Le 9 janvier dernier, lors de l’officialisation d’un partenariat test avec l’organisation à but non lucratif Creative Commons, la SACEM a fait un pas, un pas de plus dans l’ère du numérique. C’est un partenariat qui doit marier deux philosophies, jusqu’alors purement antagonistes : celle d’un partage simplifié à l’ère du numérique et celle de l’impérieuse nécessité de protection des auteurs, éditeurs et interprètes. Mais dans ce décors aux allures de mariage arrangé, nombreux sont ceux qui réservent leur jugement, pas tout à fait convaincus. Reprenons le film de ce partenariat :
Les acteurs
J’ai d’un côté la SACEM, aux allures d’une dame vieillissante, que tout le monde peste, franchement dépassée, mais dont on ne peut nier la sagesse et l’utilité. De l’autre, Creative Commons, jeune dynamique qui use son skateboard sur les bancs publics. Personne n’aime ça, mais c’est comme ça. Les temps changent, et puis, «il est mieux là qu’à prendre de la drogue et à voler» comme disent les autres. Les autres, c’est surement les auteurs, éditeurs et interprètes qui doivent se positionner dans un modèle en mutation.
Toujours est il que trois entités répondent au casting de ce partenariat :
- Creative Commons, qui s’est fixé l’objectif d’offrir un cadre légal et alternatif au droit d’auteur, facilitant l’utilisation et la réutilisation des oeuvres, principalement en ligne, au service de la créativité.
- La SACEM, à savoir la société française de gestion collective des droits d’auteur pour la musique, chargée de percevoir et de redistribuer ceux-ci.
- Et bien sûr les premiers concernés, les bénéficiaires de ce partenariat, à savoir les auteurs, compositeurs et éditeurs.
Le scénario
Jusqu’ici, un artiste, compositeur ou éditeur qui souhaitait voir la SACEM s’occuper de la gestion de ses droits, ne pouvait distinguer l’utilisation commerciale de l’utilisation non-commerciale de ses oeuvres. Ainsi, il laissait à la société de gestion collective, le soin de percevoir les droits sur toute diffusion (radio, internet, commerces, boite de nuits, échanges etc.) et il n’avait plus de liberté quant à une utilisation non commerciale. On note qu’en pratique il conservait «gracieusement» le droit de mettre ses oeuvres à disposition du public sur son site personnel. Ceci dit, toute diffusion désintéressée ne lui était pas permise ailleurs. Impossible donc de distribuer gratuitement un EP sur des plates formes de téléchargement, pour assurer sa promotion. Une pratique devenue courante ces dernières années. Impossible également d’imaginer une diffusion publique libre.
Et c’est là qu’intervient l’accord SACEM x Creative Commons. Car aujourd’hui, et pour une durée test de 18 mois, il est possible de placer toute oeuvre à la SACEM (même déjà déposée) sous l’une des trois licences Non Commerciale Creative Commons qui répondent aux noms barbares suivants et qui se résument ainsi :
- CC BY-NC = Paternité + Utilisation Non Commerciale <=> Les oeuvres placées sous cette licence peuvent être arrangées et remixées librement à condition que l’utilisation qui en est faite soit non commerciale et que le nom de l’auteur original soit mentionné. Elles peuvent être distribuées dans des conditions différentes de celles de l’oeuvre originale.
- CC BY-NC-SA = Paternité + Utilisation Non Commerciale + partage à l’identique <=> Réarrangement et Remix possibles à condition d’une utilisation non commerciale et de la mention du nom de l’auteur original. Les nouvelles oeuvres doivent être distribuées dans des conditions identiques.
- CC BY-NC-ND = Paternité + Utilisation Non Commerciale + Pas de modification <=> C’est la licence la plus restrictive des trois, elle n’autorise au tiers que le téléchargement et le partage sans aucune altération, et à condition que figure le nom de l’auteur.
La SACEM fait donc entrer dans son microcosme l’ère de l’utilisation «non-commerciale». Une entrée attendue mais qui semble demeurer symbolique tant la mise en oeuvre paraît bancale, au regard du net et des usages actuels.
L’intrigue
En réalité, le coeur de la discorde se trouve principalement sur la notion d’utilisation «non-commerciale» et sur les possibilités qu’elle recouvre. Certains critiquent le fait que la SACEM ne laisse pas aux auteurs / éditeurs / interprètes le soin de délimiter eux-même ce qu’ils estiment être de l’usage non-commercial. Car oui, le cadre est limité, et dans des proportions considérables lorsqu’on a conscience de l’architecture du net, notamment de son financement. Ainsi et aux termes de la définition rigoureusement donnée par la SACEM, on basculera du nouveau régime Creative Commons au régime classique dès lors que l’utilisation qui est faite de l’oeuvre, redevient «commerciale». Comprenez – d’après la SACEM :
- toute utilisation d’une œuvre par une entité ayant pour objet de réaliser des bénéfices ;
- toute utilisation d’une œuvre donnant lieu à une contrepartie, financière ou autre, sous quelque forme, à quelque titre et pour quelque motif que ce soit et quel qu’en soit le bénéficiaire ;
- toute utilisation d’une œuvre à des fins de promotion, ou en lien avec la promotion, d’un quelconque produit ou service et quel qu’en soit le bénéficiaire ;
- toute utilisation d’une œuvre par un organisme de télédiffusion ou sur les lieux de travail, dans les grands magasins ou les commerces de détail ;
- toute utilisation d’une œuvre dans un restaurant, un bar, un café, une salle de concert ou autre lieu d’accueil du public ;
- toute utilisation d’une œuvre par une entité dans le cadre, ou en relation avec, d’activités générant des recettes ;
- tout échange en ligne ou autrement d’une œuvre contre une autre œuvre protégée par un droit de propriété intellectuelle mais seulement lorsque sont générées des recettes de publicité ou de parrainage, directes ou indirectes, ou qu’intervient un paiement de quelque nature que ce soit en relation avec cet échange.
On peut regretter finalement que toute utilisation impliquant de l’argent à un moment ou à un autre fasse basculer le régime, et ce même si la finalité n’est pas de générer des bénéfices quelconques. Quid d’un blog utilisant la publicité pour couvrir ses frais d’hébergement ? Quid d’un partage par l’intermédiaire des réseaux sociaux ? Et si l’utilisation par peer-to-peer semble échapper à cet usage «commercial» (si toutefois, on considère que la plateforme en question ne génère aucuns bénéfices), la question se pose encore pour les procédés de direct download, notamment au regard de l’actualité.
Le dénouement
Alors, dans le flou d’une telle mise en oeuvre, se pose la question du véritable apport de ce partenariat. Nul ? Symbolique ? Limité ? Intéressant ? Sans doutes tout à la fois. On constate globalement qu’il aurait simplement tendance à légitimer des pratiques quotidiennes, observées depuis de nombreuses années. Pour autant, les partisans de «l’art libre» – favorable au partage simplifié des oeuvres – semblent saluer unanimement ce pas en avant, bien que beaucoup regrettent un accord à minima. Personne ne viendra dire qu’il est un pas en retrait. Il est au mieux le signe de l’évolution des mentalités, au pire «un coup d’épée dans l’eau». Si concrètement, on ne constatera pas de grandes évolutions, à cause des limites qu’il pose, en théorie, il est porteur d’espoir pour une évolution du droit d’auteur. Jérémie Nestel, président de l’association Libre Accès, craint pour sa part qu’il ne s’agisse que d’une démarche de récupération de la SACEM, visant à redorer son image auprès des jeunes groupes sous licences CC.
Sans aller jusque là, on peut affirmer que la démarche est louable, et pourquoi pas penser, qu’elle est une étape avant des discussions idéologiques plus profondes sur l’ouverture d’une Licence Globale par exemple…
SOURCES :
- G. CHAMPEAU, La SACEM autorise enfin l’usage de Licences Creative Commons, numerama.com, mis en ligne le 9 janvier 2012 : http://www.numerama.com/magazine/21213-la-sacem-autorise-enfin-l-usage-de-licences-creative-commons.html
- S. FANEN, SACEM : nouvel air numérique, liberation.fr, mis en ligne le 13 janvier 2012 : http://www.liberation.fr/medias/01012383009-sacem-nouvel-air-numerique
- S. FANEN, La SACEM enfin Creative, ecrans.fr, mis en ligne le 11 janvier 2012 : http://www.ecrans.fr/Sacem-CC,13841.html
- sacem.fr, Expérience pilote SACEM – Creative Commons : http://www.sacem.fr/cms/lang/fr/home/createurs-editeurs/creative-commons/experience-pilote-sacem-creative-commons