Passer du 512Kb au 1Gb grâce à un câble aussi fin qu’un cheveu, ne serait-ce pas légèrement capilotracté ? Et bien non. Si aujourd’hui Numericable parvient déjà, grâce au réseau câblé, à offrir à ses abonnés des débits conséquents, désormais la fibre vous fera prendre de la vitesse. Aussi un vaste chantier a-t-il été entrepris afin que 60% du territoire français soit couvert par ce matériau innovant d’ici à 2020.
Cette résolution a été longuement pensée. En effet, avec l’adoption de la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, les politiques et les opérateurs télécoms se sont concertés afin de faire le point sur l’aménagement du pays en termes de connectivité à internet. Plus que la simple connectivité, laquelle se trouve relativement efficiente du fait des moyens de souscription mis à la disposition des potentiels abonnés (ADSL, 3G, Satellite), c’est la qualité du flux qui intéresse l’État et les acteurs économiques. La montée en débit souhaitée consiste à quitter le haut débit pour rejoindre le monde du très haut débit. Elle tend donc à offrir une bande passante symétrique à plus de 100 Mbit/s. Cette capacité technique peut être rendue possible de deux manières.
Toujours plus de vitesse
D’une part, la fibre optique peut être mise en place jusqu’à l’abonné (FttH). Ainsi, celle-ci se déploie du réseau de collecte jusque dans les logements ou locaux à usage professionnel. Cette option consiste à se substituer à la boucle locale de France Télécom pour devenir la partie terminale des réseaux. Ce déploiement FttH, même s’il s’avère efficace, nécessite la mobilisation de moyens techniques et de compétences spécialisées. Plus d’un million de kilomètres de fibre sera nécessaire et cela suppose également des coûts plutôt élevés, environ 25 milliards d’euros.
D’autre part, dans les cas où la FttH ne pourrait être déployée dans un délai raisonnable, la montée en débit via l’accès à la sous-boucle du réseau en cuivre de France Télécom est une solution intermédiaire acceptable dans l’attente de la fibre. Ainsi, plus de 95% des abonnés rattachés au sous-répartiteur faisant l’objet de la montée en débit pourraient bénéficier d’un accès xDSL performant avec un débit supérieur à 10 Mbit/s.
Si l’investissement colossal que représente le déploiement de la fibre – qu’elle aille jusqu’à l’abonné ou seulement jusqu’au sous-répartiteur – ne rebute pas les opérateurs, c’est qu’ils ont tout à y gagner. En effet, un débit plus important permet de promouvoir auprès de leurs abonnés des offres composites dites « Triple play » encore plus attractives. La télévision devient donc un élément à part entière de l’abonnement et sa transmission en haute définition (HD) n’est plus freinée par une bande passante saturée.
Un marché concurrentiel ?
Ce concours des opérateurs à cette mission d’intérêt public est une avancée considérable au sortir du monopole détenu par France Télécom sur ses paires de cuivre. Ainsi, plusieurs conventions ont été signées. Dernièrement, l’opérateur historique et Bouygues Télécom ont contractualisé leur partenariat dans le déploiement de la fibre auprès de plus de 10 millions de foyers. Ceci n’est pas un acte isolé. En effet, Orange a déjà conclu un accord avec SFR, leurs projets se recoupant largement dans les zones extra-urbaines. Ou encore s’est-il entendu avec Free afin de cofinancer les réseaux fibre dans une soixantaine d’agglomérations peu densément peuplées. L’on peut constater la prééminence de l’opérateur historique dans ces projets d’aménagement du territoire, non pas ici en tant que fournisseur d’accès à internet, mais en tant qu’opérateur de gros. Ce placement stratégique au cœur du déploiement de la fibre, en tant qu’ouvrage de génie civil, a fait l’objet, entre autres, d’un avis de l’Autorité de la concurrence. Elle s’est prononcée sur la cadre concurrentiel du déploiement de la fibre, notamment par l’intervention des collectivités territoriales à travers des « projets intégrés ».
L’Autorité n’a pas entendu remettre en cause la cadre complémentaire de la couverture du territoire en THD faisant appel à la fois à l’action publique qu’à l’action privée. Elle a néanmoins précisé la nécessité d’un cadre incitatif en ce domaine puisque l’opérateur historique peut être réfractaire à ce que soit déployé un réseau concurrent à boucle de cuivre locale. D’ailleurs, l’attachement à son monopole en matière de télécommunications s’observe par sa place de leader dans le déploiement de la fibre afin de faire perdurer ses avantages.
Le nécessaire concours des collectivités territoriales
Le point sur lequel il convient de s’arrêter est celui de l’initiative publique. Si jusqu’à maintenant nous avons plus largement évoqué les cas d’initiatives privées, notamment au travers des accords inter-opérateurs, la politique publique mise en exergue au sein de la loi de 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique donne un rôle primordial aux collectivités territoriales dans cette mission d’intérêt économique général.
De sorte, les collectivités locales sont devenues des acteurs importants du secteur des communications électroniques. Grâce à la procédure d’appel d’offre, elles sont en mesure de mettre en concurrence les différents opérateurs afin de réaliser les chantiers nécessaires au déploiement de la fibre au sein de leur domaine public. Cependant, l’Autorité de la concurrence s’est aperçue que les opérateurs ne se trouvaient pas sur un pied d’égalité s’agissant de l’établissement et de l’exploitation des réseaux publics. En effet, cette mesure administrative tend à mettre en concurrence d’une part des « pure players » situés uniquement sur le marché de gros et d’autre part, des opérateurs verticalement intégrés, lesquels sont également fournisseurs de services internet. Ainsi, ces derniers détiennent un avantage considérable sur les « pure players ». Avantage constitutif d’une possible distorsion de concurrence, étant donné qu’une fois en charge du réseau public, ils sont en mesure d’imposer une norme technique que seule leur fourniture d’accès sera en mesure de délivrer.
Afin de déconcentrer ces marchés de l’aménagement et de l’exploitation, l’Autorité de la concurrence préconise au moment de l’appel d’offre la notification des conditions d’exploitation futures en tant que FAI par l’opérateur candidat. De cette manière, si seul l’aménagement n’est attribué à ce dernier, l’exploitation sera possible par un autre opérateur grâce aux informations fournies.
L’ARCEP a d’ailleurs été choisie pour s’assurer de la bonne harmonisation de toutes ces prérogatives.
Sarah AKKAOUI-BORGNA
Sources :
– ARCEP, “La montée vers le très haut débit sur l’ensemble du territoire”, Les rapports de l’ARCEP, Mis en ligne en juillet 2011, consulté le 20 janvier 2012, URL: http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/guide-fibre-collectivites-juillet2011.pdf
– Autorité de la concurrence, “Déploiement de la fibre optique”, Communiqués de Presse de l’Autorité de la concurrence, mis en ligne le 19 janvier 2012, consulté le 20 janvier 2012, URL: http://www.autoritedelaconcurrence.fr/user/standard.php?id_rub=417&id_article=1754
– LeMonde.fr, AFP, Reuters, ” Fibre optique : accord entre Orange et Bouygues Télécom”, Le Monde, mis en ligne le 17 janvier 2012, consulté le 20 janvier 2012, URL: http://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/01/17/fibre-optique-accord-entre-orange-et-bouygues-telecom_1630650_651865.html