La plaisanterie était-elle de mauvais goût ou la langue a-t-elle fourchée ? Toujours est-il qu’un mot de travers aura suffi à une station de radio pour évincer l’un de ses collaborateurs maniant un vocabulaire fleuri. Un cas d’espèce qui appelle à s’interroger sur ce qu’il est tolérable de dire au micro, a fortiori en face d’une population (pré-)pubère.
« […] à la limite, je pourrais la violer sans déconner, voici Britney Spears […] »
Nul doute que les auditeurs provençaux de Virgin Radio ont tendu l’oreille lors du lancement du morceau « Till The World Ends » interprété par l’ex-petite fille chérie de l’Amérique. Le 27 janvier 2012, durant le décrochage local, l’animateur a laissé s’exprimer sa libido. À la clé, une hilarité impossible à réfréner parmi le jeune public.
Ni rire jaune ni sourire en coin au sein du bureau. La direction des réseaux et le président-directeur général (PDG), désapprouvèrent de concert cet écart de langage et firent part de leurs remontrances au salarié indélicat. Trois jours après l’incident, celui par qui le scandale était arrivé se faisait signifier son limogeage par lettre recommandée. Cet empressement témoigne d’un profond embarras, l’inconduite n’ayant pas sa place dans les médias.
Grâce à sa réactivité, l’équipe dirigeante de Virgin s’est épargnée les foudres du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qu’elle avait d’ailleurs saisi par courrier le 02 février en sus du comité territorial de l’audiovisuel (CTA) de Marseille. À en juger par l’absence d’intervention de l’un ou de l’autre, les décisions prises en interne étaient satisfaisantes. La radio évita pour le coup une médiatisation et un tintamarre qui l’auraient desservi plutôt que le contraire. Cette histoire souligne manifestement un aspect sensible de la régulation.
La maîtrise de l’antenne
Attentif au suivi des programmes dans leur globalité, le CSA est tatillon quant à la déontologie de l’information et des programmes. Sa mission, qui consiste à veiller au respect de la dignité de la personne humaine et à la sauvegarde de l’ordre public dans les programmes audiovisuels, figure en bonne place à l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986. Pour la mener à bien, les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 et du Code civil lui sont d’une aide précieuse. La condamnation de l’injure et de la diffamation ainsi que le droit au respect de la vie privée y ont leurs sièges. Compte tenu de ce socle légal, des règles et des devoirs sont à observer scrupuleusement. Pour s’assurer que les éditeurs ne les ignorent, l’autorité administrative indépendante (AAI) conclut avec eux des conventions – rédigées par elle – strictes. Ses recommandations et délibérations sont un moyen d’action supplémentaire.
Au-delà de la dimension proprement éthique, le CSA guette la bonne tenue de l’antenne. Ne s’immisçant qu’a posteriori pour ne pas porter atteinte à la liberté de communication, il incombe aux éditeurs de prévenir les débordements. Ceux-ci sont comptables de ce qu’ils diffusent et se portent garant des propos tenus à l’antenne. La responsabilité éditoriale, au départ prévue pour la presse, est étendue aux moyens de communications audiovisuels. Lorsque des propos contraires à la déontologie sont proférés au microphone, l’animateur doit intervenir rapidement, en interrompant le locuteur, en condamnant ses propos voire en coupant le son si les circonstances l’exigent. En cas de manquement à cet impératif, les sanctions administratives encourues vont des pénalités financières à des répercussions sur la durée de l’autorisation d’émettre.
Par cet engagement conventionnel, le CSA soumet les opérateurs de radio à une obligation de résultat. Il ne tient qu’à eux d’éviter dérives et négligences, sans quoi le couperet tombera. Leur marge de manœuvre varie selon la nature et les conditions de diffusion. Le montage d’une émission retransmise en différé minimise les risques en comparaison des aléas que comporte le direct.
L’euphorie du direct
Le médium radiophonique est coutumier du fait, notamment parce qu’il donne volontiers la parole aux auditeurs, lesquels établissent une relation privilégiée avec l’animateur. La programmation en soirée sur les stations dites « jeunes » est à cet égard un cas d’école. Complicité, confiance et confidence s’entrecroisent en un méli-mélo inextricable et pernicieux.
Les émissions radiophoniques de libre-antenne sont des programmes basés sur l’interactivité, l’intervention des auditeurs et la liberté de ton. Elles sont orientées principalement vers un public d’adolescents, le sujet majoritairement abordé étant la sexualité. C’est alors souvent le lieu de nombreux dérapages car les problèmes évoqués sont traités sur le registre de l’humour. Le présentateur, majeur et professionnel, a une énorme responsabilité morale envers son auditoire, mineur et influençable. Il endosse de surcroît le costume de directeur éditorial en vertu du principe de la responsabilité en cascade. Aux oreilles de l’assistance et aux yeux de la justice, il est en première ligne, ce qui ne refroidit pas les ardeurs de quelques-uns (les démêlées judiciaires de Skyrock sont encore dans les mémoires). Comme tout ce qui se rapporte à la jeunesse, le cadre est rigoureux (ceci explique que les dirigeants de Virgin Radio aient été si prompts).
Il ne faut pas pour autant tirer à vue. La radiophonie est de toute façon un terrain où règne la libre-expression franche et spontanée. Il s’agit du fondement de sa différence et de sa vitalité. S’il est méritoire de défendre des médias exempts de mauvaise graine, cela ne doit cependant pas virer à l’aseptisation maladive. À l’image des sorties de route télévisuelles qui sont parfois amusantes (lapsus…), tantôt polémiques (propos intentionnellement acides…), tantôt scandaleuses (xénophobie…), il faut faire la part des choses et ne pas systématiquement monter sur ses grands chevaux. Tenir son antenne et protéger enfants et adolescents sont d’excellents principes qui ne doivent pas avoir pour revers la paralysie de la ligne éditoriale. Se confronter à certaines réalités est parfois plus formateur que d’en être tenu éloigné.
SOURCES :
ADAM Anne et RANGON Marie-Cécile, L’encadrement des émissions radiophoniques de libre antenne, rapport de recherche D.E.A. Droit des Médias, Aix-en-Provence, 14 juin 2005
CSA, La déontologie de l’information et des programmes, consulté le 25 février 2012, disponible sur http://www.csa.fr/Radio/Le-suivi-des-programmes/La-deontologie-de-l-information-et-des-programmes
CSA, Les fondements juridiques, consulté le 25 février 2012, disponible sur http://www.csa.fr/Radio/Le-suivi-des-programmes/La-deontologie-de-l-information-et-des-programmes/Les-fondements-juridiques
CSA, La maîtrise de l’antenne, une obligation générale, consulté le 25 février 2012, disponible sur http://www.csa.fr/Radio/Le-suivi-des-programmes/La-deontologie-de-l-information-et-des-programmes/La-maitrise-de-l-antenne-une-obligation-generale