Les Indignés du PAF est un collectif créé suite à la diffusion par la chaîne TF1 de faux reportages sur la délinquance urbaine à Paris dans l’émission « Appels d’urgence » le 6 décembre 2011. Il a pour but de responsabiliser le secteur médiatique et de « repenser la fabrication de l’information en France » autour de trois axes capitaux : la revalorisation des principes liés aux métiers du journalisme, la remise en question des modes de financement et des statuts juridiques des entreprises médiatiques ainsi que des organes de régulation de ces dernières et enfin un rééquilibrage des rapports de force entre citoyens, rédactions, actionnaires et Etat. Selon Les Indignés du PAF, les citoyens, premiers destinataires du droit à l’information, ne feraient plus confiance aux médias car ces derniers bafoueraient régulièrement les principes élémentaires du journalisme. Le but du collectif est de mener « le combat pour l’honnêteté de l’information et le respect des usagers des médias ». Pour ce faire, Les Indignés du PAF ont lancé un Appel qui vise à « associer les citoyens au fonctionnement des médias », « réformer structurellement le secteur des médias pour plus de transparence, d’indépendance éditoriale, politique et économique », « repenser la politique de soutien au secteur pour favoriser le pluralisme et l’innovation » et « éduquer aux médias dès le plus jeune âge ». C’est par un communiqué de presse en date du 16 octobre 2012 que « Les Indignés du PAF proposent la candidature de leur cofondateur et porte-parole, Philippe Guihéneuf, en tant que “médiateur citoyen du CSA” (Sage ou associé) », en vue du renouvellement d’un tiers des membres de l’autorité de régulation du secteur audiovisuel en janvier 2013. En l’espèce, le terme de « candidat » est utilisé de façon abusive. En effet, les neuf membres du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sont nommés pour six ans par décret du Président de la République. Il n’est question ni d’élection, ni d’appel d’offre.
François Hollande, seul destinataire de cette revendication ?
Au mois de janvier 2013, le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat nommeront chacun un nouveau membre du CSA. Il s’agit d’une autorité administrative indépendante créée par la loi du 17 janvier 1989 modifiant la loi dite Léotard du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Selon l’article premier de ce texte, le CSA « assure l’égalité de traitement ; il garantit l’indépendance et l’impartialité du secteur public de la radiodiffusion sonore et de la télévision ; il veille à favoriser la libre concurrence ; il veille à la qualité et à la diversité des programmes, au développement de la production et de la création audiovisuelles nationales ainsi qu’à la défense et à l’illustration de la langue et de la culture françaises. Il peut formuler des propositions sur l’amélioration de la qualité des programmes. » Il est considéré comme étant le « gardien » ou le « gendarme » de la liberté de communication audiovisuelle française.
Dans leur communiqué de presse du 16 octobre 2012, les Indignés du PAF indiquent que si leur porte-parole était nommé au CSA, il pourrait jouer le rôle d’une « interface avec la société civile » et aurait « pour mission de contribuer à créer les conditions d’une information plus fiable et plus responsable », arguments qui semblent en accord avec la politique que veut mener François Hollande dans la sphère médiatique. Selon le collectif, ce nouveau membre, de par sa « nature » spécifique, pourrait apporter un plus en créant un lien direct entre CSA et citoyens, lequel semble aujourd’hui assez éloigné. Cette notion de rapprochement entre citoyens et autorité a été l’une des clefs de voûte de la campagne de François Hollande, lequel s’est présenté aux yeux des Français comme étant un Président normal, proche d’eux et à l’écoute de leurs problèmes et revendications.
L’idée d’investir un citoyen en tant que membre du CSA n’est pas une idée nouvelle. L’association Les Pieds dans le PAF (qui existe depuis 1988), cofondatrice du collectif Les Indignés du PAF, avait lancé en 2004 une pétition, intitulée « Un citoyen au CSA », pour sonder la population française sur ce projet. De nombreuses signatures ont été recueillies, dont celles de personnalités politiques de premier rang. En effet, dans le communiqué de presse annonçant la candidature de Philippe Guihéneuf au poste de membre du CSA, il est indiqué que « cette revendication […] a été signée il y a quelques années par le Président François Hollande, son Premier Ministre Jean-Marc Ayrault et de nombreuses autres personnalités. » Les Indignés du PAF vont-ils se servir de cette signature du Président Hollande pour « négocier » l’investiture de leur porte-parole ? Cela peut sembler logique, le communiqué de presse évoque un soutien du Président de la République, du Premier Ministre et de « nombreuses autres personnalités. » Il ne fait nullement mention de la signature de Claude Bartolone, Président de l’Assemblée nationale, ni de Jean-Pierre Bel, Président du Sénat. Peut-être ces deux autorités de nomination sont-elles inclues dans l’expression « nombreuses autres personnalités » ? Cela semble impossible. Premièrement, la liste des personnalités signataires de la pétition en question ne mentionne pas leurs noms. De plus, dans le cas où cette liste ne serait pas exhaustive et que les deux Présidents de Chambre aient signé cette revendication, l’enjeu est tel que Les Indignés du PAF auraient eu tout intérêt de mentionner distinctement leur nom dans leur communiqué. Le nom du Premier Ministre a bel et bien été évoqué alors qu’il n’est nullement une autorité de nomination. Tout cela laisse à penser que ce communiqué de presse s’adresse principalement au Président de la République. En effet, l’actuel chef de l’Etat ayant été signataire de la revendication des Pieds dans le PAF, Les Indignés du PAF proposent donc à François Hollande d’aller au terme de ses prises de position. D’ailleurs, l’Elysée indique qu’« il n’a, pour l’heure, aucun candidat sous la main et ça ne se bouscule pas », alors que du côté de Claude Bartolone et Jean-Pierre Bel « on fait la queue ». La voie semble d’avantage libre du côté du chef de l’Etat.
« Candidature » sérieuse ou « candidature » symbolique ?
Même s’il fut un temps question d’une prolongation du mandat de l’actuel Président du CSA, Michel Boyon, l’Elysée estime désormais que « pour prolonger Michel Boyon, il faudrait passer une loi. Nous n’avons plus le temps. » François Hollande devra donc choisir un successeur à Michel Boyon pour janvier 2013, et Les Indignés du PAF pourrait bénéficier de cette absence de « favori » du côté du Président de la République pour faire pencher sa décision en leur faveur. Cette hypothèse n’est envisageable que si l’on considère que la « candidature » du porte-parole du collectif est réellement sérieuse et non symbolique. Cette « candidature » peut se révéler véritablement sérieuse aux yeux des membres du collectif. En effet, Philippe Guihéneuf a apparemment une certaine connaissance du secteur audiovisuel et médiatique. En plus d’avoir travaillé dans la publicité et d’avoir été directeur commercial d’une radio à Chambéry (Klips FM), il a également côtoyé le milieu du cinéma en tant que directeur de casting et régisseur général de tournages (notamment sur trois films de Patrice Chéreau). Il est aussi à l’origine de diverses manifestations culturelles et a participé à de nombreux combats visant à empêcher la fermeture de lieux de création artistique et d’échange culturel. Plus récemment, il a été directeur d’un petit théâtre de Nantes (Le TNT) et est bien connu dans le monde culturel de cette ville. Pour lui, « l’idée est de rentrer au CSA pour soutenir des projets citoyens » car « l’espace médiatique rend les choses possibles. »
Cependant, même si François Hollande n’aurait « aucun candidat sous la main », il semble étrange qu’aucune idée ne lui ait effleuré l’esprit et qu’aucune personnalité du secteur audiovisuel ne soit venu lui proposer sa « candidature ». Les Indignés du PAF savent bien, sans doute, que leur porte-parole a très peu de chance d’être nommé à la haute autorité de régulation des médias audiovisuels. Il semble donc que cette « candidature » soit plus symbolique que réellement sérieuse, mais il ne s’agit pas de remettre en cause les compétences et l’expérience du porte-parole des Indignés du PAF. Le caractère symbolique prend le dessus car il semble improbable que le Président de la République nomme au CSA le porte-parole d’une organisation très récente, qui n’a pas encore fait ses preuves. Peu de monde en France, aujourd’hui, connait ce collectif, il n’a d’ailleurs même pas de page sur Wikipédia. Que Nicolas Sarkozy nomme la présidente de l’association Ni putes ni soumises, Fadela Amara, au rang de Secrétaire d’Etat chargée de la Politique de la Ville, cela peut se comprendre étant donné que l’association en question existait depuis déjà quelques années et était très médiatisée et très connue des Français. Ce n’est pas le cas du collectif des Indignés du PAF qui fête à peine ses un an.
La candidature du porte-parole des Indignés du PAF n’a pas encore créé un véritable buzz mais elle peut tout de même permettre de faire découvrir le collectif à des personnes qui ignoraient son existence, l’information ayant été relayée par certains médias. Si Philippe Guihéneuf n’est pas nommé au sein du CSA par le Président de la République, les Indignés du PAF pourront prétendre que ce dernier n’a pas respecté la ligne de conduite que ses convictions semblaient guider avant son élection à la tête du pays. Ce collectif étant, comme dit précédemment, une organisation récente et peu connue, les conséquences médiatiques d’une non nomination de leur porte-parole au CSA seront quasiment imperceptibles. François Hollande sait qu’il ne risque aucune attaque médiatique s’il refuse de nommer Philippe Guihéneuf au CSA.
Sources :
ANONYME, « Ce Nantais qui en veut à TF1 », presseocean.fr, mis en ligne le 14 juin 2012, consulté le 4 novembre 2012, disponible sur : http://www.presseocean.fr/actu/actu_detail_-Ce-Nantais-qui-en-veut-a-TF1_11425-2028264_actu.Htm
ANONYME, « Les Indignés du PAF veulent un des leurs au CSA », teleobs.nouvelobs.com, publié le 17 octobre 2012, consulté le 4 novembre 2012, disponible sur : http://teleobs.nouvelobs.com/articles/37948-les-indignes-du-paf-veulent-un-des-leurs-au-csa
ANONYME, « Le CSA va changer de patron », lefigaro.fr, mis en ligne le 31 octobre 2012, consulté le 4 novembre 2012, disponible sur : http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2012/10/31/97002-20121031FILWWW00437-le-csa-va-changer-de-patron.php
BERRETTA E., « CSA : Hollande cherche un remplaçant pour Boyon », lepoint.fr, mis en ligne le 31 octobre 2012, consulté le 4 novembre 2012, disponible sur : http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/exclusif-csa-hollande-cherche-un-remplacant-pour-boyon-31-10-2012-1523389_52.php
COMMUNIQUE DE PRESSE DES INDIGNES DU PAF, « Les Indignés du PAF propose la candidature de l’un des leurs au CSA », publié le 16 octobre 2012, blogs.mediapart.fr, mis en ligne le 17 octobre 2012, consulté le 4 novembre 2012, disponible sur : http://blogs.mediapart.fr/blog/les-indignes-du-paf/171012/les-indignes-du-paf-proposent-la-candidature-de-lun-des-leurs-a
POUSSIEGLE G., « Michel Boyon pourrait être prolongé d’un an à la tête du CSA », lesechos.fr, mis en ligne le 12 octobre 2012, consulté le 4 novembre 2012, disponible sur : http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0202321505866-michel-boyon-pourrait-etre-prolonge-d-un-an-a-la-tete-du-csa-371625.php
Liste des personnalités signataires de la pétition « Un citoyen au CSA » de 2004 lancée par l’association Les Pieds dans le PAF, mise en ligne le 11 novembre 2012, consultée le 11 novembre 2012, disponible sur : http://lesindignesdupaf.org/signataires-de-la-campagne-un-citoyen-au-csa-des-pieds-dans-le-paf-en-2004/
Entretien téléphonique du 10 novembre 2012 avec Philippe Guihéneuf, porte-parole du collectif Les Indignés du PAF.
Site internet du CSA, rubrique « Présentation du Conseil », disponible sur : http://www.csa.fr/Le-CSA/Presentation-du-Conseil
Site internet des Indignés du PAF, disponible sur : http://lesindignesdupaf.org/