Depuis le mois d’octobre, l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF), holding qui contrôle France 24, RFI, MCD et la participation de la France dans TV5 Monde, traverse une crise remettant la légitimité de ses représentants et dirigeants en cause, voire même de son statut.
Tout a commencé à la fin du mois d’octobre quand Alain de Pouzilhac, patron de l’AEF, demande à Jean Lesieur, directeur de la rédaction de France 24, de procéder à des arbitrages dans le cadre de la masse salariale dont Lesieur a à considérer. M. Pouzilhac estime en effet qu’ « il ne sera pas accepté un dépassement des budgets proposés (…), car ceci conduirait l’entreprise à une dérive mortelle ».
En réponse, M. Lesieur adresse à Alain de Pouzilhac un mail pour le moins fracassant, mis en copie auprès de l’ensemble de la rédaction. Il critique en effet la volonté du patron de l’AEF « de tenter d’opposer une partie de la rédaction à une autre », refusant de se « prêter à des manœuvres perverses qui m’empêcheraient de maintenir la cohésion de la rédaction et de récompenser comme ils le méritent tous ceux qui font de France 24 ce qu’elle est ». Il finit en présentant sa démission du poste de directeur de la rédaction, spécifiant que la confiance qu’il avait pour son patron est désormais « cassée ». Cette démission de celui qui était l’homme de confiance du directeur de l’AEF pourrit encore plus une ambiance déjà délétère depuis la période où Christine Ockrent, alors directrice générale déléguée de l’AEF, entretenait des rapports difficiles avec M. Pouzilhac. Elle avait alors quitté l’entreprise dans un climat étrange, où des affaires d’espionnage et de harcèlement moral se bousculaient.
Après la pluie vient le beau temps, pourrait-on penser. En réalité, c’est plutôt la digue qui lâche à cause de l’averse. Lors d’une session à l’Assemblée Nationale, en date du 26 octobre dernier, la députée PS Martine Martinel a fustigé la politique de la direction de l’AEF et plus généralement du gouvernement en ce qui concerne les réformes de l’audiovisuel. Elle a même remis en question, et sans ambages, le maintien de Pouzilhac à la tête de l’AEF suite au rapport qu’elle a rédigé concernant les crédits médias dans le budget 2012. La virulence fut telle que les députés UMP ne s’en sont pas remis, dénonçant une « exécution en place publique ». La députée Martinel a surtout critiqué la fusion France 24-RFI, comme le reste des députés de l’opposition, pensant que France 24 devrait être rattachée à France Télévisions et RFI à radio France, ce que le gouvernement semble ignorer.
Et comme si cela ne suffisait pas, un rapport de l’Inspection Générale des Finances (IGF) vient troubler un peu plus les choses. Ce rapport rendu au début du mois de novembre, après moult péripéties (un premier rapport avait été rendu, mais sur la base de « faux », fournis par un anonyme dans le but de déstabiliser l’institution selon l’Elysée itself, c’est dire si l’ambiance entourant la compagnie est remplie de quiétude), ne conforte pas les quatre inspecteurs sur la situation financière de l’AEF. Selon eux, le plan triennal 2011-2013 serait « trop optimiste » et porte en lui un grand risque de déficit, ce qui est plutôt mal vu par les temps qui courent. Ils y pointent même une « zone d’incertitude budgétaire » de pas moins que 55 millions d’euros pour ce même plan. Le plus inquiétant reste que l’AEF promet des recettes grâce à ce fameux plan triennal, alors même que l’Etat lui a accordé, depuis 2009, 103,9 millions d’euros à titre de « subventions exceptionnelles ». Du scepticisme de l’inspecteur des finances devant une prémonition irréalisable…
Le rapport énonce de manière implacable que « les hypothèses sur lesquelles repose le plan d’affaires pour 2011-2013 restent probablement trop optimistes ». Les inspecteurs avisent le groupe sur une marche à suivre pouvant remettre les comptes à flots : rationalisation des coûts de diffusion et de distribution, abandon de la diffusion en ondes courtes et moyennes, des scénarios de maîtrise de la masse salariale et une meilleure exploitation des « complémentarités entre TV5 Monde et les autres composantes de l’AEF ». La maîtrise de la masse salariale fait également partie de leurs préoccupations avec le projet de “mettre à l’étude” dès à présent le “non-remplacement des départs à la retraite“. Enfin, le rapport souhaiterait que l’AEF réduise sa participation dans TV5 Monde et laisse la différence incomber aux partenaires francophones (Belgique, Suisse, Québec), l’équilibre n’en serait que plus salutaire.
Les inspecteurs préconisent d’ailleurs qu’ « un contrat d’objectifs et de moyens devrait être rapidement conclu pour la période 2012-2014 » et que « la place de TV5 Monde devrait être clarifiée, et sa gouvernance rationalisée » et même que « la gouvernance de l’ensemble devrait être rationalisée ». Il s’agit peu ou prou d’une manière polie de placer l’AEF en situation de mandat judiciaire, arrêtant d’être aux yeux de l’IGF un jouet dans les mains de ses dirigeants avec force redressement des comptes et de la politique de la direction. Un choix dans la tutelle de l’entreprise confirme cette envie : d’après le rapport, « la tutelle pourrait être rendue plus efficace par un ministère chef de file » plutôt qu’assurée à la fois par les ministères de la Culture, des Affaires étrangères et les ministères financiers (Budget, Economie et Finances). Cette clarification pourrait rendre la tutelle plus rigide et moins éparse. Pour finir, la touche cynique : L’AEF dépasse largement ses concurrents européens les plus aguerris en termes de budget annuel alloué (368 millions d’euros contre 362 millions pour BBC Global News et 282 millions pour la Deutshe Welle). Etrange quand on compare le nombre de rédactions radios en langues étrangères : 27 pour la BBC, 28 pour la Deutshe Welle et 13 pour les français. Mais c’est sûrement comme le sport, ils trichent et la France joue à la loyale. Enfin, l’important est de participer.
Sources :
Le Monde.fr avec AFP, « Démission du directeur de la rédaction de France 24 », mis en ligne le 19 octobre 2011, http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2011/10/19/demission-du-directeur-de-la-redaction-de-france-24_1590602_3236.html
Le Monde.fr avec AFP, « Un rapport critique la gestion de l’audiovisuel extérieur », mis en ligne le 9 novembre 2011, http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2011/11/09/un-rapport-critique-la-gestion-de-l-audiovisuel-exterieur_1601029_3236.html
Emmanuel Berretta, « Un rapport parlementaire dézingue Pouzilhac », mis en ligne le 26 octobre 2011, http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/un-rapport-parlementaire-dezingue-pouzilhac-26-10-2011-1389443_52.php
Emmanuel Berreta, « L’Inspection des finances passe l’AEF au crible », mis en ligne le 8 novembre 2011, http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/l-inspection-des-finances-passe-l-aef-au-crible-08-11-2011-1393898_52.php