La diffusion de films sur la petite lucarne est source d’Audimat exponentiel pour les éditeurs de services de télévisions. Ainsi TF1 a réalisé pas moins de 35,2% de parts de marchés, le 1er janvier 2012, grâce à l’œuvre maintes fois diffusée, La Grande Vadrouille de Gérard Oury. Succès d’antenne, les œuvres cinématographiques restent la solution face à l’émergence des nouvelles formes de concurrence (VOD, Google, Netflix…). Pourtant le cadre juridique actuel des jours d’interdiction des films, institué pour soutenir le grand écran, ne semble pas s’adapter aux évolutions économiques et sociologiques du secteur audiovisuel. L’obtention récente d’une dérogation autorisant la programmation de longs-métrages le mercredi en première partie de soirée par le groupe franco-allemand Arte , risque peut être d’ouvrir une porte à une réforme du système. Renforcée par les très bons résultats du secteur cinématographique, avec plus de 215 millions d’entrées pour l’année 2011, et voulue par les professionnels de l’audiovisuel la « probable future » réforme risque de prendre corps le 2 février prochain lors d’une consultation organisée par la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC).
Un cadre de diffusion désuet ?
Depuis plus de vingt ans, un cadre juridique de diffusion est imposé au éditeurs de télévision afin de ne pas concurrencer les salles de cinéma. Ainsi selon le décret 90-66 du 17 janvier 1990, ceux-ci ne peuvent diffuser d’œuvres cinématographiques « le mercredi soir, à l’exception des œuvres d’art et d’essai après 22h30 ; le vendredi soir à l’exception des œuvres d’art et d’essai après 22h30 ; le samedi ;(et) le dimanche avant 20h30. » (art 10). Ces règles de principe peuvent toutefois faire l’objet de dérogations en échange de garanties économiques plus importantes apportées au financement des œuvres cinématographiques. Déjà producteur important de la filière, Arte en s’engageant à soutenir plus intensément le secteur a pu obtenir une dérogation aux règles strictes de programmation. La chaîne peut désormais diffuser le mercredi en première partie de soirée une case consacrée « aux films d’art et d’essai à connotation européenne ». Par cette dérogation, il apparaît que le sacro-saint décret ne constitue plus à l’heure actuelle un cadre immuable aux règles de diffusion et pourrait donc disparaître.
Les raisons de cette remise en cause sont multiples pour un décret « dépassé » d’après la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD). Selon Emmanuelle Guilbart, directrice générale déléguée aux programmes de France Télévision,« il n’y a jamais eu autant de films et la fréquentation en salles n’a jamais été aussi solide ». En effet, depuis les années 60 l’industrie cinématographique ne s’est jamais aussi bien portée malgré l’apparition d’outils non soumis aux règles du décret aujourd’hui décrié. Désormais les éditeurs doivent faire face à une concurrence qui s’est considérablement accrue.
De nouvelles réalités économiques ?
Avec la démocratisation du téléchargement légal ou illégal, et le développement des offres de VOD, streaming, Catch up Tv ou encore l’offre future de télévisions connectées, le spectateur a désormais la possibilité de visionner un film dans les plus brefs délais. L’arrivée prochaine de diffuseurs internationaux sur les télévisions françaises (Google, Apple, Netflix…) risque encore d’accroître la consommation d’œuvres cinématographiques. Ces offres « multi-écran », ne répondent désormais plus aux réalités imposées par les jours d’interdiction de diffusion. Et il serait inconcevable d’imposer un cadre que peu de pays ont à l’heure actuelle adopté.
Les chaînes de télévision française doivent de ce fait repenser leur modèle économique classique et une solution semble avoir été trouvée par le couple franco-allemand. Augmenter le nombre de films dans leurs grilles de programmes assure aux éditeurs des Audimats exponentiels. Pour exemple, l’éditeur Arte, dont l’audience culmine en moyenne à 2,1% à rafler pas moins de 6,2% de part de marché grâce à l’oeuvre de Sydney Pollack La Firme, soit 1 537 000 téléspectateurs. Si ce score est symbolique, voir historique pour le couple franco-allemand, la tendance d’une hausse d’Audimat se vérifie quasiment toujours pour la chaîne, les scores se portant à 3,4% les jours de diffusions.
Cependant abroger ce cadre juridique de diffusion ne constituerait en rien un abandon économique de la filière cinématographique. Bien au contraire. Pour obtenir sa dérogation le groupe Arte s’est orienté en faveur d’un financement plus accrue des œuvres cinématographiques. Selon le directeur adjoint des programmes, Emmanuel Suard, Arte s’est engagée « à consacrer 3,5 % de (ses) ressources au cinéma français ». Et la chaîne compte bien en profiter en diffusant de plus en plus de films chaque année, pour 2012 la nouvelle grille de programmes comptera pas moins de 250 films. Ce nouveau credo n’est pas illogique, financer le cinéma suppose un double bénéfice, des retombées économiques sur grand écran et une priorité de diffusion sur son canal. Mais si cette dérogation constitue une avancée majeure, elle n’est en rien une réponse suffisante aux inquiétudes des éditeurs.
Vers une réforme ?
L’inquiétude des professionnels du secteur audiovisuel est palpable et beaucoup semblent vouloir adopter cette politique de diffusions massives. Cependant octroyer trop de dérogations emporterait la mise en place d’un régime où le principe serait l’exception. Afin de trouver d’autres solutions la DGMIC organise une consultation le 2 février prochain auprès des acteurs de la filière. Une consultation qui pourrait mener Frédéric Mitterrand à repenser ce système devenu ubuesque. À moins que la question prenne un tournant plus présidentiel à quelques mois de l’élection. Toutefois quelque soit le résultat des urnes, la question de la diffusion des films devra nécessairement passer par une négociation internationale…
Sources :
- CARASCO A., « La télévision va diffuser plus de films », La Croix, mis en ligne le 4 janvier 2011, consulté le 10 janvier 2012, http://www.la-croix.com/Culture-Loisirs/Culture/Cinema/La-television-va-diffuser-plus-de-films-_EG_-2012-01-04-754096
- CASSINI S . et HENNI J., « Aurélie Filipetti (PS) : « Hadopi, une catastrophe dont il faut sortir » », La Tribune, mis en ligne le 13 décembre 2011, consulté le 10 janvier 2012, http://www.latribune.fr/technos-medias/20111213trib000670856/aurelie-filipetti-ps-hadopi-une-catastrophe-dont-il-faut-sortir.html
- AFP, « Les films de cinéma pourraient s’inviter plus souvent à la télévision », L’Express, mis en ligne le 1er janvier 2012, consulté le 10 janvier 2012, http://www.lexpress.fr/actualites/1/culture/les-films-de-cinema-pourraient-s-inviter-plus-souvent-a-la-television_1057044.html
- SCHMITT F., « Frédéric Mitterrand veut assouplir les règles de diffusion des films à la télévision », Les Echos, mis en ligne le 9 décembre 2011, consulté le 10 janvier 2011, http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0201785899661-frederic-mitterrand-veut-assouplir-les-regles-de-diffusion-des-films-a-la-television-260682.php
- L. Julien., « La SACD réclame une révision de la chronologie des médias », Numerama, mis en ligne 20 octobre 2011, consulté le 10 janvier 2012, http://www.numerama.com/magazine/20264-la-sacd-reclame-une-revision-de-la-chronologie-des-medias.html
- GRENON C., « Arte : 250 films en 2012 et même le mercredi soir », Nouvelobs, mis en ligne le 8 janvier 2012, consulté le 10 janvier 2012, http://teleobs.nouvelobs.com/articles/arte-250-films-en-2012-et-meme-le-mercredi-soir
- Communiqué Mediametrie, « La VOD séduit plus d’1 internaute sur 5 », Mediametrie, mis en ligne le 10 janvier 2012, consulté le 10 janvier 2012, http://www.mediametrie.fr/television/communiques/la-vod-seduit-plus-d-1-internaute-sur-5.php?id=585
- Décret n°90-66 du 17 janvier 1990 pris pour l’application de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et fixant les principes généraux concernant la diffusion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles par les éditeurs de services de télévision. consulté le 10 janvier 2012, http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000342173&dateTexte=