La popularité des systèmes de géolocalisation des salariés, auprès des employeurs (près de 1800 demandes en 2010) impose à la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) et aux juges une étroite surveillance de l’exploitation de tels systèmes afin de protéger les salariés contre une éventuelle utilisation abusive. Pour cela, la CNIL a fixé des conditions restrictives auxquelles doivent répondre les demandes d’autorisation et les juges s’assurent de leur respect tout au long du maintien du système.
Dans une délibération adoptée le 16 mars 2006 relative à la mise en œuvre de dispositifs destinés à géolocaliser les véhicules automobiles utilisés par les employés d’un organisme privé ou public, la CNIL définit les dispositifs de géolocalisation comme un moyen « permettant aux employeurs privés ou publics de prendre connaissance de la position géographique, à un instant donné ou en continu, des employés par la localisation d’objets dont ils ont l’usage (badge, téléphone mobile) ou des véhicules qui leur sont confiés ».
Dans le « Guide de la géolocalisation des salariés » la CNIL pose les règles à respecter pour mettre en place un système géolocalisation.
Tout d’abord, l’employeur est tenu d’une information préalable des représentants du personnel et des personnes concernées de la mise en place du système. En cas de refus par le salarié ou si le salarié est libre dans l’organisation de ses déplacements, alors un tel système ne pourra être imposé.
Par la suite, l’employeur, en tant que responsable du traitement des données personnelles, doit en faire la déclaration à la CNIL. Le défaut de déclaration est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 300.000 € d’amende et rend le dispositif inopposable aux employés, c’est-à-dire qu’il ne pourra utiliser les données collectées contre son employé.
La déclaration est marquée par un principe de spécialité. En effet, l’employeur doit préciser les finalités du traitement, c’est-à-dire les raisons et objectifs poursuivis, tels que la lutte contre le vol ou le suivi de l’activité des salariés. Le traitement envisagé des informations collectées, étant de nature à porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux, doit être proportionné et strictement nécessaire à l’objectif poursuivi. Le détournement de finalité est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 300.000 € d’amende.
L’employeur va en outre préciser dans sa déclaration la nature des informations qu’il entend traiter (nom de l’employé, immatriculation du véhicule, temps d’arrêt…). Il va préciser les personnes habilités à accéder aux données, en fonction de l’objectif poursuivi (service des ressources humaines, service comptable…)
L’employeur ne doit conserver les données collectées que pour la durée nécessaire au traitement, c’est-à-dire le temps dont il a besoin pour atteindre l’objectif poursuivi par le dispositif. Par exemple, la durée de conservation des données relatives aux heures de travail est de 5 ans. La conservation des données pour une durée supérieure à celle qui a été déclarée est punie de 5 ans d’emprisonnement et 300.000 € d’amende.
La chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 3 novembre 2011, rappelle ces conditions et sanctionne un employeur pour ne pas avoir respecté la finalité prévue dans la déclaration.
En l’espèce, le salarié, tenu à un horaire de 35 heures par semaine, était libre de s’organiser, à charge pour lui de respecter le programme fixé et de rédiger un compte-rendu journalier précis et détaillé, lequel, selon le contrat de travail, devait faire la preuve de son activité. L’employeur a, par la suite, après information du salarié, installé un système de géolocalisation.
Après avoir rappelé le principe de proportionnalité et de spécialité du système de géolocalisation, la Haute Juridiction a constaté un détournement de la finalité telle que notifiée au salarié, à savoir, pour « permettre l’amélioration du processus de production par une étude a posteriori de ses déplacements et pour permettre à la direction d’analyser les temps nécessaires à ses déplacements pour une meilleure optimisation des visites effectuées ». En effet, l’employeur s’est fondé sur les données récoltées pour modifier la base de calcul de la rémunération, ce qui a constitué « manquement suffisamment grave justifiant la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur ».
A l’heure actuelle, la tendance étant la généralisation de la géolocalisation par l’entreprise, il convient de s’interroger sur la nécessité d’encadrer d’autres systèmes, mis en place à travers les instruments de mobilité (Smartphones, tablettes,…) ou encore par l’usage des réseaux sociaux, qui pourraient permettre de pister les salariés.
Sources :
- Cour de cassation, Chambre sociale, 3 novembre 2011, n° pourvoi 10-18036
- Article 226-16 du Code pénal, article 226-20 du Code pénal, article 226-21 du Code pénal
- Article L.1121-1 du Code du travail
- TÜRK A., « Délibération n°2006-066 du 16 mars 2006 portant adoption d’une recommandation relative à la mise en œuvre de dispositifs destinés à géolocaliser les véhicules automobiles utilisés par les employés d’un organisme privé ou public », JO n°103 du 3 mai 2006, CNIL, consulté le 28 novembre 2011, URL : http://www.cnil.fr/en-savoir-plus/deliberations/deliberation/delib/97/
- CNIL, « GUIDE DE LA GÉOLOCALISATION DES SALARIÉS : Droits et obligations en matière de géolocalisation des employés par un dispositif de suivi GSM/GPS », CNIL, consulté le 28 novembre 2011, URL http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/dossier/geolocalisation/Guide-geolocalisation.pdf
- ActuelRH, « La géolocalisation des salariés est possible, mais sous conditions », L’Entreprise l’Express, mis en ligne le 9 novembre 2011, consulté le 28 novembre 2011, URL : http://lentreprise.lexpress.fr/gestion-du-personnel/la-geolocalisation-des-salaries-est-possible-mais-sous-conditions_31221.html
- Brèves d’actualité, « Cassation : les restrictions à la géolocalisation des salariés », Legalis, mis en ligne le 18 novembre 2011, consulté le 28 novembre 2011, URL : http://www.legalis.net/spip.php?page=breves-article&id_article=3266
- DUHEN W., « Géolocalisation et droit: surveillance des salariés », Legaletic, mis en ligne le 22 juin 2010, consulté le 28 novembre 2011, URL : http://www.legaletic.fr/geolocalisation-et-droit-surveillance-des-salaries/
- LEMAIRE B., « La géolocalisation des salariés est d’un usage limité », CIO-Online, mis en ligne le 17 novembre 2011, consulté le 28 novembre 2011, URL : http://www.cio-online.com/actualites/lire-la-geolocalisation-des-salaries-est-d-un-usage-limite-3956.html
- ROVIRA D., « Pister les déplacements des salariés : les employeurs sous contrôle », L’Entreprise L’Express, mis en ligne 5 avril 2011, consulté le 28 novembre 2011, URL : http://lentreprise.lexpress.fr/gestion-du-personnel/pister-les-deplacements-des-salaries-les-employeurs-sous-controle_28956.html
- CHHUM F., « La géolocalisation illicite d’un salarié permet à celui-ci de prendre acte de la rupture de son contrat de travail », Village-Justice, mis en ligne le 7 novembre 2011, consulté le 28 novembre 2011, URL : http://www.village-justice.com/articles/geolocalisation-illicite-salarie-permet,11112.html
- Cabinet BENSOUSSAN, « La géolocalisation des véhicules des salariés », Cabinet Alain BENSOUSSAN, mis en ligne mars 2006, consulté le 28 novembre 2011, URL : http://www.alain-bensoussan.com/avocats/la-geolocalisation-des-vehicules-des-salaries/2009/12/11