Souvenez vous, le 19 janvier dernier se déroulait « l’audacieuse » arrestation de Kim Schmitz (alias Kim Dotcom) – le PDG de feu MegaUpload – et plusieurs de ses acolytes. S’en suivait alors débats et polémiques entre « coup d’épée dans l’eau » et « onde de choc » créés par la fermeture du plus gros client de téléchargement direct. Près de quatre mois plus tard, plusieurs acteurs comparables sont de nouveaux au coeur de l’actualité. L’occasion de faire le point sur l’après MegaUpload.
Un bref historique.
Faire date dans l’histoire de la lutte contre le téléchargement illégal, c’était presque devenu un privilège tant la lutte paraissait hier encore, comme perdue d’avance. Jusqu’à présent, chaque coup porté au phénomène se traduisait par une période de flottement, très rapidement suivie d’une multitude d’alternatives vers lesquelles se tournaient les utilisateurs. L’un des fondateurs de La Quadrature du Net, Jérémie Zimmerman, résume ce constat par une analogie très pertinente avec un monstre mythologique, l’Hydre de Lerne. Coupez lui la tête, deux autres repousserons. Soit, stoppez un Napster, assistez à l’essor de KaZaA ou de Morpheus. Ainsi, le petit monde du « partage et de l’entraide » a toujours su évoluer au gré des évènements juridiques, passant par plusieurs étapes :
- Du Peer-to-Peer 1.0 (avec des logiciels détenus par des entreprises et des serveurs centralisés, vulnérables aux attaques judiciaires : type Napster, KaZaA…)
- … au Peer-to-Peer 2.0 (développés de manière communautaire avec une multitude de serveurs, donc moins vulnérables : eMule, LimeWire…),
- … en passant par les systèmes basés sur le protocole Torrent et l’ère des annuaires, une sorte de Peer-to-Peer 3.0 (les logiciels BitTorrent, Vuze-Azureus etc., dont les liens de téléchargement sont relayés par des annuaires qui recensent les fichiers illégaux et donnent le moyen d’y accéder, type ThePirateBay).
- On a ensuite le streaming : Deezer, GrooveShark, Spotify…
- et enfin le Téléchargement Direct : MegaUpload, RapidShare, FileServe, Wupload… qui fonctionne également via des annuaires, des blogs, des forums, des moteurs de recherche participant au recensement des liens de téléchargement.
Le constat – jusqu’à maintenant – c’est de dire que la disparition de l’un a provoqué l’émergence de l’autre. Le premier fait d’arme dans la luttre contre le téléchargement illégal, le premier « précédent », c’est la chute de Napster. Avec lui celle de tous les systèmes de première génération de Peer-to-Peer, comme KaZaA. Puis face au développement massif d’eMule, c’est la fermeture le 21 février 2006 d’un de ses principaux serveurs (Razorback2) qui fait date, provoquant une longue période de flottement. Toutes ces réussites judiciaires peuvent se targuer d’avoir temporairement jeté un coup de pied dans la fourmilière, mais surtout d’avoir monopolisé l’attention des médias. Pour autant, peut-on parler de succès ?
Les conséquences de ces coups « médiatico-judiciaires ».
Alors, face à ce type de coup d’arrêt, les conséquences sont diverses et les possibilités sont doubles : soit rentrer dans le rang, soit se tourner vers une alternative. Majoritairement, c’est la 2ème solution qui est choisie. Dans le cas de la fermeture de MegaUpload, il n’est pas exagéré de parler d’onde de choc, si on considère le poids qu’avait pris la société en terme de trafic internet et de « parts de marché », néanmoins, la relève s’installe progressivement, le temps que les acteurs s’organisent et que les utilisateurs transfèrent leurs données. En réalité, contrairement à plusieurs précédents, il n’a pas été nécessaire pour l’instant, de se tourner vers une nouvelle étape, une nouvelle technologie. Le principe de neutralité du net protège les acteurs de téléchargement direct (hébergeur) contre les législations en vigueur. Ils ne sont pas responsables du contenu qu’ils véhiculent, tant qu’ils agissent promptement pour le retirer lorsqu’ils sont prévenus du caractère illicite de celui-ci. Il leur a surtout été reproché les mécanismes de rémunération des principaux « uploadeurs de fichiers populaires », servant indirectement à encourager le partage de fichiers protégés, une démarche condamnable. En tout état de cause et au regard de ces réalités juridiques, MegaUpload avait tout du parfait candidat au « coup médiatique » tant recherché lorsqu’il s’agit de frapper fort : le département de la justice des États-Unis, en collaboration avec le FBI, disposait de suffisamment d’éléments pour établir que MegaUpload avait franchi la ligne blanche, et il allait pouvoir révéler au grand jour le train de vie de son PDG fantasque qui s’était enrichit sur le dos des ayants-droit. Le but bien sûr étant d’assurer une mauvaise publicité au téléchargement illégal et de provoquer une prise de conscience des utilisateurs, objectifs louables.
Évidemment, le coup porté est massif, comme ce fut le cas en son temps pour Napster et Razorback, mais en aucun cas, l’atteinte est générale. Si dans un premier temps, les concurrents de MegaUpload se sont méfiés et ont adaptés leur politique (suppression des récompenses aux meilleurs uploadeurs, limitation des débits, suppression massive des fichiers protégés et de certains comptes utilisateurs, ou suppression totale des services d’hébergement) créant ainsi un climat d’incertitudes, certains désormais ne se gênent pas pour rappeler la parfaite légalité de leurs activités, non sans une certaine hypocrisie. C’est le cas dernièrement de RapidShare (basé en Suisse), dans un conflit qui l’oppose à la GEMA (Société de gestion collective des droits d’auteur Allemand, équivalent de la SACEM). La compagnie Suisse tente, après un jugement de la Cour d’Appel d’Hambourg lui étant favorable et rappelant la légalité du modèle de téléchargement direct, de faire valoir ses droits jusque devant la Cour Suprême. Le but de RapidShare étant d’empêcher l’inscription dans le droit Allemand d’une obligation de filtrer les liens entrants depuis des sites tiers (type FilesTube). En effet, depuis quelque temps, les différents projets législatifs visent à alourdir les obligations des hébergeurs, qui évidemment s’y opposent.
Plus récemment encore, c’est Hollywood (via la Paramount) et la MPAA qui déclarent que la guerre continue contre le téléchargement direct afin de ne pas relâcher la pression. Alfred Perry, responsable en protection des contenus chez Paramount, donnait la liste des prochaines cibles (Wupload, DepositFiles, FileServe, MediaFire et PutLocker). Et puisqu’il a fonctionné dans l’affaire MegaUpload, l’argument majeur déployé est celui de l’enrichissement des uploadeurs par le biais de ces pratiques.
Or, ces hébergeurs ne fonctionnent pas tous sur la base de ce qui a fait chuter MegaUpload, et ils comptent bien s’en défendre, même si bien évidemment ils sont majoritairement utilisés pour véhiculer du contenu illégal. MediaFire est d’ailleurs celui qui présente le plus d’arguments pour plaider sa cause. Il n’a jamais appliqué la moindre limitation de téléchargement (nombre, débit, taille du fichier) afin de provoquer la souscription à un abonnement premium, et il n’a jamais proposé de récompenses aux uploadeurs. Difficile donc de l’accuser d’encourager le téléchargement illégal. Pour les autres, se dresse une nouvelle problématique, celle de leur localisation et notamment de leurs serveurs, tantôt aux Seychelles, à Chypre ou encore en Russie, une destination à la mode ces temps-ci, pour ses facultés à ne pas collaborer avec les Etats-Unis.
Alors, après MegaUpload, le téléchargement direct, stop ou encore ?
Dans l’état actuel de la législation, on aurait tendance à dire encore. Les concurrents se sont mis au diapason et s’ils cantonnent leurs activités à un rôle de pur hébergeur, ils demeurent protégés par leur statut. On constate d’ailleurs que le trafic de MegaUpload s’est rapidement reporté sur les autres hébergeurs (et également sur les techniques plus anciennes remises au goût du jour telles que le P2P, les Torrents voire les newsgroup). Le téléchargement direct a donc encore de belles années devant lui. Mais la lutte s’intensifie, les projets de lois fleurissent (SOPA, PIPA, ACTA, HADOPI suite), et le statut de l’hébergeur est de plus en plus remis en cause. Toutefois, la lutte n’est pas vaine, et si elle ne parvient pas à éradiquer le phénomène, elle provoque tout de même le renforcement de l’offre légale qui continue de progresser. Ironie du sort, ce sont certains acteurs – plus ou moins directs – du téléchargement illégal qui s’y mettent désormais ou projettent de le faire. C’est le cas des plus anciens, Napster et KaZaA ou encore de RapidShare. Que dire également du projet MegaBox qui devait proposer du téléchargement légal et gratuit, tout en assurant une rémunération aux auteurs ? Pour certains, il s’agit là de la vraie raison de la chute de MegaUpload, devenu trop gênant. En tout état de cause, les différentes industries culturelles, du Cinéma et de la Musique ne comptent pas s’arrêter là. Le lobbying est intense et principalement en cette période électorale. Mais au jour du 6 avril 2012, le téléchargement direct s’est relevé et son modèle est toujours valable.
Le streaming lui, a été plus durement touché, mais la raison est simple : le nombre d’acteurs étaient beaucoup plus limité dans ce secteur. Là où on comptait plus d’une cinquantaine de concurrents à MegaUpload, on n’en trouvait qu’une poignée à MegaVidéo. La transition est donc plus dure, peut être le moment de porter le coup final… au grand dam de tous les défenseurs d’un droit d’accès libre à la Culture sur internet.
SOURCES :
- S. FANEN, Rapidshare fanfaronne en justice, mis en ligne le 28 mars 2012, ecrans.fr : http://www.ecrans.fr/RapidShare-fanfaronne-en-justice,14364.html
- S. FANEN, Hollywood veut la peau du téléchargement direct, mis en ligne le 3 avril 2012, ecrans.fr : http://www.ecrans.fr/La-Paramount-veut-la-peau-du,14396.html
- L. CHECOLA et D. LELOUP, De Napster à Megaupload, le long affrontement entre la justice et les services de téléchargement, mis en ligne le 23 janvier 2012, lemonde.fr : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/01/23/de-napster-a-megaupload-le-long-affrontement-entre-la-justice-et-les-services-de-telechargement_1633482_651865.html
- J. ZIMMERMANN (La quadrature du Net), Interview par Arte Journal, le 23 janvier 2012 : http://www.arte.tv/fr/6346546,CmC=6348708.html