Dans la conscience collective, la surveillance globalisée de l’individu est incarnée par le « Big brother » d’ Orwell, entité toute-puissante, centralisée, contrôlant l’ensemble de la société. La post modernité a accouché d’un mal plus pernicieux encore, représenté par un contrôle décentralisé et auto-alimenté de la société par l’exposition croissante de l’individu sur le web. Le danger est d’autant plus grand que bien souvent, l’internaute préside lui-même à cette exposition, laissant derrière lui une mine d’informations, dont la valeur est bien souvent ignorée pour les plus profanes d’ entre nous. Si certains ont pourtant conscience de l’utilisation des données personnelles par les différents acteurs du web, l’intérêt suscité par les nouvelles technologies est tel que l’internaute semble préférer l’utilisation de l’outil internet et cela même aux dépends de sa vie privée. Alors que les Etats membres de l’UE ont jusqu’au 25 mai 2011 pour transposer en droit national la directive 2009/136/EC relative aux droits des utilisateurs de services et réseaux de communication électroniques, le débat sur la protection des données personnelles sur Internet est relancé par le projet “Do not track” lancé par la fondation Mozilla et la farouche opposition de certains acteurs du Web.
Le projet « do not track » constitue un pas vers un renforcement de la protection des données personnelles sur internet. Initialement intégré uniquement dans Firefox, ce système a depuis été implanté dans “Internet Explorer” de Microsoft et “Safari” d’Apple. Ce nouveau standard du web fonctionne sur le principe suivant: lorsque le navigateur se connecte à un site (auquel certaines informations vont être transmises: historique de navigation, recherches effectuées sur le site…), il envoie un signal qui informe le site que l’utilisateur ne souhaite pas que ces données soient enregistrées. Cette préférence est transmise par un header HTTP à chaque clic ou à chaque page visitée. En d’autres termes le système demande la désactivation du ciblage comportementale de l’internaute.
Pour autant la chose n’est pas aisée dès lors que ce système se heurte à un certain nombre de difficultés. A commencer par les enjeux entourant la publicité ciblée qui constitue une manne financière importante à la fois pour les acteurs du web, en tête “Google” et “Facebook“, mais aussi pour les sociétés, pour qui Internet représente une vitrine virtuelle, source de développement et de visibilité. Pour les deux géants américains, la publicité ciblée est une clé essentielle de leur modèle économique. En effet, celui-ci est basé sur la fourniture de services apparemment gratuits pour l’internaute mais financés majoritairement sinon exclusivement par la publicité. Selon la CNIL, l’utilisation commerciale des données personnelles aurait ainsi rapporté à la société “Facebook“, la somme de 700 millions de dollars pour l’année 2009.
Récemment, le W3C, organe chargé d’établir les standards sur Internet, a publié un premier brouillon de recommandations techniques, pour faire du projet « Do not track », un standard à part entière. Le danger une fois encore, réside en la présence de “Google” et “Facebook” qui participeront au groupe de travail devant plancher sur la définition du “Do Not Track“. Le risque évident est celui d’un affaiblissement de l’ efficacité pour le futur standard. D’autant plus que deux salariés de Google feront partie du groupe de quatre personnes chargées de définir les modalités d’application du système.
Parallèlement à ces travaux, “Google” s’illustre dans sa résistance au projet à travers son action militante au sein d’un lobby qui tente d’avorter une prochaine législation qui s’inscrit dans l’élan initié par le système de Mozilla. “Google“, entre autre, considère que le modèle de l’Opt-in est incompatible avec la plupart des modèles de collecte des données utilisateurs et rappel que « Do Not Track » est une initiative d’Opt-out qui ne permet donc aux utilisateurs que de se retirer a posteriori des programmes de collectes, c’est à dire après que les données aient été collectées. En outre Google a lancé, un jour seulement après Mozilla, « Keep My Opt-Out », qui est une extension qui centralise l’historique comportemental de l’utilisateur et le communique auprès des programmes d’auto-régulation des professionnels du secteur, comme le « Network Advertising Initiative » ou le « Self-Regulatory Program for Online Behavioral Advertising ».
Toutefois et comme l’espère Tristan Nilot, les travaux au sein du W3C devraient aussi être porteurs d’ ambitions nouvelles en matière de protection des données personnelles, en permettant notamment de jeter « un pont entre le côté législatif et le côté technique, avec l’industrie de la publicité en ligne au milieu ». L’intervention législative apparaît comme une condition à la réussite du projet de Mozilla dès lors que l’ efficacité du système repose sur son adoption par les sociétés dont l’intérêt, à l’heure actuelle, est la poursuite de l’exploitation des données personnelles. A ce titre, sous l’impulsion de la Commission fédérale américaine du Commerce, un projet de loi visant à la protection de la vie privée des internautes, a été élaboré. Une fois encore, celui se heurte à l’opposition de certaines sociétés, notamment Google, pour qui « Le projet de loi du Sénat n°761 créer des contraintes inutiles, inapplicables et anticonstitutionnelles sur la réglementation du commerce en ligne ». Reste à savoir si le législateur américain ira jusqu’au bout de sa démarche en adoptant une législation contraignante ou en se contentant de recommandations.
Adeline CORNET
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FOWLER (G.), « Do Not Track: le nouveau projet de Mozilla pour protéger la vie privée et désactiver le ciblage comportemental par les publicitaires », mis en ligne le 24 janvier 2011, consulté le 30 novembre 2011, http://www.developpez.com/actu/27578/Do-Not-Track-le-nouveau-projet-de-Mozilla-pour-proteger-la-vie-privee-et-desactiver-le-ciblage-comportemental-par-les-publicitaires/
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