Ce qui n’était au départ qu’une « simple » fusion-acquisition entre Canalsat et son principal concurrent TPS a pris une allure de guerre ouverte opposant la Société Canal +, premier opérateur de télévision payante, et l’Autorité de la concurrence.
Dans cette intense bataille juridique, les deux parties campent frénétiquement sur leur position, l’Autorité administrative reprochant à l’opérateur de télévision ses velléités monopolistiques tandis que Canal + accuse l’Autorité de nuire à la liberté d’entreprendre.
Comment en est-on arrivé à un tel conflit ?
Une autorisation de fusion soumise à conditions
Par lettre en date du 30 août 2006 et après avis favorable du conseil de la concurrence, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie autorise la création de la société Canal+ France, fruit de la fusion des deux principaux bouquets de télévision payante, CanalSat et TPS.
La Haute Autorité conditionne néanmoins l’autorisation au respect de 59 engagements dans l’objectif d’empêcher la constitution d’un monopole de l’offre de télévision payante au profit du groupe nouvellement constitué.
Annulation de l’autorisation pour non respect des engagements
Deux ans plus tard, le ministre de l’économie saisit le Conseil de la concurrence pour avis sur l’exécution desdits engagements.
Il est dans un premier temps reproché à Canal+ d’avoir trop tardé à mettre à la disposition des fournisseurs d’accès à internet sept chaînes de TPS aux thématiques incontournables. Un retard qui a permis à Canal + d’imposer son «nouveau Canalsat » en faisant migrer les abonnés de TPS vers sa plateforme de chaînes exclusives.
Il est également reproché au groupe d’avoir laissé dépérir l’emblématique TPS Star : « la qualité de TPS Star a connu après 2007 une dégradation rapide, significative et durable, tant en termes de programmation que d’innovation ».
Canal+ a en effet diminué de 35% le coût de la grille de ce canal dit premium en injectant 85 millions d’euros dans ses programmes en 2009 contre 131 millions en 2006. Par conséquent, dans une décision en date du 20 Septembre 2011, l’Autorité de la concurrence annule l’autorisation précédemment accordée au motif du non respect de 10 des engagements auxquels le groupe avait souscrit.
L’Autorité administrative condamne, par conséquent, Canal+ France à payer une amende de 30 millions d’euros et annule une fusion réalisée 5 ans plus tôt …
Interrogations quant à la portée des sanctions infligées par l’Autorité de la concurrence
Si la décision de l’Autorité administrative peut paraître de prime abord catastrophique pour l’entreprise, les choses ne sont pas si évidentes.
En effet, comment défaire une fusion matériellement réalisée 5 ans auparavant ?
C’est la question que se posent nombre de commentateurs qui ne manquent pas de souligner l’incongruité de la situation : « autant remettre du dentifrice dans le tube » ou « décider aujourd’hui de l’invalidation de l’élection de Jacques Chirac à Élysée ».
La semonce prononcée par l’autorité de la concurrence semble par conséquent bien inopérante … Reste la question de la sanction pécuniaire. Sur ce point, il est intéressant de se référer à l’analyse d’Olivier Babeau professeur à l’université Paris VIII :
« En traînant les pieds pour honorer sa promesse de mettre à disposition des concurrents 7 chaînes premium (TPS Star, Cinéstar, etc.), Canal Plus a habilement joué la montre pour permettre à son offre, Le Nouveau CanalSat, de faire jouer à plein son avantage concurrentiel. »
Le retard dans la mise à disposition de ses chaines aurait ainsi habilement permis au groupe d’éliminer la concurrence du fait qu’un bouquet concurrent ne comportant pas de chaine du groupe Canalsat ne pourrait composer une offre attractive.
Au final, payer une amende de 30 millions d’euros en ayant dans le même temps éliminé toute concurrence paraît plutôt bénéfique à la filiale du groupe Vivendi …
Deuxième examen et formulation d’injonctions
Canal + demande néanmoins à la Haute Autorité un nouvel examen de la fusion le 24 octobre 2011.
L’Autorité de la concurrence constate à cette occasion qu’à la suite de l’opération de 2006, la concurrence a été significativement affaiblie sur plusieurs marchés de télévision payante : acquisition des droits cinéma, édition de chaînes, commercialisation de chaînes thématiques et distribution de services.
L’institution administrative prononce à ce titre de nombreuses injonctions « de nature à rétablir une concurrence suffisante sur les marchés de la télévision payante ». Ces injonctions consistent principalement en la limitation des contrats cadre en matière de droits cinématographiques, en l’encadrement de la distribution des chaines thématiques et en la cession des droits du service de vidéo à la demande.
Remise en cause des prérogatives de l’Autorité de la concurrence devant le Conseil Constitutionnel
Contestant le bien fondé de ces injonctions, le groupe forme une QPC devant le Conseil Constitutionnel estimant d’une part que l’Autorité de la concurrence a rendu sa décision de manière partiale et d’autre part, que les injonctions litigieuses mettent à mal la liberté d’entreprendre. L’avocat de Canal Plus a, à cet égard, déclaré que « la politique commerciale de Canal Plus et sa stratégie ont, en juillet dernier, été fixées par l’Autorité pour les 10 années à venir ».
Le Conseil ne suit pas l’argumentation du groupe en estimant que l’article L462-5 fixant la composition, les règles de délibération et les modalités de saisine de l’Autorité de la concurrence n’était pas contraire au principe d’indépendance et d’impartialité découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen.
De plus, selon le Conseil, les dispositions contestées relatives au contrôle des opérations de concentration ont pour objet d’assurer un fonctionnement concurrentiel du marché dans un secteur déterminé; en les adoptant, le législateur n’a pas porté au principe de la liberté d’entreprendre une atteinte qui ne serait pas justifiée par les objectifs de préservation de l’ordre public économique.
Le dernier mot au Conseil d’État
Fermement décidé d’annuler les injonctions, Canal Plus France forme un référé suspension devant le Conseil d’état. Celui-ci ne donne pas droit à cette demande au motif que la décision attaquée ne risquait pas d’entraîner des préjudices irréversibles sur la situation économique et financière de Canal Plus.
Le groupe devra par conséquent attendre le mois de décembre afin que le Conseil d’État tranche le litige au fond … une bonne fois pour toute.
Sources :
DELOGES (S.), « Quels remèdes aux effets de la fusion entre CanalSat et TPS ? » mis en ligne en Juin 2012
NAUDET (J-Y.), « Annulation de la fusion CanalSat-TPS par l’autorité de la concurrence » mis en ligne le 12 Octobre 2011
BABEAU (O.), « L’OPA de Canal+ sur la télévision, un défi à la concurrence » mise en ligne le 11 Octobre 2011
DE ROCHEGONDE (A.), « Canal+ rétif à l’Autorité » mis en ligne le 29 septembre 2011
http://www.strategies.fr/actualites/medias/171164W/canal-retif-a-l-autorite.html
CASSINI (S.) « TPS : le Conseil d’État déboute Canal Plus » mis en ligne le 22 Octobre 2012