L’appétence croissante des internautes pour les jeux d’argent a rendu prolifique l’offre en la matière. Pourtant, cette offre n’emprunte pas toujours le schéma licite pour exister. Aussi un décret a-t-il été entériné le 30 décembre dernier, afin de mettre un terme à la survivance de ces sites illégaux.
L’ouverture à la concurrence dans le domaine des jeux d’argent en ligne, du fait de la loi du 12 mai 2010, a permis un plus large contrôle des sites offrant ce type de services. En effet, un système d’agréments a été imposé par le législateur, et seule l’Autorité de régulation des jeux en ligne est en mesure de les octroyer. Néanmoins, et malgré l’autorisation requise, certains tentent de passer outre la loi. Jusque là limitée dans ses moyens d’action, l’ARJEL peut désormais activer un dispositif efficace face à cette irrégularité.
En effet, sur requête de l’Autorité de régulation, le Président du TGI de Paris, dont la compétence est exclusive, peut ordonner la cession des activités non agrémentées, et ce au moyen du blocage par DNS (Domain name system). Ce recours à l’entité juridictionnelle est tout-à-fait justifié en la matière. Étant donné que l’ARJEL n’est autre qu’une autorité administrative indépendante, au même titre que l’HADOPI par exemple, elle ne peut, à ce titre, décider d’une telle sanction, laquelle relève uniquement de l’ordre judiciaire.
Bien évidemment, le recours à cette mesure, comme en dispose l’article 61 modifié de la loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, doit être précédé d’une mise en demeure entreprise par l’ARJEL en bonne et due forme.
Le concours des opérateurs internet
C’est donc face à l’inaction de l’opérateur en fraude que le blocage par DNS peut, dorénavant, être imposé à l’égard des fournisseurs d’accès à internet, mais également aux hébergeurs concernés. Nous observons bien ici la mise en exergue de leur devoir de surveillance sanctionné par leur concours forcé au maintien de l’ordre sur la toile. Néanmoins, même si leur vigilance est de mise, cela ne devait pas conduire à une entrave disproportionnée dans leurs affaires courantes. Ainsi, le décret ne s’est pas contenté de prescrire la seule intervention des acteurs de l’internet : il précise aussi les modalités de « compensation des éventuels surcoûts ».
L’article 2 du décret du 30 décembre 2011 apporte une définition sommaire de ce que représentent ces surcoûts : « Le terme de « surcoût » désigne les coûts des interventions manuelles spécifiques supplémentaires opérées dans les systèmes DNS que les opérations de blocage mentionnées à l’article 1er du présent décret auront pu entraîner pour ces personnes. Ces coûts comprennent, le cas échéant, l’acquisition de serveurs DNS supplémentaires rendus nécessaires par l’obligation de blocage. »
Un remboursement en demi-teinte
Cette compensation appelle cependant deux observations. Premièrement, cette modalité impose que le blocage soit effectué par DNS pour que l’avantage soit mis en œuvre. Pourtant, aujourd’hui, ce n’est pas le seul moyen qui permet de rendre inaccessible un site litigieux ; le blocage par BGP (Border Gateway Protocol) pourrait être une alternative. D’ailleurs, le gouvernement n’a pas choisi la mesure la plus efficace, même si elle se révèle peu coûteuse. En effet, pour ne s’attarder que sur son efficacité, le blocage par DNS peut aisément, pour un internaute aguerri, être contourné par l’utilisation d’un autre serveur DNS.
Deuxièmement, comme nous les avons définis plus en amont, seuls sont compensés les éventuels surcoûts, et non les coûts normaux rendant impossible l’accès. De plus, la démarche pour obtenir compensation, laquelle d’induit pas nécessairement un remboursement intégral, est fastidieuse. L’intéressé doit remplir différentes modalités et voit sa demande analysée par le Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies. Ce dernier rend un avis auprès de l’ARJEL, laquelle peut ensuite verser ou non l’indemnité. Mécanisme qui ne règle cependant pas le problème des coûts engagés par les intermédiaires techniques.
Un texte pris dans la précipitation
Même si l’on peut saluer l’engagement de l’État pour couvrir les frais avancés par les opérateurs considérés, la publication de ce décret appelle trois remarques conclusives.
Tout d’abord, nous pouvons constater l’absence de consultation de l’ARCEP, pourtant acteur majeur de la communication électronique, et ce, en dépit de l’alinéa 1er de l’article L36-5 du CPCE[1].
Ensuite, malgré l’obligation posée par la directive 98/40/CE[2] de notifier aux services de la Commission européenne tout projet de texte relatif à des services de la société de l’information, le gouvernement n’a pas souhaité la suivre.
Enfin, nous pouvons regretter, là encore, l’entrée en vigueur du décret sans qu’ait été consulté le Centre national du numérique. Démarche pourtant sollicitée par le Président de la République le 6 décembre 2011, lors de l’inauguration du siège de Google, pour toutes les matières propres à ce domaine.
L’empressement a d’ailleurs été illustré le 9 janvier dernier : le Président du TGI de Paris a d’ores et déjà prononcé le blocage du site Rome Casino, lequel proposait des jeux en toute irrégularité.
Sarah AKKAOUI-BORGNA
SOURCES:
– Article 61 modifié de la loi n°2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, Legifrance, publié le 2 janvier 2012, consulté le 10 janvier 2012, URL: http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=A6EC7D5CF433BD7373136AA906CDB964.tpdjo16v_3&dateTexte=?cidTexte=JORFTEXT000022204510&idArticle=JORFARTI000022204715&categorieLien=cid
– Décret n°2011-2122 du 30 décembre 2011 relatif aux modalités d’arrêt de l’accès à une activité d’offre de paris ou de jeux d’argent et de hasard en ligne non autorisée, Legifrance, publié le 2 janvier 2012, consulté le 2 janvier 2012, URL: http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025062583&dateTexte&categorieLien=id
– L. J., “ARJEL: un premier blocage par DNS ordonné aux FAI”, Numerama, mis en ligne le 17 janvier 2012, consulté le 17 janvier 2012, URL: http://www.numerama.com/magazine/21304-arjel-un-premier-blocage-par-dns-ordonne-aux-fai.html
– REES M., “Le décret ARJEL sacralise le blocage par DNS et réduit l’indemnisation des FAI”, PCINpact, mis en ligne le 2 janvier 2012, consulté le 10 janvier 2012, URL: http://www.pcinpact.com/news/67984-blocage-arjel-decret-indemnisation-cgiet.htm
– REES M., “Décret ARJEL: déjà des menaces de recours”, PCINpact, mis en ligne le 2 janvier 2012, consulté le 10 janvier 2012, URL: http://www.pcinpact.com/news/67985-arjel-cnn-arcep-notification-bruxelles.htm?vc=1&_page=3
– VATIN O., ” Les FAI vont bloquer les sites de paris illégaux”, L’informaticien, mis en ligne le 3 janvier 2012, consulté le 10 janvier, URL: http://www.linformaticien.com/actualites/id/22909/les-fai-vont-bloquer-les-sites-de-paris-illegaux.aspx
[1] Article L36-5 du Code des postes et des communications électroniques : « L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques et participe à leur mise en œuvre. »
[2] Directive du Parlement européen et du Conseil du 20 juillet 1998 relative aux procédures d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques.