Depuis l’arrivée de Free, il y a un an, la tension au sein du marché des télécoms est de plus en plus palpable en France. Critiquée par les autres opérateurs, mais vivement souhaitée par les autorités, cette arrivée aura clairement bouleversé et accéléré des changements dans le secteur. Le marché des télécoms français est en proie à de réelles difficultés structurelles, ce qu’on tentera de démontrer ici à travers l’exemple de l’opérateur historique Orange. En effet, pour ce dernier, 2012 a été particulièrement difficile financièrement puisque son action a chuté de 30% au cours de l’année pour se maintenir aujourd’hui aux alentours de 9 euros.
C’est dans cette situation que le PDG du groupe France Télécom-Orange, Stéphane Richard, a dévoilé la stratégie de l’entreprise pour 2013 lors de ses vœux à la presse et par une interview sur BFMBusiness. Celui-ci, pour retrouver la confiance des investisseurs, a entrepris une stratégie dans la continuité du projet interne « Conquête 2015 » lancé en 2010. Orange, déjà très implanté à travers le monde, souhaite renforcer cette position et pouvoir rivaliser avec des géants du Net comme Google et les obliger par exemple à monétiser le trafic qu’il génère sur son réseau. En plus des multiples partenariats, une filiale (Orange Horizons) a été mise en place pour prospecter de nouveaux marchés. Mais tout d’abord, pour comprendre les bouleversements stratégiques opérés, il faut décrypter le contexte européen des télécoms.
Contexte difficile des télécoms en Europe
Le constat est simple, le secteur européen des télécoms se porte mal. Alors qu’aux États-Unis (avec AT&T) ou en Chine (avec China Mobile), ces opérateurs peuvent facilement investir en raison de la légèreté des contraintes et de la concurrence, il en est tout autre en Europe avec l’interventionnisme de Bruxelles dont les financiers se méfient. Orange, qui souffre ainsi des lourdeurs du secteur européen des télécoms, a vu sa capitalisation boursière divisée par huit depuis 2000 (184,4 milliards d’euros) pour aboutir à 23,5 milliards d’euros au 22 janvier 2013. Situation d’autant plus absurde que, bien que l’action ait perdu 65% de sa valeur en cinq ans, l’entreprise a réalisé l’un des plus gros chiffre d’affaires en 2011 en France.
France Télécom-Orange aurait donc des difficultés à séduire de nouveaux investisseurs. En effet, l’appartenance au marché des télécoms européens très régulé, et celui du marché français bouleversé par l’arrivée de Free en proie à une bataille sans merci, ne rassure aucun financier. De plus, les financiers n’apprécient guère la présence de l’Etat parmi ses actionnaires (27% du groupe FT-Orange), et ce n’est pas les dernières rumeurs sur l’éviction du PDG d’Orange soulevée par le gouvernement qui les rassureront. On peut certes souligner les interventions de Bruxelles pour que le consommateur puisse bénéficier de tarifs plus abordables, mais d’un autre côté l’Europe a omis de se soucier de la solidité des structures financières des industries télécoms très gourmandes en capitaux. D’autant plus que la course au prix le plus bas défavorisera à terme le consommateur car les infrastructures des télécoms nécessitent d’importants investissements. En effet si le forfait illimité coûte 20 euros en France, il est à 38 en Allemagne et 70 aux Etats-Unis.
Comment se relever ? Rentabiliser la marque « Orange » à l’international
Pour se sortir de cette situation délicate Orange s’est lancée dans une opération séduction vis-à-vis des investisseurs avec comme impératif de retrouver l’équilibre sur le plan financier. Ce sont ces investisseurs qui apportent les capitaux à l’industrie des télécoms. Ainsi, Stéphane Richard a indiqué qu’il comptait « inverser le cours » de la valorisation boursière du groupe en 2013. Du point de vue de son image, le groupe France Télécom-Orange devrait cette année changer de nom définitivement pour ne plus faire apparaître la mention « France Télécom » mais simplement « Orange », c’est le premier signal fort d’une expansion mondiale affirmée. L’opérateur aux 230 millions de clients dans 35 pays souhaite accentuer son développement international pour devenir un acteur incontournable dans le monde des télécoms. Si en France le groupe compte sur l’arrivée de la 4G et des revenus issus du contrat d’itinérance avec Free pour retrouver l’équilibre financier, c’est donc bien sur le plan international que les projets se multiplient véritablement en s’appuyant sur la visibilité de sa marque. Cette expansion s’exerce par des partenariats et la création d’une filiale spécialement dédiée à cette finalité : Orange Horizons.
Cette filiale a pour objet la recherche de « nouvelles opportunités commerciales » dans les pays où il n’est pas présent en tant qu’opérateur, c’est-à-dire clairement la conquête de nouveaux marchés. Cette filiale fera l’objet de lancement d’activité d’opérateur de réseau mobile virtuel (MVNO) ou de développement d’offres flexibles destinées aux voyageurs. Après un lancement en Afrique Sud lors de la Coupe d’Afrique des Nations, Orange Horizons se penche aussi sur des opportunités en Italie et en Amérique du Sud. Mais le groupe a également conclu de nombreux partenariats pour s’étendre mondialement. Parmi eux, le partenariat stratégique exclusif avec l’entreprise chinoise Baidu pour développer un navigateur mobile à destination des utilisateurs de smartphone en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie. De même, l’opérateur historique désire se développer en Algérie, Libye et Éthiopie par le biais de contrats de gestion de réseaux d’autres opérateurs.
Enfin, et c’est sûrement le partenariat le plus important, l’accord de monétisation du trafic avec le géant du Web, Google. En effet, 50% du trafic sur les réseaux d’Orange provient de Google, mais le montant n’est pas connu. A la différence de Free, avec l’épisode controversée où il a bloqué un temps les publicités sur Internet (l’adgate), Orange a su établir un rapport de force global grâce à son envergure mondiale. A nouveau, l’opérateur historique a su profiter de sa marque et de ses nombreuses géographiques. En effet, lors d’une interview le PDG d’Orange affirma : « il y a des zones dans lesquelles Google ne peut pas se passer de nous, par exemple en Afrique. Ils ne peuvent pas nous dire, j’ai besoin de vous en Afrique, mais allez vous faire voir en Europe, je me débrouillerai autrement ». Un tel partenariat montre l’intérêt majeur d’avoir une taille critique dans le monde, c’est ce que Orange tente aujourd’hui de faire rentabiliser pour contrer la situation difficile des télécoms en France. En effet, SFR ou Bouygues, ne bénéficiant pas de cette envergure mondiale sont encore plus touchés, licenciements ou rapprochement avec Free (ou Numericable) ont alors été évoqués.
Sources :
ANONYME, « France Télécom a instauré ‘un rapport de force global’ avec Google », Les Echos, mis en ligne le 16 janvier 2013, consulté le 22 janvier 2013, http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0202502357089-france-telecom-a-instaure-un-rapport-de-force-global-avec-google-529066.php
DELANGLADE (S.), « France Télécom, le double piège », Les Echos, mis en ligne le 10 janvier 2013, consulté le 22 janvier 2013, http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/debat/0202482684063-france-telecom-le-double-piege-527033.php
DEPREZ (C.), « Orange Horizons : rendre visible Orange en dehors de ses marchés », Génération Nouvelles Technologies, mis en ligne le 16 janvier 2013, consulté le 22 janvier 2013, http://www.generation-nt.com/orange-horizons-filiale-opportunites-commerciales-revenus-actualite-1682012.html
SANYAS (N.), « Selon Orange, Google participe bien à la monétisation du trafic », Pc Inpact, mis en ligne le 16 janvier 2013, consulté le 22 janvier 2013, http://www.pcinpact.com/news/76801-selon-orange-google-participe-bien-a-monetisation-trafic.htm