La Cour suprême américaine s’interroge actuellement sur la validité de la réglementation sur l’indécence à la télévision et à la radio imposée en 1973 par la FCC (Federation Communication Commission) équivalent du CSA en France. Les restrictions semblent poser deux difficultés. D’une part elles ne seraient pas conformes à la Constitution. D’autre part elles ne seraient plus justifiées par l’existence des nouvelles technologies.
Si l’Amérique peut paraître particulièrement puritaine cela pourrait bientôt changer. En effet des obscénités ou du sexe pourront éventuellement être vus ou entendus sur les ondes hertziennes. Le problème de la décence à la télévision ou à la radio pour l’Amérique puritaine remonte aux années 70. Tout commence avec le comique George Carlin et son sketch sur les seven dirty words pendant lequel il a prononcé en spectacle des mots qui ne pourront jamais être dits à la télévision : shit, piss, fuck, cunt, cocksucker, motherfucker, tits. Après une diffusion à la radio en pleine après-midi, un père de famille a déposé plainte contre le programme. En réaction la FCC a adopté une réglementation sur l’indécence toujours en vigueur, validée par la Cour suprême en 1978 (FCC v. Pacifica Foundation). Le but est de protéger les enfants aux heures de grande écoute. Les restrictions issues de ce texte ne se limitent pas aux grossièretés potentiellement prononcées en direct à la télévision et à la radio mais s’appliquent aussi aux images décrivant ou montrant des organes ou des activités sexuelles.
Plusieurs affaires ont éclaté entre les networks (Fox, CBS, NBC, ABC) et la FCC en contestation de cette réglementation quelque peu excessive à leurs yeux. Une affaire reposant sur des jurons prononcés par deux célébrités et sur la vue du fessier d’une actrice entrant dans une douche dans une série est remontée jusqu’à la Cour d’appel de New York. Le 13 juillet 2010 la Cour a jeté un pavé dans la mare en estimant que la réglementation de la FCC était « constitutionnellement vague » et serait susceptible de violer le premier amendement de la Constitution américaine, la liberté d’expression, droit quasi absolu aux États-Unis.
La FCC a saisi elle-même la Cour suprême afin de faire reconnaître la constitutionnalité de ces textes. Mais l’affaire, plus politique qu’il n’y paraît, opposant juges progressistes et juges conservateurs, semble aller bien au-delà du problème de constitutionnalité. La Cour s’interroge sur la nécessité de la réglementation sur l’indécence au regard des chaînes payantes qui échappent à son régime et surtout au regard des nouvelles technologies qui permettent, selon elle, d’exercer un meilleur contrôle sur les contenus. Il est intéressant de noter que le CSA a pris une position un peu similaire pour les services médias audiovisuels payants. Le 30 décembre 2011 le Conseil a adopté une délibération qui supprime les contraintes horaires et l’obligation de vérification de l’âge pour les films pornographiques ou les programmes particulièrement violents interdits au moins de 18 ans en les remplaçant par un code sécurisé.
Aux Etats-Unis, l’enjeu pour la télévision gratuite n’est pas négligeable puisque depuis la « terrible » affaire du sein de Janet Jackson au SuperBowl en 2004 les amendes infligées aux chaînes en cas d’infraction sont passées de 32 500 dollars à 8 millions de dollars. Par peur de la sanction les chaînes préfèrent différer de quelques secondes la diffusion des directs. Au-delà des amendes leurs licences peuvent éventuellement leur être retirées en cas de récidive.
Seules les chaînes gratuites de télévision et la radio peuvent se voir imposer les contraintes liées à l’indécence pour les diffusions entre 6 et 22 heures, temps pendant lequel les enfants peuvent faire partie de l’audimat. Selon la FCC est indécente « toute image montrant ou décrivant des organes ou des activités sexuelles manifestement choquantes au regard des normes contemporaines ». Les jurons quant à eux s’assimilent à la liste précitée qui n’est pas exhaustive. La FCC a ajouté qu’est interdit tout langage grossier qui offense le public et équivaut à une nuisance. Ces définitions restent vagues et laissent une marge d’interprétation très large à l’autorité de régulation. Ses décisions peuvent paraître particulièrement arbitraires pour le public. La Fédération ne sanctionne qu’après s’être intéressée au contexte de la diffusion. Cette analyse aboutit parfois à des incohérences. Par exemple, la diffusion du film Il faut sauver le soldat Ryan a crée une polémique à cause de la vulgarité des dialogues. Or le diffuseur n’a pas été sanctionné. Il peut nous paraître étrange que la question de la vulgarité du langage ait été soulevée pour ce film où le problème en Europe se situerait davantage sur la violence de la scène du débarquement en Normandie. Quoiqu’il en soit ces arguments ont justifiés la décision de la Cour d’appel de New York qui estime que la réglementation mise en œuvre est trop vague.
Il est donc demandé à ce que la télévision gratuite se voit appliquer le même régime que la télévision payante (câbles, satellites et pay-per-view). Contrairement à la France où le CSA peut imposer des obligations aux chaînes payantes par l’intermédiaire de conventions, aux États-Unis la FCC n’a aucun pouvoir sur le contenu des services par abonnement. Il appartient à l’abonné de résilier son contrat s’il estime que le contenu d’un programme ne lui convient pas ou de mettre en place des procédures de contrôle. Ces chaînes n’échappent pas pour autant à la réglementation. Même si certaines séries ne se gênent pas pour ignorer la notion d’indécence à l’américaine (South Park, The Shield, Californication …) le système s’autorégule notamment par les annonceurs qui ne veulent pas que leurs produits soient présentés entre deux programmes qui peuvent leur porter préjudice.
SOURCES :
L’Express.FR avec AFP, « L’Amérique s’interroge sur l’indécence à la télévision », L’express, mis en ligne le 11 janvier 2012, consulté le 15 janvier 2012, http://www.lexpress.fr/actualite/media-people/media/l-amerique-s-interroge-sur-l-indecence-a-la-television_1070254.html
BERRY. Ph., « Les règles sur l’indécence à la télé américaine jugées inconstitutionnelles », 20 minutes, mis en ligne le 14 juillet 2010, consulté le 15 janvier 2012, http://www.20minutes.fr/television/585109-Television-Les-regles-sur-l-indecence-a-la-tele-americaine-jugees-inconstitutionnelles.php
FCC, Guide Obscenity, Indecency and Profanity, consulté le 15 janvier 2012, http://www.fcc.gov/guides/obscenity-indecency-and-profanity
« Seven dirty words », TV Tropes, consulté le 15 janvier 2012, http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/SevenDirtyWords
Université de Californie, ” FCC regulation of broadcast obscenity, indecency, and profanity », juin 2006, consulté le 15 janvier 2012, http://www.ucop.edu/irc/services/documents/indecencymemo.pdf