La chronologie des médias a émergé avec la télévision. En effet, il s’agissait de protéger les salles de cinéma tant au niveau national, qu’européen. L’article 8 de la directive 2010/13/Union Européenne dispose « Les états membres veillent à ce que les fournisseurs de services de médias qui relèvent de leur compétence ne transmettent pas d’œuvres cinématographiques en dehors des délais convenus avec les ayants droits ». Ainsi, producteurs, distributeurs et exploitants ne sont pas libres de fixer les dates comme ils l’entendent, ils doivent respecter la chronologie mise en place. Cependant un film qui n’est pas diffusé en salle n’est pas encadré par la chronologie des médias.
Rappel de l’évolution de la chronologie des médias
Avant la loi Hadopi du 12 juin 2009, il fallait attendre 6 mois pour la vente et la location de DVD, 33 semaines pour la Vidéo à la demande, 12 mois pour la télévision cryptée par abonnement et enfin entre 24 et 36 mois pour la télévision gratuite après l’obtention du visa d’exploitation en salle.
L’accord interprofessionnel du 6 juillet 2009, étendu par l’arrêté du 9 juillet 2009, en application de l’article 30-7 du Code de l’industrie cinématographique qui s’inscrit dans loi du 12 juin 2009, a réduit les délais[1]. Ainsi le film est disponible après 4 mois, en vidéo à la demande et en DVD. En ce qui concerne la télévision payante, le film est disponible après 10 mois sur la première fenêtre (Canal+) et 22 mois pour la 2ème fenêtre (Canalsat, Ciné +).
Pour la télévision en clair, il faudra attendre entre 22 mois et 30 mois, pour la Vidéo à la demande par abonnement 30 mois et pour la vidéo à la demande gratuite 48 mois. Ainsi depuis 2009, avec la modification de la réglementation, les professionnels du cinéma tiennent compte du développement d’une offre légale et appliquent la chronologie des médias aux services de médias audiovisuels à la demande.
La chronologie des médias en 2012
Deux parties s’opposent sur la question de la chronologie des médias. Tandis qu’une partie des professionnels du cinéma est satisfaite de la modification effectuée en 2009 et n’y voit rien à changer, une autre partie trouve à redire. En effet, pour bon nombre d’entre eux, la chronologie des médias est une des causes du téléchargement illégal en France et cette chronologie actuelle ne permettrait pas de développer, comme il le faudrait, l’offre légale.
Des propositions ont été faites : comme la réduction de la durée entre la sortie en salle et la Vidéo à la demande par abonnement ou du moins un assouplissement pour les films d’art et d’essais. Cette proposition a été rejetée par l’ensemble des professionnels du cinéma mais soutenue par l’ARP (Société civile des Auteurs Réalisateurs et Producteurs) et la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques). L’ARP et la SACD ont donc refusé de signer l’accord interprofessionnel sur la chronologie des médias qui a été reconduit le 5 avril 2012 par les professionnels du cinéma.
Canal + et son quasi monopole
S’il y en a bien un qui est montré du doigt face au sujet houleux qu’est la chronologie des médias c’est Canal +. En effet, il est le principal investisseur de fonds pour le cinéma français et il détient un quasi monopole sur la diffusion payante de films récents. Il pré finance et finance le cinéma français à hauteur de 25%[2]. Ainsi, alors qu’en mars 2012, Canal + a pu accepter une réduction du délai à 22 mois pour les vidéos à la demande par abonnement, pour les films d’art et d’essai qui n’ont pas été pré financés par une chaine de télévision et qui sont sortis en salle avec moins de 30 copies. C’est moins enthousiaste, en octobre 2012, lors de la rencontre cinématographique de Dijon, que le président de Canal + a affirmé « il faut être attentif à ce que le service de vidéo à la demande par abonnement ne vienne pas détruire le marché ». En d’autres termes, il ne semble pas favorable à une modification de la chronologie des médias ou tout du moins à une réduction du délai de la vidéo à la demande par abonnement.
Une concertation sur la chronologie des médias souhaitée par la ministre de la culture
C’est trois ans, après l’arrêté du 6 juillet 2009 sur la modification de la chronologie des médias que la Ministre de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti a énoncé son souhait d’une évolution de cette chronologie. En effet, étant également à l’initiative de la mission Lescure, elle souhaite une réduction du délai entre la sortie en salle du film et sa disponibilité sur les plateformes de vidéos à la demande par abonnement. Le point sensible étant comme nous l’avons vu précédemment Canal +.
L’expérimentation de la Commission Européenne
Androulla Vassiloui, la Commissaire Européenne chargée de la culture, de l’éducation, du multilinguisme et de la jeunesse a annoncé fin octobre, qu’elle allait lancer une expérimentation avec des films d’art et d’essai en France, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Belgique, Italie, Pays Bas, Luxembourg, Pologne et en Irlande. Cette expérimentation subventionnée par la commission à hauteur de deux millions d’euros consistera à sortir le même jour le film au cinéma, à la télévision et sur les services de vidéos à la demande. Ce programme débutera avec les premiers films qui doivent sortir début 2013 et finira en 2014.
Le scepticisme des parlementaires
Cependant, cette expérimentation, alors même qu’elle n’est pas encore mise en action fait déjà parler d’elle. En effet, plusieurs parlementaires, lors de l’examen de la loi de finance pour 2013, ont fait savoir qu’ils étaient sceptiques à cette idée. « Votre rapporteur pour avis fait part de son scepticisme sur ce point. Il souligne la nécessité de préserver l’exclusivité de la salle, sachant qu’un film peut parfaitement être diffusé sans passer par une salle ».
De plus, ils évoquent l’expérience réalisée en 2012 en France, « Une première expérimentation a été récemment réalisée en France : deux films indépendants sortis sur moins de vingt copies ont été diffusés, début novembre 2012, en avant-première sur Internet, mais plusieurs cinémas ont alors décidé de les déprogrammer car ils n’avaient plus aucun intérêt à maintenir ces films en salle ».
Il ne reste donc plus qu’à attendre les retombées de cette expérimentation et les prochaines discussions entre professionnels du cinéma, pour voir si oui ou non une modification de la chronologie des médias verra le jour, ou du moins une réduction des délais qui sont actuellement mis en place.
De plus, il ne faut pas oublier la problématique de plus en plus présente, qu’est le téléchargement illégal afin de satisfaire l’envie des spectateurs de voir toujours plus et toujours plus vite. En effet, comme l’énonçait M. Lescure lors de la conférence à la faculté d’Aix Marseille le 28 novembre 2012, « La chronologie des médias est un problème clé dans notre pays mais on ne peut pas l’imaginer de la même manière pour les films et séries. On voit bien que l’envie de l’usager, de consommer la saison 2 de la série alors même qu’il vient juste de terminer la saison 1 est irrépressible. Toutes les technologies n’y feront rien. Les séries sont un vrai sujet au-dessus des droits et du droit. Pour le cinéma, il faut lui donner le temps de s’adapter au système franco-français ».
Sources :
BOUDET-DALBIN (S.), « Le compte à rebours de la chronologie des médias », Pc Inpact, mis en ligne le 15 mai 2012, consulté le 25 novembre 2012, http://www.pcinpact.com/dossier/chronologie-media-cinema-cosip-cnc/1.htm?_id=21
JULIEN (L.), « Chronologie des médias : aligner la VOD sur la sortie en salles ? », Numerama, mis en ligne le 24 novembre 2012, consulté le 25 novembre 2012, http://www.numerama.com/magazine/24351-chronologie-des-medias-aligner-la-vod-sur-la-sortie-en-salles.html
JULIEN (L.), « Aurélie Filippetti plaide pour une évolution de la “chronologie” des médias », Numerama, mis en ligne le 23 mai 2012, consulté le 25 novembre 2012, http://www.numerama.com/magazine/22680-aurelie-filippetti-plaide-pour-une-evolution-de-la-chronologie-des-medias.html
JULIEN (L.), « Canal + freine sur la révision de la chronologie des médias », Numerama, mis en ligne le 20 octobre 2012, consulté le 25 novembre 2012, http://www.numerama.com/magazine/24066-canal-freine-sur-la-revision-de-la-chronologie-des-medias.html
[1] DE BELESCIZE (D.) et FRANCESCHINI (L.), Droit de la communication, PUF 2ème éd., Paris, 2011, p233
[2] Chiffre donné par M. Lescure lors de la conférence tenue le 28 novembre à l’université d’ Aix- Marseille III