La Directive 2011/77/UE adoptée par le Parlement Européen et le Conseil de l’UE le 27 septembre 2011 modifie la Directive 2006/116/CE, allongeant notamment de 20 ans de la durée de protection des droits voisins des artistes interprètes et des producteurs de phonogrammes.
Une évolution indispensable au regard de la situation des artistes interprètes, ou une fausse bonne idée ?
Depuis la Directive 2006/116/CE, la durée de protection des droits voisins détenus par les artistes interprètes et les producteurs de phonogrammes est fixée à 50 ans à compter de la première interprétation ou fixation de l’œuvre, alors que les droits de l’auteur sont protégés jusqu’à 70 ans après sa mort. Codifiée en droit interne aux articles L211-4 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle, cette directive avait consisté en une première étape de modernisation et d’harmonisation du droit en la matière dans les pays de l’UE, les dispositions de 1993 alors en vigueur se révélant obsolètes.
Aujourd’hui, le texte de 2006 est modifié à son tour via la Directive 2011/77/UE adoptée le 27 septembre 2011 par le Parlement Européen et le Conseil de l’UE : la protection des droits des artistes interprètes et des producteurs phonographiques est étendue à 70 ans, s’alignant ainsi sur la protection déjà accordée aux auteurs.
Aboutissement de près de 3 ans de débats agités, cette nouvelle directive émane d’une proposition du député irlandais Brian CROWLEY adoptée par le Parlement dès 2009. Excluant toutefois les comédiens et producteurs audiovisuels, son principal objectif était de « donner davantage de pouvoir aux artistes face aux compagnies lors de la renégociation de leurs contrats » selon Brian CROWLEY, qui précisait en outre que les études d’impacts annonçaient un gain de 150 à 2000 euros par an aux bénéficiaires grâce à l’extension de leurs droits.
Cependant, cette mesure ne faisait guère l’unanimité au sein des Etats membres. Au Parlement, les délégations belge, tchèque, néerlandaise, luxembourgeoise, roumaine, slovaque, slovène et suédoise s’y sont opposées lors du vote de 2009 et les associations de consommateurs y voient toujours des effets au détriment du domaine public qui s’en trouverait alors affaibli. Pour d’autres, de nouvelles études démontrent le peu de retombées qu’aurait réellement pour les artistes interprètes l’extension de la durée de leurs droits, sauf pour les artistes les plus renommés. Ils dénoncent ainsi plus globalement ce qu’ils qualifient de système « dont il serait bon de remédier à l’iniquité »[1] avant tout. Outre le manque d’apport direct aux artistes bénéficiaires, selon ses détracteurs cette directive ne répond qu’aux attentes des majors de l’industrie du disque craignant la perte prochaine de leurs droits sur des catalogues anciens mais plus que rentables comme ceux des Beatles. La prolongation de leurs droits rend, pour elles, secondaire la nécessité d’investir dans la production de nouveaux artistes et ce au détriment de la création et du soutien aux jeunes artistes.
C’est pourtant bien sur cette seule volonté de protéger les artistes interprètes, notamment en leur assurant des revenus tout au long de leur existence, que s’appuie le texte définitif tel que publié au Journal Officiel de l’UE le 11 octobre dernier : les multiples dispositions adoptées, si elles concernent les producteurs comme les artistes interprètes, bénéficient concrètement à ces derniers.
Il ressort des termes de la directive que la nécessité d’une réforme en leur faveur s’est imposée aux membres du Conseil. Attentifs à leur situation, ils ont relevé dans leurs travaux « l’importance sociale reconnue à (leur) contribution créative » et déploré que bien souvent la durée actuelle de 50 ans « ne suffise pas à protéger leurs exécutions pendant toute leur vie ». Aujourd’hui, pour Michel BARNIER, cette décision « fera une réelle différence pour les artistes interprètes…(leur donnant) la reconnaissance et la récompense qu’ils méritent »[2].
Principales mesures remarquables
Pour répondre aux problématiques ainsi constatées, les modifications faites à la directive de 2006 ne concernent que les artistes interprètes et producteurs phonographiques et uniquement dans le cadre d’enregistrements sonores. Elles consistent principalement en 3 séries de mesures relatives à :
- l’extension de 50 à 70 ans de la protection des droits voisins des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs de phonogrammes : envisagée initialement jusqu’à 95 ans, sur le modèle étatsunien, la durée de 70 ans retenue apparaît conforme à l’objectif affiché de protéger l’artiste durant toute sa vie.
- la mise en place du principe de « use it or lose it » : ce système instaure le retour à l’artiste interprète ou exécutant, des droits sur la fixation détenus par le producteur de disques qui, dans une certaine période, ne mettrait pas, ou pas assez, en vente les titres qui, sans prolongation, seraient tombés dans le domaine public, ou encore qui s’abstiendrait de les mettre à disposition du public. Le contrat par lequel l’artiste interprète ou exécutant avait préalablement cédé ses droits à son producteur pourra être ainsi résilié sous conditions.
- l’obligation imposée aux producteurs de phonogrammes de réserver, au moins une fois par an, 20% des recettes issues des droits exclusifs de distribution, de reproduction et de mise à disposition de phonogrammes : la somme ainsi constituée, administrée par des sociétés de gestion collective, sera reversée annuellement au seul bénéfice des artistes interprètes ou exécutant ayant, lors de la fixation de leur exécution, transféré ou cédé leurs droits auxdits producteurs en échange d’un paiement unique. Pour ceux ayant opté pour une contractualisation basée sur le principe d’une rémunération récurrente ou d’une avance sur redevances, une mesure d’accompagnement destinée à rééquilibrer leurs contrats devra être prévue par les Etats membres.
Enfin, on notera que la nouvelle directive apporte également du renouveau en matière de droit d’auteur en harmonisant dans l’Union la durée de protection des compositions musicales comportant des paroles. En effet, jusqu’alors, certains Etats membres distinguaient, pour ce type d’œuvre, le régime de protection des paroles de celui de la musique. Une durée de protection unique de 70 ans après la mort du dernier auteur survivant a été décidée, sous condition cependant « que les deux contributions aient été spécialement créées pour ladite composition musicale comportant des paroles ».
Mesures transitoires et conditions de transposition
Sauf disposition contractuelle contraire, tout contrat de transfert ou de cession conclu avant le 1er novembre 2013 est réputé continuer à produire ses effets au-delà de la date à laquelle aurait cessé la protection des droits de l’artiste interprète ou exécutant dans sa rédaction en vigueur au 30 octobre 2011.
De plus, la Directive 2011/77/UE prévoit que la Commission devra, d’ici novembre 2016, présenter au Parlement Européen, au Conseil et au Comité économique et social européen un rapport permettant d’évaluer son application, au vu notamment du marché numérique, et de proposer en conséquence d’éventuelles modifications complémentaires de la directive de 2006.
Publiée le 11 octobre 2011, la Directive 2011/77/UE entrera en vigueur le vingtième jour suivant cette date, à savoir le 31 octobre 2011 et la transposition en droit interne dans chaque Etat membre devra intervenir au plus tard le 1er novembre 2013.
Sources
- IRMA : Centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles, « Les droits voisins étendus à 70 ans par le Parlement Européen », article du 27/04/2009 http://www.irma.asso.fr/Les-droits-voisins-etendus-a-70
- IRPI : Institut de Recherche en Propriété Intellectuelle, « La durée des droits voisins dans l’Union européenne étendue de 50 à 70 ans », par Benoît GALOPIN, dans « Lettre d’information n° 46, septembre 2011 » http://www.irpi.ccip.fr/upload/news/2011/46_septembre2011/46_da.htm#1
- Numérama, « Droits d’auteur : 20 ans de plus pour les producteurs et musiciens », par Guillaume CHAMPEAU, article du 09/09/2011 http://www.numerama.com/magazine/19701-droits-d-auteur-20-ans-de-plus-pour-les-producteurs-et-musiciens.html
- Les actualités du droit Lamy, dans « La durée des droits voisins étendue à 70 ans », par Lionel COSTES, article du 15/09/2011 http://actualitesdudroit.lamy.fr/Accueil/Articles/tabid/88/articleType/ArticleView/articleId/119695/La-duree-des-droits-voisins-etendue-a-70-ans.aspx.
- Commission Européenne http://ec.europa.eu/internal_market/copyright/term-protection/term-protection_fr.htm
- Directive 2011/77/UE du 27/09/11 publiée au Journal Officiel de l’Union Européenne le 11/10/2011 http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:265:0001:0005:FR:PDF
[1] Propos de Guy BONO rapportés dans « Les droits voisins étendus à 70 ans par le Parlement Européen », article du 27/04/2009, IRMA : http://www.irma.asso.fr/Les-droits-voisins-etendus-a-70
[2] Propos de Michel BARNIER, Commissaire européen au Marché Intérieur, rapportés dans « La durée des droits voisins étendue à 70 ans », article du 15/09/2011, par Lionel COSTES, Les actualités du droit Lamy : http://actualitesdudroit.lamy.fr/Accueil/Articles/tabid/88/articleType/ArticleView/articleId/119695/La-duree-des-droits-voisins-etendue-a-70-ans.aspx.