Le Conseil d’Etat a rejeté, au début du mois, le recours déposé par M. Jean-Luc Mélenchon, à l’encontre d’une décision de la Commission des sondages. L’autorité avait refusé de faire droit à ses demandes, concernant un sondage publié, en septembre, par Le Parisien, qui annonçait une baisse des intentions de vote à son égard.
Le 7 septembre 2011, le quotidien Le Parisien publiait un sondage, réalisé par l’agence Harris Interactive, portant sur les intentions de vote, au premier tour de l’élection présidentielle de 2012. Ce sondage d’opinion créditait M. Jean-Luc Mélenchon de 3% d’intentions de vote, soit une baisse de quatre points. Le candidat du Front de gauche a demandé, à ce que lui soit communiquée la notice. Une copie de ce document, qui contient notamment les informations collectées, les questions posées, lui fut transmise le 9 septembre. Trois jours plus tard, il déposait une réclamation auprès de la Commission des sondages, souhaitant avoir accès à la totalité des informations, ayant été utilisées, y compris la méthode de redressement des résultats ; et, qu’en soit interdite la publication. Sa demande fut rejetée, par une décision du 22 septembre. Elle fut confirmée par le Conseil d’Etat, dans un arrêt daté du 8 février dernier. Ce recours a supposé l’exam de plusieurs points, quels sont-ils ?
1er point : la communication de la notice
L’article 3 de la loi n°77-808 du 19 juillet 1977 pose qu’une notice, comportant un certain nombre d’éléments relatifs à un sondage, doit être déposée, auprès de la Commission des sondages, avant sa publication ou sa diffusion ; et, qu’elle peut être consultée par toute personne, qui souhaiterait en prendre connaissance. M. Mélenchon a exercé ce droit. Seulement il reprochait à ce document d’une part, son manque de lisibilité et d’autre part, son caractère incomplet. Il considérait que l’ensemble des données, ayant servi à l’établissement des résultats publiés, devait figurer dans la notice, y compris les techniques dites de redressement. Le Conseil d’Etat a estimé que la Commission lui avait à bon droit opposé un refus, puisqu’il « ne (ressortait) pas des pièces du dossier qu’ (elle) aurait eu en sa possession d’autres documents que ceux qu’elle (avait) communiqués au requérant ». De plus, il « ne lui appartenait pas de procéder à des recherches complémentaires pour satisfaire cette demande ».
Dans le cas d’espèce, le problème semble donc résolu. Pour autant, les questions perdurent : les méthodes de redressement sont-elles visées par l’article 3 ? Peuvent-elles être communiquées au public ? Dans le cas contraire, la Commission des sondages en a-t-elle, néanmoins, connaissance ? Et, de quel pouvoir dispose-t-elle ?
2nd point : la communication de la méthode de redressement
Les méthodes de redressement sont perçues, par les professionnels du secteur, comme des « recettes de fabrication »[1], qui doivent être tenues confidentielles. Par conséquent, la solution, adoptée par la Commission, et confirmée par le Conseil d’Etat, a été interprétée, par plusieurs articles de presse et par l’avocate du candidat du Front de gauche, comme le signe que le « secret des affaires » prévalait sur d’autres intérêts en cause, tel que la liberté de conscience. Est-ce justifié ?
L’article 3, précédemment évoqué, pose que « s’il y a lieu », doit figurer dans la notice, « la méthode utilisée pour (…) déduire les résultats de caractère indirect qui seraient publiés ». Ce qui pourrait laisser supposer, que les techniques de redressement doivent être incluses, dans la notice. La Commission en fait une lecture différente. Selon elle, seul doit être indiqué, « si l’institut a procédé ou non au redressement », sans que ne soient détaillés les critères, « couverts par le secret industriel ».
Il semblerait, que si ce type de données, à défaut de l’être auprès du public, soit communiqué à la Commission. En effet, l’article 9 du décret n°80-351 du 16 mai 1980, que l’organisme de sondage doit tenir à la disposition de la Commission « le cas échéant, les redressements effectués », pendant une période de deux mois, qui peut être prolongée. Là encore, il ressort de la jurisprudence de la Commission, que cette information n’a pas de caractère automatique. Bien que la loi lui ait dévolue « tout pouvoir pour vérifier que les sondages » sont effectués « conformément à la loi et aux textes réglementaires applicables »[2] (Loi 1977, art. 8), la Commission se perçoit davantage comme un « organe de contrôle », que comme un « super institut de sondage ». Par conséquent, dans l’hypothèse où les scores publiés se situent dans une « fourchette » acceptable (en comparant le plus bas au plus élevé), elle ne procède à une instruction approfondie, que si le résultat obtenu est « manifestement aberrant ». Dans le cas contraire, elle exige systématiquement que des justificatifs portant sur les redressements lui soient adressés. Ce qui explique que la Commission n’ai pas requis de l’Institut Harris un complément d’informations et, que le Conseil d’Etat ait conclut, qu’elle n’était nullement dans l’obligation de le faire.
3ème point : l’étendue du pouvoir de contrôle de la Commission des sondages
Le Conseil d’Etat a souligné que la Commission avait légitimement refusé de donner droit à la demande du candidat visant à interdire la publication du sondage. En effet, la Commission peut uniquement faire diffuser une mise au point (Loi 1977, art. 9).
4ème point : la sanction des irrégularités
Le Conseil d’Etat a constaté, que le sondage comportait un certain nombre d’irrégularités, en raison du non respect des articles 2, 3-1 et 5 de la loi du 19 juillet 77. Cependant, il a estimé, que « pour regrettables qu’elles soient, (elles) n’ont empêché ni la Commission des sondages d’exercer son contrôle sur le sondage contesté, ni les personnes concernées d’exercer les droits que la loi leur reconnaît auprès d’elle ». En effet, seule une « atteinte suffisamment caractérisée aux dispositions légales et règlementaires » et ayant « conduit à compromettre (…) la qualité, l’objectivité ou la bonne compréhension par le public de ce sondage », est susceptible d’entraîner la mise en œuvre des articles 9 ou 12 de cette même loi. Ils prévoient, respectivement, la publication d’une mise au point et une amende 75 000 euros. Le Conseil d’Etat a donc considéré que l’attitude de la Commission ne caractérisait pas une erreur manifeste d’appréciation
La Commission des sondages ne fait pas mystère de sa position, elle affirme elle-même agir avec « prudence ». Une attitude qui peut être jugée trop timorée face aux enjeux. En octobre 2010, une proposition de loi, de MM. Pierre Sueur et Hugues Portelli, portait le projet de modifier la loi du 19 juillet 1977. Après avoir été votée au Sénat, la proposition semble s’être perdue sur le chemin de l’Assemblée nationale.
Sources:
Site de la Commission des sondages, consulté le 28 février 2012, url : http://www.commission-des-sondages.fr/competences/regime_sanctions.htm
HARRIS INTERACTIVE, ” Sondage pour le Parisien/Aujourd’hui en France, Intentions de vote pour l’élection présidentielle 2012″, le 7 septembre 2011, consulté le 23 février 2012, url : http://www.harrisinteractive.fr/news/2011/07092011.asp
Conseil d’Etat, n°353357, 8 février 2012, consulté le 23 février 2012, url : http://www.conseil-etat.fr/node.php?articleid=2565
LATRIVE L., « Sondages : le Conseil d’Etat protège le «secret des affaires» », le 8 février 2012, consulté le 24 février 2012, url : http://www.liberation.fr/politiques/01012388729-sondages-le-conseil-d-etat-protege-le-secret-des-affaires
WOJAZER Ph., REUTERS, AFP, « Sondages: le Conseil d’Etat rejette le recours de Mélenchon », le 8 février 2012, consulté le 24 février 2012, url : http://www.lexpress.fr/actualite/politique/sondages-le-conseil-d-etat-rejette-le-recours-de-melenchon_1080445.html
ANONYME, « Le Conseil d’État rejette un recours de M. Mélenchon sur un sondage », le 21 février 2012, consulté le 24 février 2012, url : http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/breve/2012/02/08/le-conseil-d-etat-rejette-un-recours-de-m-melenchon-sur-un-sondage_1640559_1471069.html
ISRAEL D., « Sondages: les méthodes de redressement restent secrètes», le 9 février 2012, consulté le 24 février 2012, url : http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=13110
ROMANO L., « Présidentielle: Mélenchon va saisir la Cour européenne des droits de l’homme sur les sondages », le 9 février 2012, consulté le 24 février 2012, url : http://www.20minutes.fr/presidentielle/876742-presidentielle-melenchon-va-saisir-cour-europeenne-droits-lhomme-sondages
[1] Edouard Lecerf, Directeur général de TNS-Sofres
[2] L’article 5 du décret n°80-351 du 16 mai 1980 pose que les redressement « ne doivent pas avoir pour effet d’affecter la sincérité des résultats ».