Alors qu’en 2001, le Centre national du cinéma (CNC) qualifiait contre toute attente l’émission « Popstars » de documentaire éligible au Compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels (COSIP), aujourd’hui, la « scripted reality » rêve de bénéficier de la qualification d’œuvre de fiction. Qu’en est-il ?
L’essor de la « scripted reality » : ovni télévisuel à mi-chemin entre la fiction et la réalité
La « scripted reality » est un concept né en Allemagne qui mêle réalité et fiction. Importé en France il y a deux ans, ce nouveau format hybride consiste à prendre des faits divers ou des histoires réelles pour les faire jouer par des comédiens amateurs. Cette « réalité scénarisée » est présentée sous forme de fiction en plusieurs épisodes avec les codes de la télé-réalité. Il faut remarquer l’absence de dialogues écrits qui entretient le doute entre fiction et réalité. Mais ce programme prend en fait souvent l’allure d’un reportage, à travers l’intermittence d’une voix off et de musique mélodramatique. En effet, la « scripted reality » mélange magazine, fiction, divertissement et reportage.
Actuellement la « scripted reality » connaît un essor au point de constituer un « eldorado pour les chaînes » d’après Julien Courbet, qui produit « Le jour où tout a basculé » sur France 2. Économiquement, ce sont des programmes de type « low cost » qui ne coûtent pas cher et nécessitent très peu de jours de tournage par épisode. En termes d’audience, ils plaisent beaucoup à la « ménagère de moins de 50 ans », un public prisé par les annonceurs. De plus ces programmes sont une aubaine pour les chaînes pour remplir leurs cases du matin et de l’après-midi avec une possibilité de rediffusion importante. En clair, c’est un format hyper rentable pour les chaînes. En France, à titre non-exhaustif on peut citer « Si près de chez vous » (France 3), « Au nom de la vérité » (TF1) et « Hollywood Girls » (Nrj 12).
Toutefois malgré ces avantages ; d’un côté les producteurs souhaiteraient que ce genre télévisuel soit considéré comme une « fiction » pour bénéficier d’aides financières du CNC, et de l’autre, les diffuseurs pourraient ainsi compter ces « scripted reality » parmi leur quotas d’œuvres à produire et diffuser tel que défini par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
Les réticences du CNC à reconnaitre la « scripted reality » comme œuvre de fiction
La question, qui est de savoir si les programmes de type « scripted reality » sont des œuvres de fiction, relève surtout d’un intérêt financier et non pas artistique. En effet, si l’appellation d’œuvre de fiction était reconnue pour ces programmes, ils pourraient alors être co-financés par le CNC, ce qui intéresse principalement les producteurs.
Au cours d’un débat au Festival Série Séries en juillet dernier, le CNC avait pris soin de rappeler que la « scripted reality » ne pouvait être considérée comme de la fiction par la voix de son président Eric Garandeau : « Pour nous, ce genre porte bien son nom, c’est de la télévision scriptée. Il n’aura donc aucune aide financière de notre part. »
Néanmoins l’essor de ces programmes ramène sur le devant de la scène ce débat et obligent les instances de réglementation à s’y attarder. En effet les producteurs estiment qu’ils font une nouvelle forme de fiction et que, par conséquent, ils sont en droit de bénéficier du financement du CNC via le COSIP (dispositif d’aides automatiques aux œuvres audiovisuelles de fiction, d’animation et de documentaire). A l’heure actuelle seul Julien Courbet à demander une aide du CNC pour son programme, et ce dernier s’est vu opposer une fin de non-recevoir : « La commission du COSIP a considéré que le recours fréquent voire systématique à des techniques de mise en scène et de filmage (face caméra, voix off, synthé…) qui sont habituellement utilisées dans des genres non aidés par le CNC (télé-réalité, reportages…) justifiait qu’on ne qualifie pas la “scripted reality” de fiction au sens de la réglementation sur les aides à la production ». Cet avis n’ayant pas de portée générale, le CNC avait indiqué que la décision pourrait se prendre au cas par cas.
Réunion prévue par le CSA sur l’avenir juridique de la « scripted reality »
Pour le CSA, il s’agit de savoir si la « scripted reality » est un genre susceptible ou non d’entrer dans les obligations de production des chaînes. Si tel est le cas, ce serait une aubaine pour les chaînes de télévision puisque ce format est très rentable. A contrario de la position du CNC, Françoise Laborde, membre du CSA, affirme que « dans la mesure où il y a un décor, un scénario, un réalisateur et des acteurs, il nous est apparu que la scripted reality pouvait s’assimiler à de la fiction, et nous avons estimé que ce genre pouvait effectivement entrer dans les obligations des chaînes ». Toutefois, aucune position n’a été officiellement communiquée par le CSA pour le moment.
Si certains producteurs s’activent à faire reconnaitre ce genre, d’autres s’inquiètent de l’ampleur du phénomène, en dénonçant un format « tabloïd » par la voix du syndicat des producteurs indépendants (SPI). Ainsi ce dernier appelle le CSA à « ne pas vider de son sens la notion même de patrimoine culturel », et la déléguée générale dudit Syndicat, Juliette Prissard-Eltejaye, ajoute que « nous ne considérons pas la ‘scripted reality’ comme une œuvre patrimoniale. Les chaînes utilisent tous les codes de la téléréalité et du reportage, tout en l’habillant en fiction pour la faire rentrer dans les quotas ». De plus les professionnels de la fiction souhaitent rappeler que l’élément fondamental à toute création d’une œuvre de fiction est la distanciation au réel, alors que la « scripted reality » est justement une mise en situation du réel.
En effet, comme la «scripted reality » divise les professionnels du secteur, le CSA va organiser très prochainement (courant novembre) plusieurs auditions avec les producteurs, les sociétés d’auteurs, et les télévisions pour se pencher sur ce nouveau genre. Pour l’heure, Francine Mariani-Ducray, présidente de la commission production audiovisuelle du CSA, précise : « il n’y aura pas de réponse univoque. Nous regarderons programme par programme », et d’ajouter que « nous ne nous prononçons jamais sur la qualité des œuvres » en réponse à la médiocrité reprochée à ces programmes.
Sources :
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MATT E., « La télévision tendance Scripted Reality. Sa réalité décryptée ! », mediaunautreregard.com, mis en ligne le 9 octobre 2012, consulté le 19 octobre 2012, disponible sur http://www.mediaunautreregard.com/2012/10/09/la-television-tendance-scripted-reality-sa-realite-decryptee/
SCHMITT F., « La « scripted reality », nouvel eldorado de la télévision low cost », lesechos.fr, mis en ligne le 11 octobre 2012, consulté le 19 octobre 2012, disponible sur http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0202312354321-la-scripted-reality-nouvel-eldorado-de-la-television-low-cost-371087.php
POUSSIELGUE G., SCHMITT F., « Scripted reality : un nouveau genre que le CNC se refuse pour l’instant à financer », lesechos.fr, mis en ligne le 10 octobre 2012, consulté le 19 octobre 2012, disponible sur http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0202318491541-scripted-reality-un-nouveau-genre-que-le-cnc-se-refuse-pour-l-instant-a-financer-370994.php