Face aux polémiques relatives à la sauvegarde des données d’utilisateurs par Facebook, l’état allemand s’est engagé dans une bataille audacieuse contre le site.
Depuis quelques mois, l’Allemagne a entrepris un sérieux bras de fer avec le réseau social Facebook, décrié de toutes parts pour ses prétendues pratiques nébuleuses avec les données personnelles de ses utilisateurs. En effet, il lui est reproché de ne pas respecter les obligations posées par le droit européen relatives à la vie privée, notamment de collecter des informations à l’insu de ses utilisateurs pour un usage plus ou moins commercial.
Un ultimatum à été lancé à Facebook. Le site doit se mettre en conformité au droit allemand et européen. Le cas échéant, Johannes Caspar, fonctionnaire chargé de la protection des données personnelles pour le Land de Hambourg, menace de régler le différend par la voie contentieuse. Une action qui a une forte valeur symbolique, mais qui laisse bon nombre de personnes sceptiques. Ce qui au départ, n’était qu’une succession de critiques individuelles, est devenu une véritable affaire étatique.
Une tension s’installe progressivement entre les deux protagonistes
Le litige avec Facebook n’est pourtant pas nouveau, puisqu’à maintes reprises, l’entreprise a été mise en cause pour ses pratiques controversées. En avril 2010, la Fédération des associations de consommateurs allemands (Verbraucherzentrale Bundesverband) avait tout simplement appelé au boycott du réseau social. Elle reprochait à celui-ci son caractère passif vis-à-vis des paramètres de confidentialité. L’utilisateur devait ajuster lui-même les options de restrictions d’accès relatives à son compte. Les profils pouvaient alors rester longtemps ouverts au public avant que l’utilisateur ne s’en aperçoive. Révoltée, c’est avec virulence et conviction que la Fédération déclare que « La responsabilité de la protection des données relève de l’opérateur, pas du consommateur ».
Au mois d’août dernier, l’agence de protection des données personnelles de la ville de Hambourg passe à l’offensive, en indiquant de manière explicite que la nouvelle fonctionnalité de reconnaissance faciale intégrée au site viole la directive européenne relative à la protection des données personnelles. Selon Johannes Caspar, « ce type de technologie [n’est pas] conforme avec la directive sur la protection des données personnelles de l’Union européenne” ». Il ajoute que la reconnaissance faciale est activée par défaut, et que comme il s’agit de données biométriques, le consentement de l’utilisateur doit être recueilli de manière expresse.
Facebook répond à cette accusation et nie toute violation des dispositions européennes : « Nous rejetons fermement toute affirmation selon laquelle nous ne respecterions pas nos obligations d’après les lois européennes sur la protection des données ». Une argumentation assez légère qui peine à convaincre les autorités allemandes. Facebook prend même le luxe de souligner que la pratique litigieuse est appréciée de l’ensemble des utilisateurs, ce qui n’a pour effet que d’attiser les tensions entre les deux acteurs.
Un Land allemand part en croisade contre le bouton “j’aime”
Fin août, Thilo Weichert, homologue de Johannes Caspar dans le Land du Schleswig-Holstein interdit le bouton « j’aime », et décide que tout site qui propose cette option sera puni de 50000 euros d’amende. Il met en exergue la collecte des adresses IP et la création de profils dits « fantômes ». De fait, peuvent êtres recueillies, des informations sur les habitudes de navigation des membres, mais aussi, sur des personnes qui ne sont pas inscrites au site. Facebook confirme que les données sont collectées mais qu’il est procédé à leur suppression dans un délai de 90 jours conformément au droit européen. L’initiative de Thilo Weichert est appréciée de manière assez relative car paradoxalement, le Schleswig-Holstein conserve sa page Facebook.
La voie contentieuse envisagée par l’Allemagne
Un ultimatum a finalement été posé par l’état allemand, qui considère que la reconnaissance faciale configurée par défaut permet l’identification d’un utilisateur sans son consentement. Or, il s’agit de données biométriques.
Deux solutions sont envisageables : Soit Facebook se plie aux exigences de confidentialité avant le 7 novembre, soit le site ne change pas ses paramètres. Dans ce cas, une action en justice sera intentée au nom de l’état allemand. Pour des raisons pratiques, seul le fuseau horaire de l’état de Californie où se trouve le siège social de Facebook sera pris en considération pour le décompte.
Même si il est indéniable que cet ultimatum est une initiative que l’on peut qualifier de téméraire, Johannes Caspar ira-t-il jusqu’au bout de sa démarche ? Réponse très prochainement. Toujours est-il qu’en attendant, la protection de la vie privée sur internet sur le fondement de la directive du 24 octobre 1995 semble obsolète et inadaptée aux mutations technologiques. Une réforme législative est nécessaire pour protéger les utilisateurs et plus particulièrement les mineurs.
Qu’en est-il de Facebook et du droit à l’oubli ?
Constatant qu’internet peut être un outil dangereux pour la vie privée, la Commission européenne a fait connaître il y a quelques mois son attachement à ce que l’on appelle le droit à l’oubli sur internet. Ce droit consiste à pouvoir supprimer des données qui concernent un internaute ou une entreprise, d’où le mot « oubli ». Il est question d’effacer une réputation virtuelle qui a pu se mettre en œuvre grâce à des données recueillies au fil du temps.
Si pour la Commission européenne, celui qui stocke des données personnelles doit prouver l’utilité d’une telle pratique, pour Facebook, il en va tout autrement. Le mécanisme permettant de supprimer définitivement son compte Facebook est si compliqué, qu’il doit être considéré comme quasi inexistant. Un néophyte ne peut y accéder que très difficilement. De plus, lorsqu’un profil est désactivé, les serveurs du service conservent intégralement tous les fichiers.
Une charte concernant le droit à l’oubli sur internet a été signée par des opérateurs réunis par la secrétaire d’Etat chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique en 2010. Des obligations sont mises à la charge des réseaux sociaux et des moteurs de recherche pour optimiser la possibilité d’effacer des données non désirées par un utilisateur. Néanmoins, Google et Facebook n’ont pas ratifié cette charte, ce qui est regrettable car ils sont au centre des discussions actuelles.
Sources :
LEMONDE.FR, « Appel au boycott de Facebook en Allemagne », Le Monde, article du 9 avril 2010 : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/04/09/appel-au-boycott-de-facebook-en-allemagne_1331174_651865.html
JULIEN.L, « Facebook rejette les accusations de la CNIL allemande », Numerama, article du 4 août 2011 : http://www.numerama.com/magazine/19502-facebook-rejette-les-accusations-de-la-cnil-allemande.html
JULIEN.L, « Facebook viole la loi sur la vie privée, selon la CNIL allemande », Numerama, article du 3 août 2011 : http://www.numerama.com/magazine/19493-facebook-viole-la-loi-sur-la-vie-privee-selon-la-cnil-allemande.html
LEMONDE.FR, « le bouton « j’aime » de Facebook critiqué par les autorités allemandes », Le Monde, article du 22 août 2011 : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/08/22/le-bouton-j-aime-de-facebook-critique-par-les-autorites-allemandes_1561979_651865.html
LEMONDEDUDROIT.FR, “Allemagne : un état interdit les boutons j’aime de facebook”, Le Monde du Droit, article du 23 août 2011 : http://www.lemondedudroit.fr/europe-international/104236-allemagne-un-etat-interdit-les-boutons-qjaimeq-de-facebook.html
JEROME.G, “Facebook Timoré sur le droit à l’oubli”, Génération nt, article du 25 mars 2011 : http://www.generation-nt.com/facebook-droit-oubli-europe-actualite-1180661.html
ZDNET.FR, « Reconnaissance faciale : l’ultimatum de l’Allemagne à Facebook », Zdnet, article du 24 octobre 2011 : http://www.zdnet.fr/actualites/reconnaissance-faciale-l-ultimatum-de-l-allemagne-a-facebook-39765073.htm
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