L’audition de Frédéric Péchenard directeur général de la police nationale (DGPN), le 28 octobre 2011, constitue un événement de plus dans l’affaire politico-judiciaire Bettencourt. Ce nouvel épisode, dans l’affaire dite des fadettes (factures téléphoniques détaillées), pose des questions sous-jacentes sur l’importance de l’information du public. Celle-ci se trouve au confluent de deux secrets légalement encadrés: celui des sources et de l’instruction.
Une affaire politico-judiciaire.
Gérard Davet journaliste au Monde, publie le 18 juillet 2010, le procès verbal de Patrice de Maistre, alors gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt, mettant en difficulté le ministre du budget de l’époque, Eric Woerth. La révélation de cette audition, soumise au secret de l’instruction, suppose alors des fuites dans les plus hautes instances de l’état. Frédéric Péchenard, directeur de la DGPN, demande à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) par le biais de son chef, Bernard Squarcini, d’enquêter sur la «taupe». Ce dernier, en dehors de toutes instructions judiciaires enjoint à l’opérateur Orange de fournir les fameuses fadettes du journaliste et, quelques jours plus tard, de sa source présumée, David Sénat, alors conseiller pénal de la garde des Sceaux de l’époque, Michèle Alliot-Marie.
Dés lors, le journaliste et le quotidien conscient de l’atteinte à la loi du 4 janvier 2010 (Loi n° 2010-1) déposent une première plainte, classée sans suite par le parquet de Paris, puis une seconde avec constitution de partie civile pour atteinte au secret des sources. La juge Sylvia Zimmermann, chargée d’instruire l’affaire, met alors en examen Bernard Squarcini, (17 octobre 2011), et auditionne Frédéric Péchenard (28 octobre 2011) dans le dessein de déterminer les différentes responsabilités.
«À partir du moment où une infraction pénale est suspectée – dans ce cas la violation du secret de l’instruction -, il n’est pas illégal de demander l’identité de la personne susceptible d’en être l’auteur» selon Virginie Valton, vice présidente de l’union syndicale de la magistrature USM. Toutefois la recherche des sources d’un journaliste constitue un trouble illicite au droit de l’information du public sanctionné par l’article 2 de la loi du 4 janvier 2010.
Une législation vague.
S’il ne fait pas de doute que la violation du secret de l’instruction constitue une infraction pénale. L’article 11 du code de procédure Pénale disposant que «la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète (…) toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 ( un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amendes ) et 226-14 du code pénal». La fin ne justifiant pas les moyens, la recherche de son auteur est soumise à des procédures encadrées.
Effectivement, en l’espèce l’utilisation des fadettes supose le respect de la législation sur les écoutes téléphoniques (art 20 Loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques) ou encore sur le secret des sources journalistiques. Il existe cependant de possibles écarts à ces normes formelles dés lors que la « défense des intérêts nationaux» le justifie, pour les écoutes ou qu’il existe «un impératif prépondérant d’intérêt public »( art 2 alinéa 3 de la loi sur le secret des sources).
Dans le cadre de la mise en examen du patron de la DCRI, dont on reproche l’atteinte à la loi du 10 juillet 1991, Squarcini invoque la fameuse protection des «intérêts nationaux» pour justifier son enquête. Toutefois ce terme semble bien trop vague pour justifier son utilisation. Selon la vice présidente de l’USM, «la notion d’intérêt de la nation ne doit pas devenir un principe fourre-tout permettant de placer quelqu’un sur écoute au détriment de toutes dispositions légales et sans contrôle d’aucune autorité».Ce que semble confirmer la juge Zimmermann, sur les propos de Squarcini, qui estime durant l’ audition du patron des renseignements, que sa défense « n’est conforme ni à la lettre ni à l’esprit de la loi ».
Le même reproche peut être fait aux « impératifs » de l’article 2 alinéa 3 de la loi sur le secret des sources. Même s’il suppose d’être « strictement nécessaire et proportionné au but légitime poursuivi», l’impératif est en soi une notion trop vaque et indéfinissable.
L’imprécision d’un terme suppose une appréciation au cas par cas rendant relatif le résultat des différentes investigations. Ce contrôle a posteriori est surtout dommageable en ce qu’il peut engendrer des abus notamment en matière de presse. Il existe heureusement à l’échelle communautaire une jurisprudence protectrice de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui est largement favorable au droit de l’information du public. Vu que «la presse joue un rôle indispensable de chien de garde», utile voir nécessaire au «libre jeu du débat politique».
La nécessité de changer la loi?
En filigrane de cette affaire se pose nécessairement la question du renforcement du droit à l’information du public. Cela doit il passer par un changement de la législation actuelle ? D’une remise en cause du secret de l’instruction? Nous pouvons le penser. La multiplication de cas similaires à l’affaire des fadettes, révélant de nombreux scandales politiques et la violation incessante des documents confidentiels supposent à l’avenir de rendre plus transparentes les instructions. C’est ce que préconise notamment le rapport du Comité sur la justice pénale dit rapport Léger du 1er septembre 2009 soutenu par la Chancellerie. En effet le secret de l’instruction peut constituer une entrave à «la liberté d’information», le comité propose donc de le supprimer et de mettre en place une véritable information encadrée des procédures judiciaires. Aucun calendrier n’est pour l’instant envisagé.
Des questions subsistent donc, autant sur le terrain judiciaire que législatif, mais il semble que l’affaire des fadettes a dévoilé plus que des secrets. La suite nous le dira.
Sources: