C’est une décision historique qui vient d’être prononcée par le Parlement Européen, celle du vote de l’adoption d’un brevet unique européen, permettant ainsi aux inventions réalisées au sein des 25 pays de l’Union Européenne, signataires de l’accord, de bénéficier d’une protection renforcée, en matière de brevets.
Les questions relatives à l’uniformisation de la propriété intellectuelle au sein de l’Union ont débuté dès les années 60. C’est donc après une réflexion de plus de trente ans, que la décision d’uniformisation du brevet, au sein de la quasi totalité des états membres, a été prise.
Désormais, rien ne fait plus obstacle à ce que celui ci entre en vigueur. Son application effective devrait se faire au 1 janvier 2014.
« Le vote d’aujourd’hui est une bonne nouvelle pour l’économie européenne et en particulier pour les petites et moyennes entreprises », a souligné l’eurodéputé socialiste, Bernhard Rapkay.
Quelques rappels
Le brevet est un outil essentiel pour les innovations technologiques. Il permet à son ou ses détenteurs de bénéficier d’une protection contre d’éventuelles contrefaçons et permet d’assurer un retour sur investissements engagés pour la recherche et le développement de l’innovation en cause. C’est donc un fabuleux moyen pour les entreprises d’accroître leur compétitivité. Les firmes bénéficient d’un avantage comparatif majeur (1). Outre cette mane pour les entreprises, il est un facteur essentiel pour l’essor de l’innovation.
Cependant pour bénéficier d’une telle protection, l’innovation doit présenter des caractères spécifiques. L’article 52 de la Convention sur le brevet européen dispose que « Les brevets européens sont délivrés pour les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle. »
Donc pourront être brevetables, les produits ou procédés et non pas les logiciels et les éléments du vivant.
Alors l’instauration de ce brevet unique européen, apportera t- il une meilleure protection ? Quels avantages majeurs présente t-il ?
Ce que va changer ce brevet unique
En tout premier lieu, c’est le coût qui se trouve radicalement revu à la baisse, en effet, le dépôt d’un brevet actuellement coûte, 36 000 euros contre 5 000 euros à l’heure de l’entrée en vigueur du brevet unique, ce qui apparaît comme un fabuleux moyen pour inciter les entreprises à innover, car nombreuses d’entres elles ne pouvaient pas faire face à l’importance de l’investissement. Par ailleurs, les procédures de dépôts vont être considérablement simplifiées, puisque ils se feront de manière unique, pour l’ensemble des pays signataires de l’accord.
L’élément à ne pas manquer de souligner est que désormais les inventions seront protégées de manière identique au sein de tous les pays de l’Union Européenne.
Plusieurs problèmes ont été soulevés, au cours de cette adoption.
En premier lieu, celui de la langue dans laquelle les brevets devraient être déposés, et c’est notamment un des éléments qui a mis en échec l’adoption de ce brevet unique au cours des différentes étapes visant à son élaboration.
C’est désormais une question résolue, puisque ils devront être déposés en Anglais, Français ou Allemand. Sur ce point, l’Italie et l’Espagne ont déposé des recours en justice afin d’empêcher la mise en place du système de protection renforcée de la création. Cependant, il semblerait qu’il ne soit pas donné suite à ces recours.
La seconde difficulté qui a été soulevée, a été celle de savoir qui serait compétent pour centraliser la gestion tant administrative, que règlementaire en la matière. Finalement, l’accord a tranché et prévoit un tribunal des brevets unique, basé à Paris, Londres et Munich. La raison de cette centralisation tient principalement au fait que cela évite le phénomène de forum shopping.(2)
Un brevet unique pour une meilleure compétitivité des entreprises
Outre les avantages liés à la réduction du coût des dépôts ainsi que la protection juridique renforcée, cette adoption pourrait changer la donne en matière de concurrence vis à vis des autres régions du monde.
En effet, actuellement, environ 60 000 brevets sont déposés chaque année en Europe. Un nombre très inférieur à celui des brevets déposés en Chine 172 000 et aux Etats-Unis 224 000 en 2011 .
« Le vote d’aujourd’hui constitue une avancée majeure sur la voie de la compétitivité industrielle », a souligné la députée européenne Marielle de Sarnez .
Des dérives à l’Américaine ?
Beaucoup s’interroge sur ce nouveau système car il pourrait être uniquement au service des grandes firmes.
En effet, la question qui est soulevée par de nombreux acteurs du domaine est celle relative à l’innovation, car certes, il y aura réduction du coût de dépôt, cependant, cela implique une multiplication du nombre de dépôts.
Dans un contexte de mondialisation des échanges, d’essor de nouvelles technologies, le nombre de brevets a explosé et par l’instauration de ce système de brevet unique, ce nombre ne va cesser d’augmenter.
Le brevet unique européen ne va t-il donc pas entrainer un nouveau marché pour les « patent trolls » ? Ce sont des entreprises qui utilise le litige de brevets comme principale activité économique en déposant un maximum de brevets pour ensuite contracter des accords de licence. Et ainsi récupérer de l’argent sans aucune réelle production.
C’est le parasitisme qui s’impose en tant que modèle économique.
Cette multiplication de dépôts aurait donc tendance à freiner l’innovation pour les entreprises ne disposant que de peu de moyens financiers. En effet, ces dernières ne pourront que difficilement se défendre en cas d’attaque de la part des entreprises titulaires du brevet ou encore de dénoncer un brevet abusif, ainsi elles auront tendance à ne pas innover.
A ce sujet, la députée européenne Françoise Castex, déclare qu’ « il est fondamental que l’Europe encourage les esprits innovateurs à moindre frais et que le brevet soit accessible à nos PME qui sont le moteur de la croissance européenne ».
Alors doit on craindre de véritables dérives ? Toujours est-il que cette adoption présente de nombreux intérêts, notamment celui de la compétitivité.
Le commissaire européen affirme à cet effet : « Je ne crois pas que nous pouvons nous payer le luxe de ne pas augmenter notre compétitivité. » et a ajouté : « Il va réduire très fortement les coûts de protection. Les entreprises les plus petites vont pouvoir se protéger de la contrefaçon qui détruits des emplois. »
Le tout premier brevet européen devrait être déposé début 2014 !
Sources
ROUX (O.), « Olivier Roux : Le brevet unique européen : du rêve à la réalité », mis en ligne le 18 décembre 2012, consulté le 18 décembre 2012, disponible sur : http://www.huffingtonpost.fr/olivier-roux/brevet-unique-europeen_b_2315258.html?utm_hp_ref=international
FLECHAUX (R.), « Brevet unique européen : l’Union dit bienvenue aux trolls », mis en ligne le 12 décembre 2012, consulté le 17 décembre 2012, disponible sur : http://www.lemagit.fr/economie/business/2012/12/12/brevet-unique-europeen-lunion-dit-bienvenue-aux-trolls/
GUERRIER (P.), « Patent trolls : un fléau dans le système des brevets aux Etats-Unis », mis en ligne le 12 décembre 2012 , consulté le 17 décembre 2012, disponible sur : http://www.itespresso.fr/patent-trolls-fleau-systeme-brevets-etats-unis-59812.html
SERGENT (D.), « L’Europe se dote d’un brevet unique pour protéger les inventions », mis en ligne le 11 décembre 2012, consulté le 18 décembre 2012, disponible sur : http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Europe/L-Europe-se-dote-d-un-brevet-unique-pour-proteger-les-inventions-_NG_-2012-12-11-886610
UNIVERSITÉ DE LA RÉUNION, « La protection par le brevet », disponible sur : http://recherche.univ-reunion.fr/valorisation/espace-chercheurs/protection-et-transfert-de-la-propriete-intellectuellle/la-protection-par-le-brevet/
<CONVENTION SUR LE BREVET EUROPÉEN>, disponible sur : http://www.epo.org
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(1) : En économie, ce concept d’avantage comparatif, est issu de la théorie traditionnelle du commerce international de David Ricardo, c’est un principe selon lequel dans un contexte de libre échange, si un pays décide de s’appuyer sur une production particulière, pour laquelle il dispose d’une importante productivité par rapport à ses partenaires, il accroitra sa richesse nationale. C’est donc grâce à ce mécanisme, que l’on peut dire que ce pays dispose d’un avantage comparatif.
<THEORIE DES AVANTAGES COMPARATIFS>, disponible sur : http://jp.malrieu.free.fr/SES702/breve.php3?id_breve=40
(2) Principe selon lequel un requérant choisit parmi les juridictions potentiellement compétentes, celle qui répondra le plus favorablement à sa demande.