Aux alentours du 20 octobre 2011, une vague destructrice a déferlé sur un réseau de mise à disposition de vidéos à caractère pédopornographique. “Anonymous” revendique cette attaque.
« Opération DarKnet ». C’est ainsi qu’a été baptisée l’action menée par un groupe de pirates informatiques contre des sites hébergeant des vidéos à caractère pédopornographique. Ces hackers, se prévalant de leur appartenance à la faction des « Anonymous », ont tout bonnement infiltré l’hôte Freedom hosting, hébergeur des URL en question, affilié à l’un des plus importants réseaux d’anonymisation : TOR (The Onion Routeur). Leur mission n’a pas constitué à la seule mise hors service de plus d’une quarantaine de sites illicites. En effet, ces activistes du net, fidèles à leur réputation de jusqu’au-boutistes, ont couplé le blocage de l’accès à ces données immorales à une véritable « Chasse aux sorcières ». Non satisfaits d’avoir donné un grand coup de pied dans la fourmilière des pédophiles de l’ère numérique, ces « miliciens du net » sont parvenus à identifier plus de 1 600 membres. Ces derniers ont vu leur nom d’utilisateur, et d’autres informations constituant leur identité virtuelle, publiés en ligne.
L’entité « Anonymous » n’en est pas à son premier coup d’essai. Si dès 2006 plusieurs mentions ont été faites de ce collectif au sein des médias, ce n’est qu’en 2008 qu’il acquiert une réelle notoriété, grâce à son projet « Chanology », mené contre l’Église de Scientologie. Leur engagement pour une totale liberté d’expression prend, souvent, une tournure politique. Cela a d’ailleurs pu se constater par leur soutien aux internautes-révolutionnaires du Printemps arabe.
Même si l’on peut se satisfaire de l’objet de leur action, la protection contre vents et marrées de la liberté d’expression, et de surcroît de communication, peut-elle justifier, au nom d’une cause qui peut sembler certes noble, de mettre à mal le réseau électronique, notamment par la mise au jour de l’identité de délinquants sexuels présumés ?
Il est vrai que la pédopornographie, avec l’avènement du Web 2.0, s’est révélée être un véritable fléau. Les pouvoirs publics mettent en œuvre de nombreux moyens afin de démasquer ces réseaux illicites et d’identifier les utilisateurs de ce type de services en ligne. Néanmoins, leur tâche n’est en rien facilitée par la jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis un arrêt de 1888 (Wilson), laquelle considère comme irrecevable la preuve apportée par un officier de police judiciaire lorsque celle-ci résulte d’une provocation à l’infraction incriminée. Cette exigence de loyauté de la preuve a conduit de nombreux internautes lambda à prendre le contrepied de cette prescription pour démasquer les utilisateurs déviants du réseau, et ce au non de la liberté de la preuve. Néanmoins, ces initiatives, dont celles des « Anonymous », engendrent souvent des dérives. L’impossibilité d’action des forces de l’ordre dans la mise hors circuit de ces sites illicites, nourrit la volonté de délation de ces délinquants dans la sphère publique.
Les intentions de ces pirates, même louables, procèdent d’une infraction qui a consisté à pénétrer illégalement au sein d’un serveur et à rendre celui-ci inaccessible. La diffusion des données personnelles qui suivit, au-delà même de la manière dont l’accès a été bloqué, nous apparaît également comme regrettable. Ces « vengeurs masqués », si nous pouvons les définir de la sorte, auraient dû se limiter à fournir les informations obtenues aux autorités judiciaires compétentes. La participation active à la prolifération de la pédopornographie sur internet ne doit, en rien, justifier l’atteinte à la vie privée de la personne, et encore moins à sa présomption d’innocence. Cet activisme grandissant mené à l’encontre des réseaux malveillants, qu’il s’agisse de la pornographie infantile ou d’un cartel de la drogue mexicain, constitue un frein considérable à la bonne marche des institutions judiciaires. Les nombreuses infiltrations que connaissent ces milieux, par des agents assermentés, sont tout simplement réduites à néant à cause de ces expéditions punitives.
Par ailleurs, la défaillance des pouvoirs publics dans la lutte contre la pédophilie en ligne semble avoir trouvé un remède. Peut-être le coup de massue porté par les « Anonymous » a-t-il accéléré la prise de conscience de nos gouvernants pour agir avec imminence. En effet, la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011, dite LOPPSI 2, va connaître, dans les semaines à venir, un décret d’application pour son article 4. Article qui avait fait l’objet, en ce début d’année 2011, d’un examen par le Conseil constitutionnel. Cette disposition, permet à l’autorité administrative d’interdire l’accès aux services de communication au public en ligne diffusant des images pédopornographiques. Les sages ont affirmé que cet article 4 assure, entre la sauvegarde de l’ordre public et la liberté de communication, une conciliation qui n’est pas disproportionnée. Par conséquent, le système de blocage voulu par les autorités publiques devrait voir le jour d’ici peu, et induirait le concours de nombreux acteurs de l’internet, notamment celui des FAI. Ces derniers verront peser sur eux une véritable obligation de résultat, alors même qu’aucun contrôle judiciaire n’est prévu pour encadrer ces mesures dérogatoires.
Même si l’on peut se féliciter de l’engouement dont font preuve les autorités publiques, la mise en œuvre d’un tel filtrage risque d’accroître l’inventivité des hébergeurs de contenus illicites, notamment en perfectionnant les techniques d’échanges de fichiers.
Au final, la lutte de la pédopornographie, qu’elle soit d’initiative privée ou institutionnelle, révèle de nombreux travers difficiles à surmonter.
Sarah AKKAOUI-BORGNA
Sources:
– Article 427 du Code de procédure pénale
– Article 227-23 du Code pénal
– CHAMPEAU G., “Faut-il se féliciter que des Anonymous traquent les pédophiles?”, Numerama, mis en ligne le 20 octobre 2011, consulté le 11 novembre 2011, URL: http://www.numerama.com/magazine/20260-faut-il-se-feliciter-que-des-anonymous-traquent-les-pedophiles.html
– CHAMPEAU G., “Des Anonymous s’attaquent à un dangereux cartel mexicain”, Numerama, mis en ligne le 31 octobre 2011, consulté le 11 novembre 2011, URL: http://www.numerama.com/magazine/20393-des-anonymous-s-attaquent-a-un-dangereux-cartel-mexicain.html
– Creative commons, “Projet Chanalogy”, Wikipedia, mis en ligne en 2008, consulté le 11 novembre 2011, URL: http://fr.wikipedia.org/wiki/Projet_Chanology
– G. J., “Pédopornographie: Anonymous ferme des site, donne des noms”, Génération des nouvelles technologies, mis en ligne le 24 octobre 2011, consulté le 11 novembre 2011, URL: http://www.generation-nt.com/anonymous-pedopornographie-darknet-actualite-1493581.html
– GRONDIN A., “Les Anonymous s’attaquent à la pédopornographie”, 20minutes, mis en ligne le 25 octobre 2011, consulté le 11 novembhttps://iredic.fr/wp-admin/post-new.phpre 2011, URL: http://www.20minutes.fr/high-tech/812340-anonymous-attaquent-pedopornographie
– HIROMAN, “Rules of the internet”, Know your meme, mis en ligne en 2010, consulté le 11 novembre 11, URL: http://knowyourmeme.com/memes/rules-of-the-internet#.Tr0LfFbhppl
– L. J., “Bientôt 1000 sites bloqués en France sans contrôle judiciaire”, Numerama, mis en ligne le 2 novembre 2011, consulté le 11 novembre 2011, URL: http://www.numerama.com/magazine/20411-bientot-1000-sites-bloques-en-france-sans-controle-judiciaire.html
– WILLIAMS C., “Anonymous hacktivists target child abuses websites”, The Telegraph, mis en ligne le 24 octobre 2011, consulté le 11 novembre 2011, URL: http://www.telegraph.co.uk/technology/news/8846577/Anonymous-hacktivists-target-child-abuse-websites.htm