LA MORT DU PROJET DE LOI CANADIEN C-30, AU NOM DE LA PROTECTION DE LA VIE PRIVEE DES INTERNAUTES

Dans un monde en constante évolution concernant les nouveaux modes de communication et les technologies de pointe, le droit à la vie privée semble plus que jamais indispensable.

En effet, face à la surexposition des personnes, notamment par le biais d’Internet, quelle protection plus légitime que le droit à la vie privée ?

Si en France le droit à la vie privée trouve parfois ses limites dans l’exercice d’autres droits et libertés, comme le droit à l’information par exemple, il n’en demeure pas moins qu’il constitue une protection incommensurable de l’individu. En revanche, au Canada l’Etat n’a pas hésité à élaborer un projet de loi sacrifiant la vie privée des internautes sur l’autel de la lutte contre la pédopornographie…avant de décider d’y renoncer.

LA PROTECTION LEGISLATIVE DE LA VIE PRIVEE AU CANADA

En général, pour la plupart des individus, la vie privée est une affaire de contrôle concernant les informations accessibles à leur sujet, et l’accès donné à ces informations. Si en Droit français la vie privée est rattachée aux notions de propriété privée et de bonnes mœurs, en Droit canadien, cette notion fait davantage échos au fait de bénéficier d’une certaine tranquillité ; c’est-à-dire de pouvoir s’adonner à des communications privées, de ne pas être épié, ou encore de jouir de son espace et d’exiger le respect de son intégrité. La conception canadienne de la vie privée semble axée sur les renseignements personnels. Les préoccupations du législateur canadien au sujet de la protection des renseignements personnels, se sont manifestées dans les années 70. En effet, le Canada a édicté la première loi fédérale sur la vie privée dans le secteur public, en 1977, dans la quatrième partie de la Loi canadienne sur les droits de la personne, au terme de laquelle était créé le commissaire à la protection de la vie privée au Canada, dont le rôle était d’accueillir les requêtes grand public, doublé de la possibilité de soumettre des recommandations au Parlement. Cette disposition législative s’est vue complétée par l’entrée en vigueur de deux lois en 1983, la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information.  Toutes deux, à l’image de la conception européenne, soulignaient l’équilibre nécessaire devant être maintenu entre la liberté d’information et la protection de la vie privée. Malgré la bonne foi du législateur canadien, demeure un vide juridique à propos de la protection des données personnelles dans le secteur privé. C’est donc à juste titre que le 1er janvier 2001 est entrée en vigueur la Loi sur la protection des donnée personnelles et les documents électroniques. Ce texte législatif régit le rapport entre le droit à la vie privée des individus et la nécessité pour les organismes privés, de recueillir des informations les concernant. Il s’applique aux organisations privées, qui sont ainsi contraintes de traiter les informations personnelles des individus de façon honnête, mais sont également réduites à l’obtention du consentement de la personne, avant toute manipulation d’informations personnelles à l’égard de celle-ci. Les données personnelles à propos d’un individu, doivent être recueillies dans un objectif précis (le plus souvent économique), ce qui implique que tout changement d’orientation dans l’usage de ces données exige un nouveau consentement de la part de l’intéressé. L’organisation privée qui collecte les informations relatives à un individu (un de ses employés par exemple), doit également lui garantir la protection des données le concernant, cela aussi bien à l’égard du personnel de l’organisme que des tiers. Le commissaire à la protection de la vie privée est en charge de contrôler si les organisations privées respectent les dispositions législatives.

Si ces textes législatifs s’avèrent nécessaires à la protection de la vie privée au Canada, cette protection ne semble pas aussi aiguisée qu’en Droit européen. L’Etat canadien a même envisagé de porter ouvertement atteinte à ce droit à la vie privée, au nom de la lutte contre la pédopornographie.

LE PROJET DE LOI C-30 ABANDONNE AU PROFIT DU DROIT DES INTERNAUTES

Le 14 février 2012 Vic Toews, ministre de la sécurité publique au gouvernement canadien, a déposé, à la Chambre des Communes, le Protecting Children From Internet Predators Act, nommé encore le projet de loi C-30. Ce projet de loi consistait en une restriction accrue du cadre législatif en matière d’accès aux données personnelles. Ainsi, pour affiner la lutte contre la cybercriminalité, il serait conféré à la police une multitude de prérogatives. Par exemple, les fournisseurs d’accès internet peuvent se voir contraints d’aménager une sorte de système de filtrage sur leur site, qui permettrait d’épier les communications privées entre les internautes fréquentant le site. De même, il serait possible d’obtenir toute information concernant un abonné, ou encore d’accéder à l’historique des activités des internautes, tout cela sans qu’un mandat judiciaire ne soit exigé.

Ce projet de loi s’avère abusif puisque si une loi était adoptée, elle ne ménagerait aucunement la liberté de communication et le droit à la vie privée. Même si la lutte contre la cybercriminalité est une cause nécessaire au bon fonctionnement d’Internet, justifie-t-elle pour autant que d’autres droits et libertés soient bafoués, seulement pour prévenir d’un éventuel délit ? Cela semble une mesure trop générale et absolue pour être soutenable.

Ce projet de loi a d’ailleurs suscité de vives réactions chez quelques experts juridiques mais surtout chez les internautes qui se sont aussitôt indignés d’une possible intrusion de la sorte, dans leur vie privée.

Conscient du caractère très absolu et disproportionné de ce projet de loi, le gouvernement canadien de Stéfane Harper a récemment annoncé qu’il y renonçait. Toutefois, la lutte contre la cybercriminalité, et particulièrement la pédopornographie, demeure toujours une priorité pour le gouvernement, et c’est dans cette optique que le ministre de la justice canadien Rob Nicholson a annoncé qu’il présenterait un autre texte. Celui-ci prévoirait que l’intrusion dans les communications entre internautes serait possible mais dans des cas limités à quelques infractions pénales, et serait menée uniquement par certaines catégories d’agents de police.

Un assez bon compromis en somme.

SOURCES :

HOLMES.N, « Les lois fédérales du Canada sur la protection de la vie privée », consulté le 22 février 2013, disponible sur http://fr.rsf.org/canada-projet-de-loi-c-30-sur-l-acces-21-02-2012,41913.html

ANONYME, « Projet de loi C-30 sur l’accès légal : une menace pour les droits des internautes », mis en ligne le 21 février 2013, consulté le 22 février 2013, disponible sur http://fr.rsf.org/canada-projet-de-loi-c-30-sur-l-acces-21-02-2012,41913.html

ANONYME, « Ottawa laisse tomber son projet de loi sur la surveillance d’Internet », mis en ligne le 11 février 2013, consulté le 22 février 2013, disponible sur

http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2013/02/11/002-gouvernement-federal-abandonne-c-30-surveillance-electronique.shtml

CHAMPEAU.G, « Le Canada abandonne son projet de loi sur l’atteinte à la vie privée des internautes », mis en ligne le 12 février 2013, consulté le 23 février 2013, disponible sur http://www.numerama.com/magazine/25061-le-canada-abandonne-son-projet-d-atteinte-a-la-vie-privee-des-internautes.html