Au mois de septembre dernier, le site Copwatch a fait son entrée sur la toile. Décrit par ses auteurs comme un portail de vérité sur l’univers policier, des photos et tout un ensemble de données personnelles sur les fonctionnaires soit disant « zélés » ont été mis en ligne. Le Ministère de l’Intérieur a déclaré la guerre à cette vitrine, dénoncée comme étant diffamatoire, et les juges du référé ont prononcé le blocage total du site. Qu’importe, les contrevenants ont remis le couvert et, le 24 janvier dernier, ont décidé de modifier l’URL afin de permettre de nouveau l’accès à leur site.
Analepse historique : le 13 janvier 1898, Émile Zola s’exprime au sein du journal l’Aurore – la presse étant le « média de masse » de l’époque – pour dénoncer l’erreur judiciaire qui, selon lui, a conduit à l’injuste condamnation d’Alfred Dreyfus. Le célébrissime « J’accuse », adressé au Président de la République de l’époque, Félix Faure, illustre encore aujourd’hui la lutte contre l’acharnement envers les plus faibles, ce dont se prévaut le site Copwatch en ce début d’année 2012.
C’est la surveillance du corps policier qui est mise en avant afin que soit révélées aux internautes les supposées bavures. Photos, vidéos, données personnelles, telles que le nom ou les coordonnées en tous genres, tout est bon pour intimider les forces de l’ordre sous la houlette du pouvoir. Même si cet élan de délation peut être louable face aux dérapages qui peuvent être inhérents à cette profession, les dérives qu’il peut attiser sont multiples. Volonté de vengeance des uns, passage à l’acte pour les autres, c’est la mise en danger d’autrui qui est exacerbée en pareils cas. Cette atteinte à l’honneur et à la sécurité des fonctionnaires de police avait permis le 14 octobre dernier de faire fermer l’entièreté du site litigieux par une procédure de référé. Mais cette décision par voie d’urgence n’a pas eu l’effet escompté, puisque des sites miroirs ont continué de diffuser le contenu du site Copwatch. Ses créateurs défendent leur démarche au sein de leur nouvelle vitrine publiée le 24 janvier 2012, en s’insurgeant face à la censure dont ils font l’objet, mettant en avant leur liberté d’expression et le droit du public à être informé des dérives policières.
Mais alors, la sécurité des personnes peut-elle être remise en cause, voire même bafouée, au nom de la sacrosainte liberté d’expression ?
Loin s’en faut, lorsqu’un policier reçoit une balle de fusil de chasse dans sa boîte aux lettres, lorsque la vie intime d’un agent de l’État est exposée au grand public sans que celle-ci ait un lien avec ses fonctions auprès du public, l’injure, la diffamation ou encore l’atteinte à la vie privée ne peuvent être justifiées au nom de ce principe constitutionnel.
D’ailleurs, le Ministère de l’Intérieur est revenu à la charge ; il ne pouvait laisser prospérer une telle source de données à caractère personnel et d’informations jugées, selon lui, diffamantes. Le juge du référé est à nouveau saisi par M. Claude Guéant, saisine à laquelle s’est joint le policier intimidé par la munition déposée dans sa boîte aux lettres. « Rebelote », dirions-nous, l’audience du TGI de Paris s’est tenue le 7 février dernier et, une fois encore, le blocage a été avancé par le requérant : il s’agit d’un blocage par DNS de l’ensemble du site et non de quelques URL. Néanmoins, même si ce moyen d’action apparaît comme contraignant et dissuasif, nous en connaissons les limites. Il a pu faire l’objet de vives critiques, s’agissant des sites à caractère pédopornographique ou encore des sites de jeux d’argent non agréés. En effet, cette mesure se trouve être facilement contournable par l’utilisation d’un autre serveur DNS, et plus habilement par l’utilisation du réseau TOR ou d’un VPN (Virtual private Network). Cette dernière alternative reste cependant accessible aux plus érudits d’entre nous en matière de hacking.
Font donc l’objet de cette requête plus de trente-quatre plateformes rendant possibles l’accès aux contenus injurieux et diffamants. Le ministre de l’Intérieur compte, comme lors du premier acte, sur le concours des FAI (fournisseurs d’accès à internet) pour bloquer les pages mises en ligne sur les sites miroirs, lesquels ont permis la résurgence du site Copwatch, et ce malgré l’injonction judiciaire.
Le 13 février 2012, le TGI de Paris a rendu sa décision : blocage total, un de plus, pour le site Copwatch. Néanmoins, les juges n’ont pas été enclins à répondre favorablement à la demande concernant les sites miroirs. De surcroît, le ministre de l’Intérieur voulait que soit automatiquement bloqués les sites répondant de la même infraction que celle soulevée par les juges, à savoir l’atteinte à l’honneur et à la sécurité des fonctionnaires concernés. Cela n’a pourtant pas été suivi, car il apparaissait quelque peu disproportionné de blâmer tout site à venir sans qu’il ne puisse faire l’objet d’une procédure de blocage propre.
Cette victoire en demi-teinte au profit de M. Guéant laisse cependant présager l’avènement d’un cercle vicieux. En effet, au vu des faits itératifs et similaires révélés entre le mois de septembre dernier et ce début d’année 2012, nous allons sûrement, dans quelques mois, être confrontés à la même situation d’avant-procès avec la mise en ligne d’un nouveau site sous une autre adresse, via un autre serveur DNS. Pendant ce temps, les sites miroirs pourront continuer à publier l’actualité fort dérangeante de ces espions des temps modernes. Là encore, l’acharnement judiciaire devrait se révéler comme un coup d’épée dans l’eau…
Sarah AKKAOUI-BORGNA
SOURCES :
– ACTU FRANCE SOIR, “Copwtach “renait de ses cendre” : Pour combien de temps ?”, Francesoir.fr, mis en ligne le 25 janvier 2012, consulté le 25 février 2012, URL : http://www.francesoir.fr/actualite/justice/copwatch-renait-de-ses-cendres-pour-combien-de-temps-177855.html
– AKKAOUI-BORGNA S., “Mauvaise pioche pour les sites de jeux illictes”, IREDIC, mis en ligne le 28 janvier 2012, consulté le 25 février 2012, URL : https://iredic.fr/?p=8218
– AKKAOUI-BORGNA S., “Mise à nu d’un réseau de pédopornographie par les hackers d’Anonymous”, IREDIC, mis en ligne le 12 novembre 2011, consulté le 25 février 2012, URL : https://iredic.fr/?p=6967
– AP, “Réouverture du site Copwatch interdit par la justice française”, Nouvelobs.com, mis en ligne le 25 janvier 2012, consulté le 25 février 2012, URL : http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20120125.FAP0008/reouverture-du-site-copwatch-interdit-par-la-justice-francaise.html
– LEMONDE.FR et AFP, “Fichage des policiers : le site Copwatch réactivé après avoir été bloqué par la justice”, mis en ligne le 25 janvier 2012, consulté le 25 février 2012, URL : http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/01/25/fichage-des-policiers-le-site-copwatch-reactive-apres-avoir-ete-bloque-par-la-justice_1634177_3224.html
– POLLONI C., “Copwatch: “Pas question de laisser le dernier mot à la censure””, Les Inrocks.com, mis en ligne le 24 janvier 2012, consulté le 25 février 2012, URL : http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/76412/date/2012-01-24/article/copwatch-le-retour-interview/
– ROBILLART O., “De retour en ligne, le site Copwatch et ses miroirs passeront par la case justice”, Clubic, mis en ligne le 1er février 2012, consulté le 25 février 2012, URL : http://www.clubic.com/internet/actualite-473650-copwatch-is-back-justice.html
– ROBILLART O., “Copwatch: la justice bloque un site mais pas les miroirs”, Clubic, mis en ligne le 13 février 2012, consulté le 25 février 2012, URL : http://www.clubic.com/internet/actualite-474828-copwatch-justice-interroge-blocage-sites-miroirs.html