chaines. Nul doute que cette fois ci, le projet de loi respecte le droit européen, notamment la non discrimination et la libre concurrence.
Mais, pour certains journalistes, la décision adoptée reflète avant tout le climat politique de cette période préélectorale. En effet, d’une part, il serait de mauvais ton que l’État campe en faveur de sa précédente décision et que celle-ci soit examinée par la CJUE. D’autre part, le gouvernement a annoncé que ces nouvelles chaines seraient gratuites pour le contribuable. Et enfin, la volonté initiale du président du CSA, M. Michel Boyon, d’adopter au plus vite la norme de diffusion DVB-T2 car « cette évolution est inéluctable » n’a pas été suivie dans l’immédiat par les ministres qui se sont réunis. Ils ont privilégié un passage en douceur. Pour le moment, il a uniquement été décidé le changement progressif de la norme de compression qui passerait du MPEG2 au MPEG4. Cette décision s’explique d’abord car les téléviseurs compatibles avec le DVB-T2 ne sont pas encore disponibles et ne le seront pas avant 2013 selon le syndicat des fabricants de téléviseurs Simavelec ; mais avant tout car cela obligerait les français à payer de nouveaux équipements.
Il convient de rappeler que le MPEG4 (Moving Picture Experts Groupe) permettra, au-delà de l’usage de la télévision numérique (compris dans le MPEG2), d’utiliser des nouvelles applications médias telles que les supports haute définition, le téléchargement et le streaming sur internet, le multimédia sur téléphone mobile, la radio numérique ou encore les jeux vidéo. Quand au DVB-T2 (Digital Video Broadcasting – Terrestrial 2), par rapport à la norme DVB-T utilisée pour la TNT actuellement, il permettra d’économiser environ 40% de bandes passantes et ainsi améliorer la diffusion en haute définition et peut être permettre la diffusion en 3D. Le MPEG4 devrait être effectif d’ici à 2016 ; quant au DVB-T2, ce ne serait pas avant 2020.
L’avenir audiovisuel semble donc favorable aux téléspectateurs. Toutefois, le changement ne sera certainement pas si grand et les chaines historiques devraient, comme initialement prévu, voir leurs pertes compensées. D’une part, Canal+ a déjà anticipé le jugement en rachetant les chaines Direct8 et Direct Star, même si son objectif premier est toujours de créer sa chaine gratuite Canal20 ; chaine qui verra peut être très bientôt le jour car Canal a déjà déposé son dossier auprès du CSA. Et d’autre part, il est fort probable que dans les jours à venir, TF1 et M6 annoncent réciproquement le dépôt de leur projet de chaine que sont TV Breizh et M6 Family.
Néanmoins, le nombre de chaines créées passant de 3 à 6, il est évident que la porte s’ouvre pour d’autres opérateurs audiovisuels. Certains ont préparé leur projet ; c’est le cas de NextRadio TV avec sa chaine RMC Sport, ou encore de NRJ Group avec Chérie HD. Et d’autres ont déjà déposé leur dossier auprès du CSA ; c’est le cas notamment (en plus de Canal) de l’Equipe TV et de Ensemble TV. Cependant, aux dires du président du CSA, il semblerait qu’il soit préférable pour les sociétés audiovisuelles de proposer des chaines thématiques, voire de compléments afin de ne pas peiner économiquement car « le marché publicitaire ne sera pas capable d’absorber l’arrivée de grosses chaînes généralistes ».
Le doute quant aux dossiers qui seront retenus par le CSA reste donc complet. Les mini-généralistes des chaines historiques vont-elles être acceptées ? Les chaines spécialisées d’opérateurs plus récents ont elles une chance ? Il faut maintenant attendre mi-mars 2012, date à laquelle le CSA devrait désigner les projets choisis. En ce qui concerne la diffusion des chaines, elle est prévue pour l’automne 2012. D’ici là, tout est envisageable.
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