Suite à l’annonce et à la création d’un forfait qui a fait l’effet d’une bombe dans le petit monde des opérateurs télécoms, Xavier Niel, PD-G d’Iliad (maison mère de Free), s’est offert la tournée des grands ducs. En sus de shows commerciaux où il jouait lui-même les VRP de luxe à la manière de Steve Jobs, il a aussi eu droit à quelques apparitions télévisées. Oui, mais…
Le 10 janvier au matin a vu l’éclosion d’un forfait de téléphonie mobile par la marque Free, plus connue pour son rôle de fournisseur d’accès internet (FAI) ce qui constitue une première dans le monde des télécoms. Mais au-delà des rôles établis, c’est le forfait lui-même qui fait grincer les dents des opérateurs plus anciens : une offre à 19,99 euros par mois pour les trois premiers millions d’abonnés mobile (internet, SMS, MMS illimités et appels illimités vers plus de 40 destinations) ; 9,99 euros pour les abonnés internet Free ; voire 2 euros pour la téléphonie fixe. Cette nouvelle a fait l’effet d’une bombe commerciale et a plutôt été mal vue par le reste des opérateurs, ce qui est compréhensible puisque remettant en cause une hégémonie historique. Les FAI deviennent des concurrents sérieux dans le domaine des télécoms et les politiques tarifaires sont mises à mal.
Xavier Niel, président du groupe Iliad – maison-mère de Free -, a fait en sorte que cela se sache. Dans un premier temps, il s’est fait son propre agent commercial, dans le cadre de shows à l’américaine, avec force écrans géants, power-point Next-Gen, et casque-micro pour pouvoir se mouvoir au mieux sur une scène contemplée par une presse extatique face à une telle annonce. Cela rappelle les keynotes cultes d’Apple et de son président emblématique Steve Jobs, tant il est vrai qu’il a « révolutionné » la démarche médiatique des entreprises et de leurs dirigeants. Le plan de communication de Xavier Niel était donc particulièrement bien rôdé. Il a même eu droit à un titre dans le JT de 20 heures de TF1, pourtant détenue par Bouygues (et donc Bouygues Télécom), ce qui revient à voir un de ses concurrents lui faire de la publicité. Free avait donc presque tout compris.
Pourtant, une fausse note a eu lieu le soir même de l’apparition de ces forfaits. Xavier Niel a reçu une invitation du « Grand Journal » de Canal+, talk-show d’envergure de Michel Denisot. Xavier Niel avait accepté cette invitation qualifiée d’exclusive. Et le quand le moment fut venu pour Mr Niel de passer des coulisses au plateau de l’émission, il s’est vu prier de quitter les studios de Canal par le producteur de l’émission en personne, Renaud Le Van Kim. La raison de ce couac est que le patron de Free est apparu dans l’émission « C à vous », animée par Alessandra Sublet sur France 5, talk-show concurrent du « Grand Journal » puisque diffusé à la même horaire. Aux yeux de Canal+, une interview exclusive consiste à ne pas apparaître dans une émission similaire, le même jour, à la même heure. Mais Xavier Niel n’avait peut-être pas entendu cela de la même façon.
Pendant un moment, la presse a bien cru à une manœuvre vengeresse de la part des autres opérateurs télécoms. En effet, Canal+ fait partie du groupe Vivendi, qui détient lui-même SFR, opérateur télécom bien connu et concurrent direct de Free, désormais aussi bien avec la téléphonie que l’internet. Mais c’était beaucoup plus simple et moins machiavélique que cela. Les deux talk shows de Canal+ et France 5 se livrent une guerre de l’audience, surtout depuis que « C à vous » rattrape « Le Grand Journal » : pour exemple, l’émission de France 5 du mardi 10 janvier (la litigieuse donc) réalisait un score de 4,1% d’audience contre 7,6% pour Canal+. Le lendemain soir, « Le Grand Journal » a renouvelé son invitation à Xavier Niel qui a accepté. Renaud Le Van Kim s’est confié en ces termes au Point : « L’attaché de presse de Xavier Niel le place dans deux émissions en même temps, c’est grotesque, même pour lui ! J’ai rappelé Xavier Niel ce matin pour le réinviter dès ce soir ». Ou encore au Parisien : ” Nous avons appris un quart d’heure avant l’émission que Xavier Niel serait en même temps en direct sur C à vous sur France 5. Les téléspectateurs n’auraient pas compris qu’il soit au même moment à deux endroits. Nous lui avons donc demandé très cordialement s’il pouvait revenir un autre jour. Il l’a très bien compris “. On voit bien que la question des exclusivités pour ces émissions est primordiale. Et puis, Canal+ n’est pas exactement en situation de rivalité avec Free. Le bouquet ADSL de Free a contribué à vendre les abonnements Canal+, en pleine croissance depuis quelques années. Xavier Niel peut donc être un partenaire commercial privilégié aux yeux de Bertrand Méheut, PD-G de Canal+. Mais Frank Esser, PD-G de SFR et cousin économique de Canal+, voit peut-être les choses différemment… Audiovisuel, Télécoms et FAI, votre univers impitoyable.
Sources :
E. Berretta, « Free Mobile – Xavier Niel invité, puis refoulé du Grand Journal », Le Point.fr, mis en ligne le 10 janvier 2012, http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/free-mobile-xavier-niel-invite-puis-refoule-du-grand-journal-10-01-2012-1417540_52.php
E. Berretta, « Le Grand Journal s’ouvre (finalement) à Xavier Niel », Le Point.fr, mis en ligne le 11 janvier 2012, http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/le-grand-journal-s-ouvre-finalement-a-xavier-niel-11-01-2012-1417784_52.php
L. Bretonner, « Xavier Niel déprogrammé : les explications de Canal+ », Le Parisien.fr, mis en ligne le 12 janvier 2012, http://www.leparisien.fr/tv/xavier-niel-deprogramme-les-explications-de-canal-12-01-2012-1808157.php