Nous le savons tous, la question de l’exception culturelle à l’heure du numérique est au cœur des débats récents.
Mais qu’entend on par exception culturelle ? Il s’agit d’une notion qui apparaît comme essentielle, elle désigne une certaine limitation dans le libre échange des œuvres de l’esprit afin de préserver la création. Cette préservation de la création est mise à mal, au regard des nouveaux modes d’échanges des œuvres.
C’est face à ses préoccupations, que la mission Lescure a été chargée d’établir une réflexion sur les éventuels changements à apporter à notre système de protection de la diversité culturelle.
Il est certain que les innovations en matière numérique et l’apparition des nouveaux usages en matière notamment des contenus culturels, ont appelé les pouvoirs publics à reconsidérer les mécanismes de protection des créations tout en garantissant une facilité d’ accès à ces dernières.
Ces problématiques sont autant un enjeu national, qu’européen et plus encore international.
C’est la conscience partagée du phénomène qui a incité le gouvernement à mettre en place une mission, laquelle est en charge de faire des propositions en la matière.
Bien que celles-ci ne seront rendues publiques qu’au cours du mois de mars 2013, quelques pistes sont envisagées par Monsieur Lescure, président de la mission.
En effet ce dernier, envisage, pour pallier aux contraintes du numérique, mettant en danger l’industrie culturelle, de remettre en cause la position de l’hébergeur.
Le statut actuel de l’hébergeur
La loi pour la confiance en l’économie numérique définit qui est hébergeur. L’article 6-1-2 de la LCEN, précise donc que l’hébergeur est une personne, physique ou morale, « qui assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ».
Cet intermédiaire bénéficie à ce titre, d’un régime de responsabilité atténuée, dans la mesure où il n’est pas responsable des contenus qu’il sera amené à héberger.
Cependant, cette absence de responsabilité n’est pas totale, le prestataire sera tenu responsable si le contenu illicite est porté à sa connaissance et que ce dernier n’agit pas promptement pour le retirer.
Plusieurs décisions sont venues apporter des précisions sur ce statut d’hébergeur car souvent la question se pose de savoir si nous sommes en présence d’un éditeur ou bien d’un hébergeur. La distinction est essentielle, car dans le premier cas, l’intermédiaire ne bénéficie pas d’un régime de responsabilité aménagée.
Les jurisprudences successives ont donc précisé les limites de chacun des statuts. Pour exemple, par un arrêt Google du 23 mars 2010 (CJUE, 23/3/2010, aff. C-236/08), la cour de justice rappelle que la dérogation en matière de responsabilité devait s’appliquer au cas où le rôle du prestataire technique pouvait être considéré comme « neutre », « purement technique », « automatique et passif », « Impliquant que ledit prestataire n’a pas la connaissance ou de contrôle des informations transmises ou stockées ».
On comprend alors que si ce dernier se contente d’effectuer des opérations techniques (encodage, formatage…), il ne verra pas sa responsabilité engagée.
On parle également de neutralité vis à vis du contenu, au sens d’absence de rôle actif sur ce dernier, cependant, on peut légitimement se demander si le critère de neutralité ne condamne pas toute forme de filtrage a priori, et cela peut poser de véritables problèmes pour certains contenus tels que ceux qui pourraient porter atteinte aux bonnes mœurs.
Outre ces problématiques, aujourd’hui, de nombreuses questions se posent notamment sur ce critère de passivité. L’hébergeur à l’heure du 2.O, n’appréhende plus le contenu qu’il héberge de la même manière qu’auparavant.
Les usages ont changé, et la question se pose de savoir si le statut actuel est véritablement adapté aux nouvelles réalités de l’internet ? L’hébergeur peut il encore être considéré comme neutre vis à vis des contenus qu’il héberge ? Et par conséquent sa responsabilité aménagée est elle encore légitime ?
Vive polémique sur la piste de la réforme du statut de l’hébergeur
« Il est nécessaire de revenir sur la définition de certains statuts, y compris celui de l’hébergeur. Il ne peut plus revendiquer cette neutralité qu’il avait au début. A partir du moment où une plateforme comme Youtube ou iTunes a un système de recommandation », estime Pierre Lescure, «L’hébergeur ne peut plus dire : « Je suis totalement neutre, vis-à-vis des contenus.»
En effet, les prestataires d’hier, ne sont plus les mêmes que ceux d’aujourd’hui. Le statut de ces derniers doit être en adéquation avec une nouvelle réalité. Bien que difficile à déterminer, il convient d’établir le rôle exact de cet intermédiaire technique.
Il est difficile dorénavant d’envisager les prestataires tels que Youtube, Dailymotion comme totalement neutres vis à vis des contenus, et ceci même si encore récemment les instances confirment le rôle passif de ce type de plateformes, tel qu’avec la décision du tribunal de grande instance de Paris qui est venu réaffirmer le statut d’hébergeur pour le site de partage de vidéos en ligne, Dailymotion en date du 13 Septembre 2012.
L’ex patron de Canal + envisagerait par conséquent, un statut intermédiaire.
Si ce changement devait avoir lieu, celui ci aura également un impact sur les échanges effectués dans le cloud.
Cependant, cette proposition rencontre de nombreuses critiques dans la mesure où de tels changements seraient en contradiction avec la législation européenne, cependant pour monsieur Lescure, cette réforme doit avoir lieu, même si cela doit passer par un changement également au niveau européen.
Les polémiques vont bon train au sujet de ce projet de réforme, car beaucoup se demande si la mise en place d’une responsabilité des prestataires, et plus précisément, celle des hébergeurs permet d’envisager une meilleure rémunération des créateurs, un financement plus juste de la création. Cette piste reste à envisager à l’heure où la propriété intellectuelle est mise à mal, par notre nouvel environnement numérique.
Les raisons de cette volonté de changement
Editeur ? Hébergeur ? La question reste entière, évidemment le statut d’hébergeur a été défini par la LCEN, cependant de nombreux exemples, laisse penser que des modifications, des adaptations doivent être envisagées en ce qui concerne le statut de cet intermédiaire.
Prenons pour exemple, le géant Américain Google, au travers de son algorithme, on peut difficilement envisager que ce dernier un rôle passif sur les contenus hébergés.
En effet, ce dernier pour améliorer la pertinence globale des résultats de recherche, ce dernier n’hésite pas à dégrader le référencement des noms de domaine descriptifs et ainsi certains sites pourraient perdre jusqu’à 80 % de leur trafic.
De plus, Google entre autres, par le biais de son algorithme détermine automatiquement les limites de ce qui est culturellement acceptable.
A travers ces exemples, on perçoit que l’hébergeur est dans une démarche volontaire, active.
La réforme du statut de l’hébergeur est donc envisagée du fait de la difficile distinction actuelle entre éditeur de contenu et hébergeur.
De nombreuses sociétés se cachent derrière le statut d’hébergeur pour échapper à leur responsabilité, cependant de nombreux agissements encouragent les pouvoirs publics à reconsidérer les règles en vigueur, en matière de responsabilité des intermédiaires techniques.
Daniel Hammer, secrétaire général de Médias suisses, dans une interview à « l’Hebdo », illustre le propos en affirmant : « La pratique de Google consistant à indexer les contenus sans les payer tout en encaissant des recettes publicitaires n’est plus tolérable”.
Des sites légaux comme Youtube ou Google, qui sont hébergeurs et qui diffusent, se rémunèrent grâce aux œuvres culturelles, et ceci sans aucune contrepartie pour les artistes.
Cette question de la rémunération des auteurs est une défaillance au sein de l’environnement numérique et auquel on pourrait semble-t-il, y rémédier par le biais d’un statut intermédiaire appliqué à l’hébergeur.
Plus de précisions seront apportées dans un rapport final qui sera remis eu gouvernement le 31 Mars 2013.
Sources
DREYFUSS (S.), « La mission Lescure à mi chemin d’une réforme du droit d’auteur », Lacroix.com, mis en ligne le 6 décembre, consulté le 10 décembre 2012, disponible sur : http://www.la-croix.com/Culture-Loisirs/Culture/Actualite/La-mission-Lescure-a-mi-chemin-d-une-reforme-du-droit-d-auteur-_NG_-2012-12-06-884651
MANETTI (B.), « Internet : Le statut d’hébergeur bientôt réformé ? », Nouvelobs.com, mis en ligne le 6 décembre 2012, consulté le 13 décembre 2012, disponible sur : http://obsession.nouvelobs.com/high-tech/20121206.OBS1770/internet-le-statut-d-hebergeur-bientot-reforme.html
DUVAUCHELLE (A.), « Mission Lescure : réformer le statut d’hébergeur quitte à faire “évoluer” l’Europe », Znet.fr, mis en ligne le 6 décembre 2012, consulté le 13 décembre, disponible sur : http://www.zdnet.fr/actualites/mission-lescure-reformer-le-statut-d-hebergeur-quitte-a-faire-evoluer-l-europe-39785172.htm
BASTIDE (A.), « Google dégrade le référencement des noms de domaines descriptifs », Indexel.net, mis en ligne le 10 octobre 2012, consulté en octobre 2012, disponible sur : http://www.indexel.net/actualites/google-degrade-le-referencement-des-noms-de-domaine-descriptifs-3662.html