Le 5 novembre dernier, Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, et Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée de l’économie numérique, ont saisi l’autorité de la concurrence afin qu’elle se prononce sur « la compatibilité avec le bon fonctionnement de la concurrence » de l’accord d’itinérance qui lie Orange à Free ainsi que sur la mutualisation des réseaux mobiles.
L’accord d’itinérance entre les deux opérateurs a été conclu le 3 mars 2011 pour le déploiement de la 2G et de la 3G et devra prendre fin en 2018, date à laquelle Free devra avoir déployé son réseau et couvrir 90% de la population (avec un objectif de couverture de 75% en 2015). Cet accord permet à Free d’utiliser le réseau mobile d’Orange, moyennant rémunération, dans l’attente du développement de ses propres infrastructures.
L’Autorité de la concurrence devra apporter réponse au gouvernement qui s’interroge sur le fait de savoir «dans quelle mesure Free ne bénéficierait pas d’un modèle de déploiement durablement plus avantageux que ses concurrents ». Autrement dit, si l’accord d’itinérance n’irait pas « trop loin en durée et en portée, géographique et technologique » et ne deviendrait donc pas anticoncurrentiel. Le gouvernement, en octobre dernier, avait annoncé des mesures destinées à soutenir l’emploi et l’investissement dans le secteur des télécoms, un secteur perturbé par l’arrivée de Free Mobile le 10 janvier dernier sur le marché. Le gouvernement avait alors notamment insisté sur le fait qu’il soit « primordial que l’ensemble des opérateurs s’inscrivent dans un modèle d’investissement » faisant référence à Free. Il se demande donc si il serait souhaitable que l’accord, dont la fin est prévue en 2018, se poursuive, ou s’il serait préférable d’instaurer une date butoir, tout en envisageant que l’accord soit maintenu dans certaines zones (les zones moins denses).
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’accord entre Free et Orange n’est pas du goût de tous. Martin Bouygues avait même écrit aux parlementaires pour leur faire connaître son point de vue sur l’accord qui, selon lui, ne devrait en aucun cas être renouvelé. Il avait notamment affirmé: « nous sommes 3 opérateurs à coûts fixes en compétition et avec un opérateur à coût pour l’essentiel variable. (…) Cette situation de déséquilibre est problématique », avant d’ajouter « les prix bas de Free ne sont pas liés à un outil de production moins cher mais à ses coûts variables ». Les concurrents de Free soupçonnent ce dernier de se contenter de l’accord d’itinérance pour diminuer ses coûts d’infrastructures. Ce à quoi Free répond que son objectif est bien de développer ses infrastructures, et de sortir de l’accord d’itinérance dès que son objectif sera atteint, rappelant que le contrat qui le lie à Orange lui coute 1 milliard d’euros sur trois ans. Martin Bouygues rétorque à cela qu’un réseau mobile couvrant toute la France est de l’ordre de 10 milliards…
S’agissant de la mutualisation des réseaux mobiles, c’est à dire la mise en commun par les opérateurs de leurs réseaux, l’autorité de la concurrence devra se prononcer sur la demande des opérateurs voulant « être éclairés sur les différentes possibilités compatibles avec le respect des règles de la concurrence » concernant la mutualisation ou le recours à l’itinérance dans les bandes de fréquences des 800 Megahertz pour les zones les moins densément peuplés (les fréquences des 800 Megahertz issues de la bande libérée suite à l’extinction de la télévision analogique sont les fréquences dites « en or »).
De plus, le gouvernement demande à l’autorité de la concurrence si la mutualisation des réseaux entre opérateurs dans les zones les plus denses serait envisageable « sans porter préjudice à la concurrence, à l’emploi et à l’investissement ». Cette préoccupation est tout à fait compréhensible lorsque l’on sait que les opérateurs ont dans les grandes zones urbaines des difficultés à trouver des points hauts pour poser des antennes radios et acheminer les communications. Il s’agirait dans le cadre des mesures évoquées par le gouvernement en octobre de trouver un équilibre entre le déploiement par chaque opérateur de son réseau et la mutualisation: l’objectif est d’assurer une rentabilité aux opérateurs sans nuire à l’investissement, source d’emploi. Comme l’avait annoncé le gouvernement en octobre dernier, il faut qu’il y ait dans les zones les plus denses un « déploiement pour chaque opérateur de son réseau propre, y compris pour le dernier entrant ». L’itinérance ne peut être que transitoire dans ces zones là. Le principe selon lequel les opérateurs se font concurrence par leurs réseaux est donc toujours applicable.
Rappelons que la mutualisation est une idée récente en France. En effet, face à l’arrivée de Free avec ses prix cassés sur le marché, les concurrents ont été contraint de diminuer leurs prix. S’ajoute à cela la baisse de la croissance européenne. Par conséquents, les opérateurs doivent trouver le moyen de faire des économies et la mutualisation des réseaux pourrait être une solution, puisqu’elle permet le partage du coût des infrastructures. Des réflexions sont donc menées par les opérateurs sur le sujet, notamment concernant la mutualisation des réseaux pour la 4G (l’économie serait estimée à 450 millions d’euros par an pour Bouygues par la société CM CIC Securities). Stéphane Richard, PDG d’Orange, a d’ailleurs affirmé dans un interview à L’express le 7 mai « Nous partageons déjà notre réseau avec d’autres opérateurs en Pologne et en Grande-Bretagne et, bientôt, en Roumanie et en Espagne. Nous sommes prêts à le faire en France avec SFR et/ou Bouygues dans la 4G, mais tous deux semblent réticents pour le moment » mais semble exclure pour le moment un accord avec Free affirmant dans une interview au Figaro le 16 mai que « Orange, SFR et Bouygues qui ont chacun déployés un réseau auraient une légitimité à les mutualiser. Ce n’est pas le cas de Free, qui doit encore développer le sien ». Bouygues telecom affirme quant a lui être «ouvert à la mutualisation sous conditions ».
L’Autorité de la concurrence rendra son avis en février 2013, après consultation de l’ARCEP et des opérateurs. Cette avis n’ayant pas force de loi, il ne pourra en aucun cas défaire le contrat existant entre Free et Orange, mais sera un message fort pour le marché des télécoms.
Sources:
ANONYME, « Bercy a saisit l’Autorité de la concurrence sur trois dossiers », Le Monde, mis en ligne le 5 novembre 2012, consulté le 10 novembre 2012, http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/11/05/reseaux-mobiles-bercy-a-saisi-l-autorite-de-la-concurrence-sur-trois-dossiers_1785985_3234.html
ANONYME, « accord Orange/Free: le gouvernement saisit l’autorité de la concurrence », Les Echos, mis en ligne le 5 novembre 2012, consulté le 10 novembre 2012, http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0202365519166-accord-orange-free-le-gouvernement-saisit-l-autorite-de-la-concurrence-507344.php
CHICHEPORTICHE (O.), « Free Mobile: le gouvernement saisit l’autorité de la concurrence au sujet de l’accord d’itinérance avec Orange », ZDNet, mis en ligne le 5 novembre 2012, consulté le 10 novembre 2012, http://www.zdnet.fr/actualites/free-mobile-l-etat-saisit-l-autorite-de-la-concurrence-au-sujet-de-l-accord-d-itinerance-avec-orange-39784195.htm
CUNY (D.), « Free Mobile crée un « déséquilibre de concurrence selon Bouygues », La Tribune, mis en ligne le 29 août 2012, consulté le 10 novembre 2012, http://www.latribune.fr/technos-medias/telecoms/20120829trib000716818/free-mobile-cree-un-desequilibre-de-concurrence-selon-bouygues-.html
CUNY (D.), « L’accord d’itinérance de Free Mobile et Orange dans le viseur de Bercy », La Tribune, mis en ligne le 5 novembre 2012, consulté le 10 novembre 2012, http://www.latribune.fr/technos-medias/telecoms/20121105trib000729041/l-accord-d-itinerance-de-free-mobile-et-orange-dans-le-viseur-de-bercy-.html
DEPREZ (Ch.), « Itinérance 3G Free/Orange: le gouvernement saisit l’Autorité de la concurrence », Génération nouvelles technologies, mis en ligne le 5 novembre 2012, consulté le 10 novembre 2012, http://www.generation-nt.com/free-mobile-orange-itinerance-3g-autorite-concurrence-actualite-1649942.html
DUCOURTIEUX (C.), « Vers une mutualisation des réseaux », Le Monde, mis en ligne le 13 juin 2012, consulté le 10 novembre 2012, http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/06/13/vers-une-mutualisation-des-reseaux_1717636_3232.html
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