Une crise sans précédent touche aujourd’hui le secteur public de la télévision. Chaque jour, des nouveaux arrêts d’émission et des changements de grille sont annoncés par la direction. Les problèmes auxquels doit faire face la direction du groupe sont importants, et plusieurs solutions sont envisageables pour les résoudre. La gestion actuelle de France Télévisions est-elle la bonne ?
Les grandes réformes contemporaines du secteur public
Le 1er janvier 2000, les cinq chaînes publiques sont fusionnées en un seul groupe unique : France Télévisions. Cela était censé générer des économies, mais d’après le rapport du sénateur David Assouline, 14 millions d’euros ont été dépensés rien qu’en frais de conseils divers et 40 millions d’euros en ajustement des traitements entre collaborateurs. Se dessine dès lors une gestion compliquée du groupe.
Le président Sarkozy désire en 2009 supprimer totalement la publicité sur les chaînes publiques. Dans un premier temps, seule la publicité après 20 heures est supprimée pour ne pas priver trop brutalement les chaînes de leur financement jusque-là majoritaire. Pour y remédier, la loi du 5 mars 2009 instaure une dotation publique de « compensation », c’est-à-dire un renforcement des crédits de l’Etat. « Or, compte tenu de la situation très dégradée des finances publiques, loin de sécuriser le financement de l’entreprise, ce mécanisme a exposé France Télévisions aux ajustements effectués sur le budget de l’Etat », a déclaré à ce propos la députée socialiste Martine Martinel dans un rapport sur l’audiovisuel public.
Une situation critique
La direction, aussi bien celle de Patrick de Carolis que celle de Rémy Pflimlin, par des choix hasardeux, a largement contribué à cette situation. Il suffit de voir les audiences de France 3, qui, en six ans, a réussi à perdre près de la moitié de ses téléspectateurs. Cela s’explique en grande partie par la perte de sa ligne éditoriale, avec la suppression progressive des émissions régionales qui constituaient pourtant son ADN. Rémy Pflimlin a ensuite tenté de rétablir cela, avec peu de réussite néanmoins, en mettant à l’antenne notamment « Midi en France », une émission dont le coût de production n’était de loin pas suivi par l’audience. Aujourd’hui, France 3 est la chaîne qui coûte le plus cher à France Télévisions, malgré des chiffres d’audience en berne.
Francis Guthleben, directeur des programmes de France 3 de 2006 à 2008, a dénoncé également un trop-plein de salarié : 10 000 pour France Télévisions contre 3800 employés pour TF1, alors que le cumul de ses audiences est à peine supérieur à celle de TF1. A ce propos, il pointe du doigt le fait que les salariés de France 3 ne travaillent que 196 jours par an : « Résultat : dans la télévision publique, il faut deux personnes pour assurer un poste de journaliste. À titre de comparaison, ceux de TF1 travaillent de 208 à 215 jours, soit entre 12 et 19 jours de plus par an ».
Mais cette impasse n’est pas seulement le fait de la mauvaise gestion des dirigeants du groupe. L’Etat, en sa double qualité d’actionnaire et de puissance publique, tâtonne et peine à trouver sa place. Dès 2009, la Cour des comptes l’avait souligné : « Les obligations d’investissements dans les programmes correspondent à une politique culturelle voulue par l’Etat qui dépasse – voire ignore – l’intérêt social de France Télévisions. (…) La contradiction entre la mission de soutien au secteur de la production privée et l’exigence de l’équilibre économique (…) entretient une confusion fâcheuse entre les responsabilités d’un éditeur de programmes comme France Télévisions et celles d’une agence de financement ». Ainsi, l’Etat demande à France Télévisions à la fois des économies, et d’investir dans le secteur culturel. Pour Catherine Trautmann, ancienne ministre socialiste de la culture et de la communication, pour une gestion autonome, il faut une indépendance du financement.
Les choix actuels
Des annonces successives de la part de la direction de France Télévisions ces derniers jours ont généré un mini séisme dans le monde de l’audiovisuel français. Cela a commencé par la suppression de toutes les secondes parties de soirée pour les remplacer par une tranche étendue d’information avec un grand Soir 3 – qui fait pourtant de mauvaises audiences avec 5 % en moyenne – tout en gardant le financement de l’ancienne formule. Certaines émissions emblématiques du service public vont être déplacées, comme « Ce soir ou jamais » de Frédéric Taddeï qui passe de France 3 à France 2, voire supprimées comme « C’est pas sorcier », au détriment parfois d’autres émissions, certes jeunes mais prometteuses à l’instar de « Comment ça va bien » animé par Bruce Toussaint sur France 2 qui n’aura ainsi tenu que quelques mois sur la chaîne, tout cela nécessité par des impératifs d’économie.
Face à ces décisions, la ministre de la culture et de la communication Aurélie Filippetti n’a pas tardé à faire entendre sa voix, déclarant : « Je voudrais surtout qu’il y ait une réflexion stratégique, un plan stratégique qui soit présenté par la direction de France Télévisions, qui ne peut pas toujours se retrancher derrière les difficultés budgétaires, que nous connaissons tous et qui sont réelles », et demande ainsi « un plan stratégique avec des missions de service public qui soient claires en matière de soutien à la création, d’augmentation des programmes en direction des enfants et notamment les programmes éducatifs, d’information, de qualité de l’information ». Face à la critique, elle a nié toute ingérence dans la gestion du groupe : « J’estime que c’est mon rôle de rappeler à la direction de France Télévisions ses missions de service public. Ça n’est pas de l’ingérence. Moi, je suis en train de préparer la loi qui garantira l’indépendance de France Télévisions », faisant par-là référence à Nicolas Sarkozy. Des syndicalistes de l’audiovisuel ont néanmoins révélé que des conseillers d’Aurélie Filippetti se penchaient actuellement sur l’avenir de France Télévisions, ce qui n’est pas vraiment un modèle de non-ingérence.
130 millions d’euros d’économie sont attendus de la part de France Télévisions en 2013 par rapport à 2012, et le PDG Rémy Pflimlin a prévu d’en sacrifier 50 millions sur la refonte des programmes. Cela peut paraître catastrophique, mais est en réalité envisageable en considérant que l’année 2013 sera moins riche en évènements aussi bien sportifs que politiques que l’année 2012, donc moins coûteuse. Il existe ensuite diverses solutions pour arriver à économiser ces 50 millions : la rediffusion qui est gratuite et permet de toucher un public différents ; l’allongement de certaines émissions comme Thalassa à un prix dérisoire ; puiser dans les stocks. Une augmentation de la redevance télévisuelle a également été votée par le Parlement de 6 euros, soit 2 euros de plus qu’habituellement, ce qui porte le montant de la redevance à 131 euros.
La crise continue…
La ministre de la culture a rencontré lundi 17 décembre le PDG de France Télévisions pour discuter de la « stratégie d’ensemble de France Télévisions » et lui renouveler par la même occasion sa confiance. Les syndicats de l’audiovisuel, ce jour-là, ont déposé un préavis de grève pour le lendemain contre les « plans d’économies drastiques » et la « gestion défaillante » de France Télévisions. La grève a eu un franc succès puisque 24 % des salariés se sont déplacés selon la direction du groupe contre 50 % selon les syndicats, provoquant des perturbations dans nombre des programmes de la journée.
Des questions se posent donc pour l’avenir du groupe. Que va-t-il advenir du secteur public de la télévision ? La perte des moyens aura-t-elle une incidence sur la qualité des programmes, et par là-même sur les audiences des chaînes ? France Télévisions saura-t-il maintenir sa place de choix dans le paysage audiovisuel français ? C’est à ces questions essentielles que doit maintenant s’atteler la direction, et trouver des réponses au plus vite.
Sources :
GUTHLEBEN F., « Crise à France Télévisions : pourquoi France 3 est condamnée », Le Nouvel Observateur Le Plus, mis en ligne le 6 décembre 2012, consulté le 18 décembre 2012, <http://leplus.nouvelobs.com/contribution/729914-crise-a-france-televisions-pourquoi-france-3-est-condamnee.html>
ENDELWELD M., « France Télévisions dans l’impasse », lemonde.fr, mis en ligne le 17 décembre 2012, consulté le 18 décembre 2012, <http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/12/17/france-televisions-dans-l-impasse_1807446_3232.html>
GROUSSARD V., « France Télévisions : des programmes à l’économie », Le Nouvel Observateur, mis en ligne le 17 décembre 2012, consulté le 18 décembre 2012, <http://tempsreel.nouvelobs.com/medias/20121217.OBS2709/france-televisions-des-programmes-a-l-economie.html>
Anonyme, « France Télévisions : Aurélie Filippetti se défend de toute ingérence », Télérama.fr, mis en ligne 17 décembre 2012, consulté le 18 décembre 2012, <http://www.telerama.fr/medias/france-televisions-aurelie-filippetti-se-defend-de-toute-ingerence,90839.php?xtatc=INT-60>
P.F., « France Télévisions en surchauffe », LeProgrès.fr, mis en ligne le 18 décembre 2012, consulté le 18 décembre 2012, <http://www.leprogres.fr/france-monde/2012/12/18/france-televisions-en-surchauffe>
Anonyme, « Grève à France Télévisions : les salariés ont répondu à l’appel des syndicats », L’Express, mis en ligne le 19 décembre 2012, consulté le 19 décembre 2012, <http://www.lexpress.fr/actualite/medias/greve-a-france-televisions-les-salaries-ont-repondu-a-l-appel-des-syndicats_1200910.html>