Les mineurs sont considérés comme des personnes fragiles. Cependant, ils ne sont pas protégés de la même manière face aux différents supports. En ce qui concerne la télévision, une 1ère signalétique de protection du jeune public a été mise en place en 1998 par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et fut modifiée en 2002 pour la rendre plus simple. Qu’en est-il cependant, de la protection des mineurs sur internet ? Internet n’est pas comme beaucoup peuvent le penser, une zone de non-droit mais un espace difficile à réguler du fait de son ampleur. Internet s’érige à un niveau international, mondial. Ainsi à la différence du CSA qui régule la télévision, Internet ne dispose pas d’un régulateur unique, mais de différents acteurs jouant un rôle plus ou moins important. De nombreux problèmes peuvent se poser sur internet notamment avec l’émergence et l’évolution quasi instantanées des réseaux sociaux.
Alex Türk, alors président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) « jugeait inacceptable et dangereux que l’information mise en ligne sur une personne ait vocation à demeurer intangible et fixe, alors que la nature humaine, implique, précisément, que les individus changent, se contredisent, bref évoluent tout naturellement ».
Pour tenter de protéger les mineurs, un rapport a été présenté le 20 novembre 2012 lors de la journée mondiale des droits de l’enfant avec diverses propositions, dont celle du droit à l’oubli. En effet, la mise en œuvre effective d’un droit à l’oubli numérique permettrait à tout enfant et plus tard à tout adulte, de pouvoir obtenir la suppression des données personnelles qu’il a lui même mises en ligne.
La charte sur le droit à l’oubli numérique
“Il ne faut pas diaboliser Internet, il y a de nombreux contenus mis en ligne que nous voulons garder, mais dans certains cas, nous aimerions pouvoir les effacer”, tels les propos tenus par Mme Kosciusko-Morizet à l’initiative de cette charte.
Son but étant la mise en place de nouveaux dispositifs visant à protéger les données personnelles des utilisateurs d’internet. Elle a été signée le 13 octobre 2010 par une dizaine de sites tels que Viadéo, Microsoft ou Copain d’avant mais les grands absents étaient Google, la CNIL et Facebook qui ne l’ont pas signée. Ainsi, l’instauration de cette charte vise a créer un bureau virtuel des réclamations pour les réseaux sociaux et oblige les moteurs de recherches à supprimer plus rapidement le cache des pages indexées.
L’absence de droit à l’oubli dans la loi
Le droit a l’oubli numérique n’est donc pas inscrit en droit positif, seul un droit de rectification des informations et un droit d’accès existent. C’est ce que déplore Mme DERAIN, la défenseure des droits de l’enfant, d’autant plus, que bon nombre de mineurs n’ont pas conscience de l’impact des messages ou images laissés sur la toile. En effet, elle justifie la mise en place d’un droit à l’oubli numérique pour différentes raisons : l’intense exposition des mineurs, l’usage des réseaux sociaux qui est propice à une large diffusion, la capacité limitée d’un enfant à préserver sa vie privée et celle des autres et la nécessité de permettre à l’enfant d’adapter sa vie numérique à l’évolution de sa personnalité.
Le droit à l’oubli numérique pour tous étant un droit difficilement accepté et à mettre en place, la défenseure propose donc de le mettre en place pour les mineurs. Elle prend acte de l’évolution des comportements des mineurs tant sur internet, qu’à la télévision ou dans les jeux vidéos et souhaiterait une évolution rapide de la législation les concernant.
Elle propose dans un premier temps, concernant les réseaux sociaux que les mineurs utilisent un pseudonyme. En effet, le mineur qui se crée un profil sur Facebook par exemple ne va pas avoir conscience de l’impact sur son futur avenir professionnel. Cependant elle rappelle que malgré que l’utilisation d’un pseudonyme soit interdite, la sanction est minime.
Mais la défenseure ne s’arrête pas là. Elle propose aussi la création d’un droit de déférencement. Ce droit permettrait de demander le déférencement de l’information qui a fait l’objet du droit à l’oubli.
Cependant, ce droit à l’oubli numérique et à l’effacement des données est consacré explicitement à l’article 17 du projet de règlement européen. Il permettrait aux internautes d’obtenir la suppression de l’intégralité des données les concernant si le responsable du traitement n’a pas de motif légitime pour les conserver. Ce projet de règlement reprend toutes les propositions de la commission européenne et a pour finalité de supprimer la directive de 1995 sur la protection des données personnelles. Ce projet est actuellement en cours de discussion au Parlement Européen et le texte définitif devrait être adopté début 2014.
Une vive réaction ?
En partant du fait que Google et Facebook, deux géants du Web qui font très régulièrement l’actualité en ce qui concerne des questions de droit à la vie privée ou leurs paramètres de confidentialité, n’ont pas signé la charte de droit à l’oubli numérique en 2010. Il ne faut pas s’attendre à un revirement de leur part. En effet, une distinction à propos de la notion de vie privée entre la France et les Etats-Unis par exemple n’est pas nouvelle. La France faisant primer le respect de la vie privée sur la liberté d’expression et les Etats-Unis faisant le contraire. Ce n’est donc pas sans raison que ces deux géants et bien d’autres, ont installé les sièges de leurs sociétés aux Etats-Unis ou en Irlande.
Ces grandes entreprises, voient ce droit à l’oubli numérique d’un mauvais œil. En effet, il l’assimile à la gestion et au traitement de milliers de demandes d’internautes regrettant leur acte quelques jours voire quelques heures après leur mise en ligne.
Une proposition faite et refaite
Le député UMP, M. Bénisti vient de proposer un droit à l’oubli, début décembre 2012, à la ministre de la justice. Il propose un dispositif de protection et de droit à l’oubli pour les moins de 18 ans ainsi que le droit au déréférencement. Pour le parlementaire, internet est de plus en plus fréquenté par les jeunes et ces jeunes ne bénéficient pas du regard avisé d’un adulte. Il énonce également les problèmes rencontrés par un jeune, après avoir publié des photos ou des commentaires déplacés quelques années auparavant. Il demande donc à la ministre de la justice, si le gouvernement « envisage d’examiner, avec les opérateurs du réseau internet, la mise en place de dispositif de protection et de « droit à l’oubli » sur internet pour les mineurs, permettant d’effacer certaines données, voire de favoriser le « déréférencement » d’un mineur ».
De plus, cette proposition a déjà été faite fin novembre par un député socialiste M Baert, qui souhaitait lui aussi la mise en place d’un droit à l’oubli et au déférencement à minima pour les mineurs.
Le rôle de la CNIL et des parents
Le droit à l’oubli numérique est peut-être une solution en aval mais il est également possible d’intervenir en amont. En effet, les parents et la CNIL peuvent jouer un rôle primordial.
La CNIL va permettre tout simplement de mettre les parents au goût du jour en leur expliquant toutes les nouvelles technologies et leurs inconvénients. Les parents, face à l’évolution et à la convergence des médias peuvent parfois être désemparés, c’est donc là qu’intervient la CNIL. En effet, depuis son site internet de nombreux renseignements et questions/réponses sont à la disposition des parents. Elle a, de plus, créé un site http://www.jeunes.cnil.fr/, dédié principalement aux jeunes mais également aux parents et enseignants.
Ensuite, les parents n’ont plus qu’à appliquer les conseils et les bonnes pratiques de la CNIL. De plus, ils peuvent mettre en place un logiciel de contrôle parental pour filtrer une partie des sites non recommandables pour les mineurs. Mais il est également nécessaire qu’un échange s’ouvre entre le parent et l’enfant, pour que l’enfant puisse prendre conscience des enjeux d’internet.
Il ne reste donc plus qu’à attendre et voir si les diverses propositions d’un droit à l’oubli numérique pour les mineurs seront mises en place.
Sources :
BAUDIS (D.) et DERAIN (M.), Enfants et écrans : grandir dans le monde numérique, Rapport au Président de la République, de l’Assemblée nationale et du sénat, novembre 2012
LELOUP (D.), « La Défenseure des enfants pour un « droit à l’oubli » sur le Net », Le Monde, mis en ligne le 21 novembre 2012, consulté le 21 décembre 2012, http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/11/20/la-defenseure-des-enfants-pour-un-droit-a-l-oubli-sur-le-net_1793109_3224.html
BERNE (X.), « Un député propose un dispositif de « droit à l’oubli » pour les mineurs », Pc Inpact, mis en ligne le 5 décembre 2012, consulté le 22 décembre 2012, http://www.pcinpact.com/news/75795-un-depute-propose-dispositif-droit-a-oubli-pour-mineurs.htm?utm_source=PCi_RSS_Feed&utm_medium=news&utm_campaign=pcinpact
HENNO (J.), « Droit à l’oubli Facebook, Google et Yahoo ! n’ont pas signé la charte », Les Echos, mis en ligne le 14 octobre 2010, consulté le 21 décembre 2012, http://www.lesechos.fr/14/10/2010/LesEchos/20784-120-ECH_droit-a-l-oubli—facebook–google-et-yahoo–n-ont-pas-signe-la-charte.htm
DELABARRE (H.) et TELLINI (J), « Réforme du cadre européen relatif à la protection des données personnelles : les propositions de la Commission Européenne », Nomos, mis en ligne en février 2012, consulté le 22 décembre 2012,
http://www.nomosparis.com/index.php?option=com_content&view=article&id=262:reforme-du-cadre-europeen-relatif-a-la-protection-des-donnees-personnellesn-les-propositions-de-la-commission-europeenne&catid=73&Itemid=130