Si la mise en place d’un Centre National de la Musique semble à priori justifiée par la crise que traverse le secteur de la production musicale, le projet divise cependant ses acteurs quant à son fonctionnement. Ainsi, la nouvelle Ministre de la Culture, Aurélie Filipetti, à freiné l’élan de la constitution de l’instance afin de remettre à plat les modes de financements envisageable. Au-delà des questions relevant de la gestion, la question de la réelle utilité du CNM demeure.
Alors que la filière du disque réclame une autorité publique capable de structurer le marché de la musique fragilisé depuis le début du XXIe siècle par la révolution numérique, l’arrivée du Centre National de la Musique, initié par le rapport Selles en décembre 2010, suscite pourtant polémiques et débats passionnels. En effet, les tentatives auront été nombreuses (et souvent vaines) pour maintenir à flot le contingent pesant et entremêlé que constitue le complexe univers de la production musicale.
Structurée autour de ce que les économistes nomment un « oligopole à frange concurrentielle », l’industrie du disque s’articule autour de deux axes. Les maisons de disque, ou « majors », assurent l’ensemble du processus de production et de distribution des artistes. Leur poids économique et financier leur assure une diffusion de masse auprès d’un large public. Les majors sont actuellement au nombre de trois depuis le rachat de EMI Group par Universal Music en novembre 2011. A l’inverse, les labels indépendants constituent une véritable nébuleuse dont la fonction consiste davantage à trouver les nouveaux talents. Alors que le CNM est dû à l’initiative de l’ancien Ministre Frédéric Mitterrand, Aurélie Filipetti a dès son arrivée souligné que le CNM ne serait en aucun cas un « tiroir caisse complémentaire pour les maisons de disques », ce à quoi le Syndicat National des Editeurs de Phonogrammes (SNEP) a répondu en mettant en exergue le fait que le marché musical n’est pas aussi manichéen que le laisse croire les apparences.
Contrairement aux idées reçues, indépendants comme majors ont tout intérêt à coopérer, car chaque acteur possède à son niveau une compétence particulière : ainsi les majors puisent dans les « pépinières à talents » que sont les labels indépendants, tandis que ces derniers profitent de la puissance économique de l’oligopole afin d’offrir à leurs artistes un rayonnement plus conséquent auprès du public. La révolution numérique à donc affaibli l’ensemble du système, y compris le secteur du spectacle vivant qui travaille en forte collaboration avec celui de la production. Il n’est donc pas étonnant que l’ensemble de la filière attende la mise en place d’un organe public d’assistance. Toutefois, la mise en place du CNM pose de réelles questions quant au regard porté sur la musique en France, et plus généralement sur la santé de la création artistique dans l’hexagone.
Les critiques se font aisément sentir ; l’instance sera-t-elle au service des musiciens ou des producteurs ? L’incessante problématique de l’action publique vis-à-vis de la création artistique rejoint systématiquement la dérive des systèmes publics d’aides à la création en un système administratifs et bureaucratiques complexes, et qui ne profitent que rarement aux intéressés. Il n’est donc pas étonnant que les musiciens n’accueillent pas à bras ouvert l’arrivée du CNM, qu’ils perçoivent davantage comme une nouvelle assistance à un lobby dont les effets pervers sur la liberté de création sont dénoncés depuis longtemps. Lorsqu’on ajoute que la révolution numérique à mis en avant la relativité de l’utilité du secteur de la production pour les musiciens, la question se pose de savoir si il ne faudrait tout simplement que le secteur de l’industrie musicale se laisse redessiner par les nouvelles opportunités de ce qu’il est désormais commun d’appeler la Musique 2.0. La question n’est pas d’opposer de manière caricaturale les musiciens et les producteurs, mais le processus de destruction créatrice auquel est encore soumise l’industrie du disque ne condamne en aucun cas son marché.
Bien que les évolutions soient rapides et parfois violente, l’institution que constituera le CNM ne risque t-elle pas de contenir les même tares que le CNC, soit un fond protectionniste limitant les initiatives et rendant un nouveau secteur en partie dépendant de l’action étatique ? Il est clair que la situation actuelle du marché musical ne joue pas en faveur de la prise de risque, alors même que son essence même repose sur cette capacité (le fameux adage du « know one knows »). Mais si le marché est tout entier tourné vers une logique de profit, le système administratif risque également de creuser les inégalités entre les styles musicaux. Aurélie Filipetti reprend ainsi les propos émis par le rapport Selles et souligne que le CNM « ne doit pas négliger les styles en difficulté comme le jazz et le classique », alors que ces deux univers musicaux sont ceux qui résistent le mieux à la crise du secteur grâce à leur public de niche. Et qu’en est-il du rap, de l’électro, du métal, du rock, du dubstep et de tous les autres styles vulgairement regroupés sous le terme générique de « Musique Actuelles » ?
La complexité de l’univers de la musique, l’extrême diversité de ses acteurs, mais surtout le rejet systématique de classification sont autant de risque pour l’Etat de vouloir (ré)administrer un secteur émancipé de tout contrôle, et donc d’entrer dans de trop grandes simplifications. La crise de l’industrie du disque, à laquelle la cause du téléchargement a été semble t-il un peu trop résumé, pose en effet une question plus globale, à savoir l’utilité et la fonction réelle de la musique dans la société contemporaine. C’est sans aucun doute là que se trouve la réponse au climat de défiance ressenti par les majors vis à vis des consommateurs. Si le marché de la musique s’avère nécessaire pour que les créateurs vivent de leur art, la question de la forme prédomine ici sur le fond.
De plus, dans le contexte de crise budgétaire que traverse le gouvernement, l’arrivée du CNM divise les acteurs de l’industrie culturelle en général. Le CNC refuse que les fonds budgétaires soient prélevés à partir de ses ressources, et l’hypothèse d’un financement provenant de la taxation des FAI reste particulièrement incertains compte tenu de la résistance farouche des organismes concernés.
Face à un marché en baisse de 3,9% de 2010 à 2011 et qui représente 617,2 millions d’euros, il est facile d’imaginer les espérances que les acteurs du marché musical placent dans le CNM, mais la nouvelle ministre fait visiblement œuvre de bon sens en choisissant de remettre à plat l’organisation de l’instance. Le projet ne semble viable qu’avec une solide structure économique, mais surtout avec des objectifs aux contours mieux définis.
Sites Internet
AFP, « Aurélie Filipetti veut remettre à plat le centre national de la musique », Le Parisien, publié le 26 juin 2012, consulté le 26 juin 2012, URL : http://www.leparisien.fr/flash-actualite-culture/aurelie-filippetti-veut-remettre-a-plat-le-centre-national-de-la-musique-26-06-2012-2066157.php
AFP, « Aurélie Filipetti : le Centre National de la Musique n’est pas budgété », France Tv, publié le 26 juin 2012, consulté le 26 juin 2012, URL : ttp://www.francetv.fr/culturebox/aurelie-filippetti-le-centre-national-de-la-musique-nest-pas-budgete-103853
IRMA, « CNM : La filière s’impatiente », publié le 13 juin 2012, consulté le 26 juin 2012, URL : http://www.irma.asso.fr/CNM-la-filiere-s-impatiente
PEPIN (G.), « Le centre national de la musique n’enchante pas les fournisseurs d’accès », Le Monde, publié le 23 novembre 2011, consulté le 26 juin 2012, URL : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/11/22/le-centre-national-de-la-musique-n-enchante-pas-les-fournisseurs-d-acces_1607667_651865.html
Ouvrage :
ADORNO (T.), « Philosophie de la nouvelle musique », Gallimard, Paris, 1979
CURIEN (N.), MOREAU (F.), « L’industrie du disque », La Découverte, Paris, 2006
Rapport officiel
RIESTER (F.), SELLES (D.), CHAMFORT (A.), COLLING (D.) et THONON (M.), Création musical et diversité à l’ère du numérique, Rapport au Ministère de la Culture et de la Communication, septembre 2011