Adoptée en deuxième lecture par le Sénat le 4 novembre 2011 et bientôt soumise à l’accord de l’assemblée, la proposition de loi relative à l’instauration de la carte d’identité électronique fait déjà débat. Le principe de protection des données personnelles est soumis à rude épreuve et suscite l’inquiétude et la colère des défenseurs des libertés individuelles.
La future carte d’identité électronique dont seront vraisemblablement prochainement titulaires les français comprendra deux puces électroniques : l’une reprendra les données personnelles numérisées telles que l’état civil et l’adresse et d’autres éléments d’identification de nature biométrique telles que les empreintes digitales ; l’autre puce, facultative, offrira à son titulaire des services d’authentification à distance et de signature électronique.
La création d’un fichier généralisé (dit base TES « Titres Electroniques Sécurisés »), rassemblant les données biométriques des français, associé à la carte et utilisable par certaines administrations a suscité la polémique dès l’annonce de la proposition de loi.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés s’est empressée de réaliser une note d’observations sur le sujet. La Commission a commencé par rappeler que les données biométriques ne sont pas des données comme les autres. « Elles présentent en effet la particularité de permettre à tout moment l’identification de la personne concernée sur la base d’une réalité biologique qui lui est propre, permanente dans le temps et dont elle ne peut s’affranchir ». La Commission poursuit son discours: « à la différence de toute autre donnée à caractère personnel, la donnée biométrique n’est donc pas attribuée par un tiers ou choisie par la personne : elle est produite par le corps lui-même et le désigne ou le représente, lui et nul autre, de façon immuable. Elle appartient donc à la personne qui l’a générée et tout détournement ou mauvais usage de cette donnée fait alors peser un risque majeur sur l’identité de celle-ci ».
Estimant que la base de données centralisée dans un fichier ne devait servir qu’à prévenir contre le risque de fraude et d’usurpation d’identité, en progression constante en France, la CNIL a dénoncé l’utilisation de ce fichier à d’autre fins et condamnait à ce titre la conservation de 8 empreintes digitales tel que cela était prévu initialement dans le projet. En effet, pour la commission, il serait inenvisageable que la base de données recueillie puisse servir d’outil dans le cadre d’une recherche criminelle par exemple.
Confortée dans sa vision par une décision du Conseil d’Etat du 26 octobre 2011 qui censure la conservation des huit empreintes récoltées lors de la création d un passeport biométrique, l’avis de la CNIL à été suivit par le Sénat. Contrairement au souhait de Mr Guéant, ministre de l’intérieur, les sénateurs se sont prononcés en faveur de l’instauration d’un lien dit « faible » entre les données personnelles et la base TES, qui ne permettra pas l’identification d’une personne par ses empreintes biométriques.
En vue de protéger la liberté personnelle des français, le Sénat s est s’est également gardé de valider le dispositif permettant la reconnaissance faciale d’un individu à partir d’images numérisées. Il a effectivement massivement rejeté le 4eme amendement proposé par le gouvernement qui allait dans ce sens.
Les défenseurs des libertés individuelles pointent également du doigt le problème de la conservation des données biométriques posé par l’adoption de la carte d’identité électronique. Celle-ci serait de 15 ans d’après le gouvernement mais cette durée n’est pas précisée dans la proposition de loi ce qui suggère une conservation illimitée dans le temps.
A présent renvoyée devant l’assemblée pour validation, la proposition de loi risque de faire encore beaucoup de bruit au vu des nombreux réfractaires qui ne cessent de clamer l’importance des libertés individuelles. Les partisans de la « e-carte » d’identité, eux, y verront une manière de répondre à une dynamique européenne puisque déjà 10 pays européens comme la Belgique ou l’Allemagne l’ont adoptée.
En attendant l’entérinement de la proposition de loi par l’Assemblée nationale, il est incontestable que la carte d’identité électronique sera encore au cœur des débats législatifs et médiatiques.
Sources
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